Confrontation entre la police de Los Angeles et les militants opposés aux expulsions d’étrangers, le 8 juin. © GETTY

Heurts à Los Angeles: comment Donald Trump a attisé les braises du «chaudron» démocrate

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

En déployant la Garde nationale et les Marines face aux opposants à sa politique d’immigration et contre l’avis des autorités locales, le président poursuit des intérêts politiciens.

Un bras de fer avec le président peut-il aider Gavin Newsom à se faire un nom? Dans la bataille de Californie, engagée depuis le 6 juin et la contestation citoyenne d’opérations musclées de l’agence américaine de contrôle des frontières (Immigration and Customs Enforcement, ou ICE) à Los Angeles, l’enjeu est presque autant personnel et politique que sociétal et politique.

Pour Donald Trump, les troubles dans la deuxième ville des Etats-Unis autour de son projet d’expulsion massive de migrants et d’étrangers est une aubaine. La conjoncture lui permet, espère-t-il, d’enclencher une nouvelle phase de sa politique migratoire, de clouer au pilori un bastion du Parti démocrate, la maire de L.A. Karen Bass en est issue, et de saper la crédibilité d’un candidat potentiel du camp adverse à l’élection présidentielle de 2028. Pour Gavin Newsom, l’adversaire désigné et actuel gouverneur de Californie, la confrontation avec le locataire de la Maison-Blanche est, escompte-t-il, une opportunité de construire une stature de présidentiable et de gauchiser son profil auprès des militants du Parti démocrate.

Dans l’entendement de ses électeurs, la politique de Donald Trump en matière d’immigration est déjà un succès.

Emblème de la gauche démocrate

L’homme longiligne âgé de 57 ans figure dans la large liste des prétendants à la candidature démocrate à la prochaine échéance présidentielle. Large, parce que le chemin est encore très long et parce qu’aucune figure charismatique n’a émergé au sein du parti après l’échec retentissant de Kamala Harris face à Donald Trump le 5 novembre 2024. Pour asseoir sa notoriété, le gouverneur de Californie a lancé un podcast, le 26 février 2025, modestement intitulé «This is Gavin Newsom». Il y a innové en se confrontant dans des entretiens avec des personnalités de l’extrême droite, soutiens de Donald Trump. Audacieux, mais pas nécessairement de nature à ravir les militants de l’aile gauche du parti repartis au front du combat contre les trumpistes sous l’impulsion du sénateur du Vermont, Bernie Sanders, et de la membre de la Chambre des représentants issue de New York, Alexandria Ocasio-Cortez, dont la tournée commune «Fighting Oligarchy Tour» a connu au printemps un indéniable succès. Dans ce contexte, apparaître comme le porte-drapeau de la résistance à une politique aussi sensible pour le peuple américain de gauche que celle de l’immigration est un atout dans la course pour le leadership démocrate.

Ces enjeux politiciens posés, il importe de préciser que la bataille de Californie a été imposée à Gavin Newsom par le président. Les affrontements survenus le 6 juin après les arrestations de ressortissants étrangers pour expulsion dans la banlieue de Los Angeles n’ont pas tourné à l’émeute et à l’insurrection comme l’administration Trump en a accrédité l’idée. Et de l’avis tant de la maire de la ville que du gouverneur de l’Etat, la décision présidentielle de déploiement de 4.000 membres californiens de la Garde nationale pendant le week-end et celle, le 9 juin, du renfort de 700 Marines étaient tout à fait superfétatoires. Elles auraient même mis de l’huile sur le feu.

La Garde nationale devant un bâtiment fédéral de Los Angeles: un apport limité. © GETTY

Contre-attaque en justice

Le recours à la Garde nationale est strictement réglementé. Il doit répondre à des situations déterminées, parmi lesquelles l’insurrection et la menace sur des institutions fédérales. Il doit être réalisé en concertation avec le gouverneur de l’Etat concerné. Gavin Newsom a soutenu que tel n’avait pas été le cas. Il a donc décidé de contester la décision de Donald Trump en justice. En réalité, l’empressement du président à mobiliser la Garde nationale, outre qu’il appuie sa volonté de confrontation avec les autorités démocrates locales, participe de son projet de fédéraliser ce corps des forces de sécurité. Avec l’ambition de concentrer toujours plus de pouvoirs entre ses mains et d’en retirer aux Etats fédérés.

Le déploiement spectaculaire de la Garde nationale n’arrive pas à masquer la réalité de sa très contestable utilité.

Sur le strict plan du dossier de l’immigration, il n’est pas sûr en effet que Donald Trump ait eu un intérêt majeur à engager un bras de fer avec l’Etat démocrate. Le quasi-arrêt de l’arrivée des migrants à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis depuis le début de son second mandat et la peur instillée par les expulsions très médiatisées de ressortissants étrangers consacrent déjà, dans l’entendement des électeurs trumpistes, le succès de sa stratégie. Une politique emblématique sur laquelle il avait forgé sa victoire à l’élection présidentielle en novembre 2024.

Le gouverneur de Californie Gavin Newsom, une confrontation «payante» avec Donald Trump? © GETTY

Elle a certes connu des couacs et a été confrontée à des écueils. Au rang des premiers, l’expulsion vers le Salvador, où a été sous-traité l’emprisonnement de criminels, de Kilmar Abrego Garcia, un Salvadorien de 29 ans ouvrier dans le Maryland sous l’argument que son statut légal avait «changé», et son rapatriement quelques semaines plus tard aux Etats-Unis, a été emblématique de l’arbitraire de la méthode employée par le gouvernement. Au rang des seconds, les recours en justice ont certes ralenti l’action gouvernementale. Mais à ce stade et dans l’attente de certaines décisions au terme des procédures, «les cours de justice américaines, la Cour suprême y compris, ont rendu de nombreuses décisions […] sans parvenir, semble-t-il, à restreindre ce que l’anglais qualifie de « déportations »», soulignait le 15 mai sur le blog «Le club des juristes» le professeur de droit public à l’université Paris-Saclay, Thibaut Fleury Graff. Il n’y donc pas là de quoi affaiblir le soutien des électeurs de Donald Trump à sa politique et pas plus à le convaincre d’en changer.

Dès lors, fallait-il que, pour des considérations politiciennes, le président se livre à une démonstration de force qui risque potentiellement d’aggraver plus que de calmer la situation à Los Angeles? Le déploiement spectaculaire de la Garde nationale n’arrive pas à masquer la réalité de sa très contestable utilité. Le 8 juin, selon la maire de Los Angeles Karen Bass, ses membres sur le terrain se contentaient de protéger… deux bâtiments fédéraux dans la ville.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire