En Europe aussi, les armes 3D font désormais parler d'elles, même si leur production reste illicite. © GETTY IMAGES

Armes imprimées en 3D, danger ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Intraçables, voire indétectables par un portique de sécurité, les ghost guns sont voués à se développer. Même si leur fiabilité reste aléatoire, mieux vaut prévenir…

Il y a un peu plus de six ans, un jeune trentenaire texan, qui se désigne comme  » crypto-anarchiste « , avait mis au point un programme d’impression d’un pistolet en 3D et l’avait publié sur Internet. Une première qui avait alerté les autorités. Militant proarmes, libertaire, Cody Wilson avait baptisé son  » oeuvre  » Liberator. Son objectif était de diffuser le logiciel à un maximum d’internautes pour contrer toute tentative de réglementation des armes à feu aux Etats-Unis. Neuf Etats l’avaient poursuivi en justice et, fin juillet 2018, un tribunal fédéral avait ordonné la fermeture de son site Web.

Cody Wilson s’est exécuté, mais le mode d’emploi pour  » imprimer  » le Liberator avait déjà été téléchargé des milliers de fois. Et il y a toujours moyen de le trouver facilement. Un journaliste de France Info en a fait l’expérience, en 2019, en imprimant en 3D un Liberator, avant de le tester avec succès dans un stand de tir. Par ailleurs, la société Web de fabrication d’armes en 3D Defense Distributed, que Cody Wilson avait créée en 2012, est toujours bien active, même si lui-même en a démissionné après une sombre affaire de détournement de mineure.

Actuellement, ses repreneurs, bien que poursuivis par les procureurs de vingt Etats américains, proposent, à 2 100 dollars, la troisième génération d’une fraiseuse numérique compacte (Ghost Gunner ou GG 3) permettant de tailler un bloc d’aluminium pour fabriquer, dans son garage, les pièces essentielles d’un fusil d’assaut AR15. Une arme semi-automatique souvent impliquée dans des tueries de masse. Il y a quelques années, un journaliste du magazine de technologie Wired a testé une version plus ancienne du GG : l’AR15 obtenu fonctionnait très bien. Grâce à ses composants métalliques, cette arme-là semble bien plus fiable que le Liberator, dont l’unique composant polymère résiste mal à la chaleur.

Ivan The Troll et son Glock 17

Aujourd’hui, toujours selon Wired, un nouveau réseau de développeurs anonymes d’armes imprimées en 3D se propage aux Etats-Unis. Il est complètement décentralisé et underground, n’a pas de siège social ni de leader, juste un porte-parole baptisé Ivan The Troll. Des vidéos postées sur le Web par ce dernier le montrent avec des pièces d’un pistolet Glock 17 imprimées en 3D, qu’il assemble avant de tirer plusieurs coups de feu.

L’enjeu est aussi celui de l’utilisation de telles armes par des terroristes.

En Europe aussi, les armes 3D font désormais parler d’elles. Leur production est illicite. En juin 2019, un tribunal londonien a condamné un étudiant de 26 ans qui avait produit un pistolet en 3D. En France, un cas a été recensé, il y a deux ans. En octobre 2019, l’auteur antisémite de la fusillade de Halle, en Allemagne, s’était procuré des armes en pièces détachées, dont plusieurs en impression 3D. Significatif également : à Roubaix, l’an dernier, une entreprise de fabrication d’imprimantes 3D a pris les devants en inondant les forums et les sites de téléchargement de faux logiciels de production d’armes en 3D, ressemblant aux vrais mais dont les légères modifications ne permettent pas aux pièces  » imprimées  » de s’emboîter. L’objectif : tabler sur le découragement des internautes, l’impression d’une pièce nécessitant entre dix et douze heures. En quelques jours, ces faux plans avaient été téléchargés des milliers de fois.

Risque d’explosion

Malgré tout, il ne semble pas encore y avoir un risque de prolifération de telles armes pour l’instant, selon Léo Géhin, du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip), qui vient de publier une analyse sur le sujet. En effet, les performances des pistolets (1) en polymère restent assez médiocres, selon l’Alcohol, Tobbaco, Firearms and Explosives Bureau (ATF) américain qui lutte notamment contre le trafic d’armes. L’ATF a testé deux pistolets semblables au Liberator. Ils ont explosé, l’un après deux coups tirés, l’autre après neuf coups. Les parties de l’arme en matière plastique, qui subissent une montée de chaleur et de pression due au coup de feu, sont plus susceptibles de se déformer, voire d’exploser, que si ces composants étaient en métal.

La démocratisation des imprimantes en 3D pourrait faciliter la production d'armes en polymère de meilleure qualité.
La démocratisation des imprimantes en 3D pourrait faciliter la production d’armes en polymère de meilleure qualité.© GETTY IMAGES

Bref, la philosophie des libertaires de s’approprier la fabrication d’un objet symbolique contraste avec les besoins opérationnels des utilisateurs criminels de ces armes, qui préfèrent se fournir sur le marché noir où l’on trouve, par exemple, des armes neutralisées qui sont réactivées, note Léo Géhin qui conclut :  » Ce paradoxe contribue à expliquer le recours quasi anecdotique de la production d’armes en 3D, à ce stade, en Europe.  » Le risque n’en est pas moins réel à terme. Le chercheur du Grip pointe la démocratisation grandissante des imprimantes en 3D. Un bond technologique pourrait également permettre de produire des armes en polymère de meilleure qualité.

Dans ce cas, pouvoir produire soi-même clandestinement une ghost gun sans numéro de série et sans devoir s’enregistrer officiellement peut s’avérer une menace en matière de prolifération. Cela peut engendrer un nouveau trafic. Il semble inévitable que la technologie 3D séduise, un jour, les criminels. Bien sûr, des techniques de marquage au laser existent pour les armes en polymère, mais cela ne vaut que si la production par impression en 3D est licite. En outre, il est impossible de récupérer des informations inscrites sur l’arme – modèle, numéro de série, année de production – en cas d’oblitération volontaire.  » Or, le marquage est une pièce maîtresse de l’enquête judiciaire « , analyse Léo Géhin.

Le phénomène de l’impression en 3D doit donc être sérieusement anticipé par les autorités, selon le Grip. Au sein d’Europol (agence européenne de police criminelle), la France pilote un plan d’action sur la surveillance des évolutions technologiques permettant d’imprimer une arme en 3D, notamment les progrès de résistance à la chaleur des polymères.

L’enjeu est aussi celui de l’utilisation de telles armes par des terroristes. On sait que les avions ou les trains internationaux sont des cibles pour ceux-ci. Or, Léo Géhin relève que chaque technique de contrôle – portique de détection métallique, scanner corporel et de bagage, palpation – présente des failles dans la détection d’armes de petit calibre en polymère, surtout si celles-ci sont transportées en pièces détachées. En 2013, déjà, des journalistes du Daily Mail ont embarqué dans l’Eurostar avec un Liberator démonté qu’ils ont assemblé, en déjouant tous les contrôles.

(1) Lire l’analyse complète de Léo Géhin sur grip.org/fr.

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