Après Trump, la presse doit quitter l’entre-soi

Bousculant tous les pronostics, s’asseyant allègrement sur le politiquement correct, bravant le « système » et l’Etablishment, le trublion affairiste Donald Trump sera donc le 45e président des Etats-Unis malgré une couverture médiatique largement défavorable à sa candidature.

A tel point que l’éditeur responsable du New York Times, Arthur Sulzberger Jr., s’est fendu d’une excuse indirecte dans un courrier à ses lecteurs reprécisant qu’il entendait « se recentrer sur la mission fondamentale du journalisme du Times et qui consiste à rapporter honnêtement ce qui se passe en Amérique et dans le monde, sans peur ni favoritisme », et appelant ses journalistes à traiter de manière équitable le président élu.

La partialité des médias était palpable lors des débats télévisés, les questions difficiles s’adressant systématiquement au candidat républicain, dont le mépris pour le landerneau journalistique était proportionnel.

Mais Donald Trump a largement compensé son handicap médiatique par son art de la provocation soigneusement travaillé pendant la décennie où il présentait une émission de téléréalité, L’Apprenti, particulièrement odieuse (il faut visionner l’encore jeune homme pratiquant le catch en costume) mais suivie par 30 millions de téléspectateurs. Son compte Facebook aux 20 millions d’ « amis » lui a permis aussi de « réinformer » ses fans tandis que Breitbart News, le média rentre-dedans animé par son désormais conseiller stratégique, Stephen Bannon, explosait l’audience.

C’est paradoxalement l’acharnement médiatique des élites médiatiques libérales (centre-gauche) qui a parachevé l’image anti-système d’un Trump « milliardaire du peuple ».

Bien avant tout le monde, Laure Mandeville qui sillonnait l’Amérique en campagne, avait vu venir l’ouragan (lire : Qui est vraiment Donald Trump? aux éditions des Équateurs). Car derrière le Trump provocateur parfois odieux, se cache « un homme intelligent, rusé et avisé, qui a géré un empire de dizaines de milliers d’employés et qui sait pertinemment que la politique américaine actuelle est un grand cirque où celui qui crie le plus fort a souvent raison parce que c’est lui qui fait le buzz ».

Interrogée par Figaro Vox, la journaliste explique que « Trump a su capter, au-delà de l’air du temps, la colère profonde qui traversait l’Amérique, puis l’exprimer et la chevaucher. Grâce à ses instincts politiques exceptionnels, il a vu ce que personne d’autre – à part peut-être le démocrate Bernie Sanders – n’avait su voir: le gigantesque ras le bol d’un pays en quête de protection contre les effets déstabilisants de la globalisation, de l’immigration massive et du terrorisme islamique; sa peur du déclin aussi ».

Or, de notre côté de l’Atlantique, des peurs identiques s’expriment. Faudra-t-il une troisième alerte (Marine Le Pen à l’Elysée) pour enfin changer de comportement ? Rien n’est moins sûr à lire les éditoriaux post-élections, qui continuent de ne pas comprendre comment ce « clown » est arrivé à ses fins.

Le fossé entre les élites et le « peuple » n’a jamais été aussi béant. Thierry Fiorilli (Le Vif-l’Express n°3411) a raison de souligner que « ne pas s’en être rendu compte, ne le découvrir que maintenant, c’est démontrer que les vrais exclus ne sont peut-être pas ceux qu’on croit. Que ce sont ces élites, cet establishment, à chaque scrutin toujours davantage taillés en pièce, qui sont hors champ de la réalité ».

Pour nous journalistes, le chemin entre le politiquement correct et le politiquement abject est particulièrement escarpé. Lorsque seul un Wallon sur dix estime que l’immigration est une réussite, faut-il continuer à démontrer aux neuf autres qu’elle est, au contraire, une extraordinaire chance pour notre système de retraite ? Cela a-t-il un sens d’inventer le « sentiment d’insécurité » face à des navetteurs sincèrement apeurés ou publier des fasicules de novlangue déontologique expliquant dans quel contexte utiliser le terme « autochtone » ?

Evitons de publier les seules statistiques qui nous arrangent en soutien de « démonstrations » coupées des réalités et relevant du snobisme.

Ou bien on poursuit dans l’entre-soi, les formules alambiquées, l’évitement des sujets qui fâchent et, face aux nouveaux médias, nous perdrons définitivement toute audience et tout crédit.

Soit, enfin, nous écoutons, sans mépris, les peurs qui s’expriment et nous y répondons par des éléments factuels qui font sens : la mondialisation est porteuse d’emplois mais aussi de menaces ; nous devons accueillir les vrais réfugiés politiques mais pas toute la misère du monde ; les protections sociales sont un joyau civilisationnel mais l’argent public ne pousse pas sur les arbres ; la fraude fiscale est un fléau mais la fraude sociale ne l’est pas moins ; l’Union européenne est une suite d’erreurs de jugement mais le génie européen n’est pas mort ; on peut construire une société avec l’Islam séculier mais on ne peut pas pactiser avec le Wahhabisme, etc.

Les lecteurs et les auditeurs attendent de nous la vérité, rien de moins, rien de plus.

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