Thierry Fiorilli

C’est beau comme la nouvelle bague de Totò (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Sa vue qui s’éteint progressivement. Sa cécité, désormais. Comme Alfredo, dans le film.

C’était au début des années 1990. C’était l’Italie des trois Totò. Schillaci, héros de la Juve et de la Squadra Azzurra. Cutugno, maestro de la variété. Et Cascio, le gamin de Cinema Paradiso (en italien: Nuovo Cinema Paradiso). Le film de Giuseppe Tornatore faisait courir le monde et alignait les récompenses comme Schillaci empilait les buts et Cutugno collectionnait les hits: Grand prix du jury à Cannes, Oscar et Golden Globe du meilleur film étranger, meilleur acteur européen (Philippe Noiret), Bafta de la meilleure musique (Ennio Morricone)…

L’histoire est celle de Salvatore (Jacques Perrin), réalisateur célèbre qui apprend le décès d’Alfredo (Noiret), le projectionniste du petit cinéma de son village natal, qu’il a quitté depuis trente ans. On y vit ses souvenirs. Lui, haut comme trois bobines. Le curé qui fait couper les scènes de baiser, et évidemment celles plus hot. Alfredo qui prend sous son aile Salvatore dans la cabine de projection. L’incendie où Alfredo perd les yeux. Salvatore qui reprend le flambeau dans le cinéma reconstruit (d’où le Nuovo du titre italien). Une romance qui tourne mal, et Salvatore qui part. Jusqu’à l’enterrement d’Alfredo. Un joli film, qui a beaucoup ému, surtout sa scène finale (les baisers ressuscités, les pleurs de Jacques Perrin et Morricone plein pot sur les lacrymogènes).

Salvatore ado, c’était Marco Leonardi, toujours acteur. Il a notamment interprété Maradona, dans La Mano de Dios, de Marco Risi, et joué dans Tout l’argent du monde, de Ridley Scott. Salvatore enfant, c’était Totò Cascio: prix spécial du meilleur jeune acteur dans un film étranger aux Young Artist Awards, Bafta du meilleur second rôle, portrait en gros plan sur l’affiche et coqueluche des critiques et du public. Il y aura quelques rôles ensuite, notamment dans Stanno tutti bene, toujours de Tornatore, puis plus rien. On est en 1996, il a 17 ans et sa carrière est terminée. « Grazie, arrivederci. »

Enfin, « au revoir », c’est vite dit. Dans son autobiographie publiée ces jours-ci, Totò Cascio raconte sa maladie dégénérative des yeux, diagnostiquée il y a trente ans. Sa vue qui s’éteint, progressivement. Sa cécité, désormais. Comme Alfredo. Qu’il a vécue caché, parce qu’il avait honte, travaillant dans le supermarché paternel de Palerme. Que « durant des années, il n’attendait que l’heure d’aller dormir, pour pouvoir rêver, parce que quand je rêvais, je voyais, je voyais bien ». Que c’était l’abîme, jusqu’à cette thérapie dans une institution à Cavazza, près de Bologne, où l’expérience des autres, leur amitié, dont celle d’Andrea Bocelli, l’ont libéré. Que « j’étais aveugle avant de le devenir et je ne le savais pas. Je ne me rendais pas compte que j’avais tout. » Que « j’ai appris à rêver éveillé ». Qu’il a « retrouvé la sérénité », qu’il porte comme une bague précieuse. Et qu’à 42 ans, il a « enfin compris le sens de la phrase d’Alfredo, dans le film: « Quoi que tu fasses, aime-le comme tu aimais la cabine du Cinema Paradiso. » Ma renaissance s’appelle donc Nuovo Cinema Paradiso 2.0« .

Ennio, « musica per favore ».

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