Chérif Kouachi, lors de son procès en 2008 © Reuters

Attentats en Europe : « Nous sommes confrontés à des terroristes hybrides »

Rudi Rotthier
Rudi Rotthier Journaliste Knack.be

La levée actuelle de terroristes n’est pas organisée comme l’était Al-Qaeda en 2001. Ces terroristes sont à la frontière de la criminalité et du terrorisme, et décident eux-mêmes des attentats qu’ils commettent. Pour les spécialistes interrogés par la chaîne américaine CBS, « ce sont des personnes instables, des bombes humaines ».

Les réalisateurs de l’émission d’actualité 60 minutes diffusée par la chaîne américaine CBS se sont demandé pourquoi les autorités françaises n’ont pas réussi à déjouer les attentats de Paris en analysant les parcours des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly.

Selon les chercheurs interrogés, l’attitude de la France s’explique autant par une mentalité de cloisonnement que par le désir de faire de grosses prises.

« Deux boîtes »

Selon le criminologue Xavier Raufer, qui donne cours aux écoles de police française, la France divise les suspects en « deux boîtes » : une boîte pour les criminels et une autre pour les terroristes. Comme les Kouachi et les Coulabily se trouvent entre les deux, la police n’a pas adopté d’approche cohérente.

Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité DGSE et spécialiste du monde arabe, note qu’en France les délinquants sexuels sont suivis toutes les semaines. Ils doivent se présenter au bureau de police, leur ADN est connu et ils doivent communiquer les coordonnées de leur résidence et leur travail. Le tout est conservé dans une banque de données et vérifié. « Mais pour les terroristes : rien. Une fois qu’ils ont purgé leur peine, c’est terminé » explique Chouet.

Le djihadiste lâche ?

Chérif Kouachi s’est radicalisé au temps de l’invasion américaine en Irak après la diffusion des photos de la prison d’Abou Ghraib. Il recrutait des musulmans pour lutter contre les Américains en Irak, il cherchait des armes et voulait partir lui-même. Il a été arrêté à l’aéroport et condamné à 20 mois de prison.

Il a raconté à son avocat et au tribunal qu’il était soulagé, car il avait eu peur de ne jamais revenir vivant. Son avocat a cru à la thèse du « djihadiste lâche » et le tribunal en a tenu compte lors de la disposition pénale de son procès en 2008. D’après les sources anonymes consultées par 60 minutes, la police française considérait les Coulibaly comme des semi-idiots inoffensifs. Et donc ils n’ont pas été, ou pas suffisamment, filés. Sept mois avant leur attentat, la surveillance à l’encontre des frères Kouachi a été suspendue. Quant à Coulibaly, il n’a pas du tout été suivi depuis sa libération de prison en mars 2014. Pendant cette période, les trois jeunes ont pu acheter des armes et préparer leurs attentats en toute quiétude. Grâce à leur expérience criminelle, ils sont devenus « débrouillards » et savaient comment éviter la police et se procurer des armes.

Hybride

Entre-temps, la police s’occupait de gros complots étrangers du calibre du onze septembre. Selon Chouet, un policier ne récolte pas beaucoup d’honneur en prenant une petite prise et donc on cherche les grands en utilisant les gros moyens. Chouet estime cependant qu’il n’y a plus de grosses prises. Les terroristes actuels sont d’un autre calibre. Aussi, Raufer n’hésite-t-il pas à les qualifier d’hybrides.

« Un jour, ils boivent de la bière, le lendemain ils fument de l’herbe et le surlendemain ils se rendent dans une mosquée. Ce sont des gens instables, des bombes humaines qui peuvent exploser à tout moment ».

Adolescent, Chérif s’intéressait davantage au rap qu’à la religion, il jouait très correctement au football, gagnait sa vie comme pizzaiolo, fumait de l’herbe et courait après les filles.

Coulibaly rêvait d’une vie de gangster, d’attaques armées, de belles amies et évidemment de beaucoup d’argent. Cependant, peu après, après que son existence de gangster ait été interrompue par la prison, il s’est mis à croire en Dieu et sa compagne est passée du bikini au foulard.

Maman gourou

Les Kouachi et les Coulibaly « n’ont pas reçu d’instructions » du Yémen. Ils ont agi selon leur propre initiative. Ils ont choisi la cible et la date. Le problème se trouve au sein de la société, pas à l’extérieur. Il s’agit « d’un problème psychique. Ils veulent être quelqu’un » ce qu’ils n’ont pas réussi en France : ni sur le plan de leur éducation, ni dans leur travail et ni dans la société.

Une fois ces circonstances réunies, il faut encore quelqu’un ou quelque chose pour les mettre sur le chemin de la violence. Dans ce cas, il s’agissait probablement de Jamel Beghal, un Algérien français lié à Al-Qaeda, enfermé et isolé dans la même prison que Coulibaly et Chérif Kouachi. Malgré son isolation imposée, Beghal a réussi à joindre les jeunes hommes en leur parlant depuis la fenêtre ouverte et en échangeant des notes. Après leur libération, les anciens prisonniers se sont à nouveau réunis.

Raufer: « Pour eux, Beghal est un gourou. Ils ne savent pas grand-chose de l’islam. Ils sont comme des enfants qui demandent des explications à leur maman ». Beghal, condamné à dix ans pour avoir projeté de faire sauter l’ambassade américaine à Paris a réussi à donner une cohérence à leur mécontentement, une cohérence qui les a entraînés sur le chemin de la violence.

À partir de 16’20 »

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