Au port de Kashofu, des femmes préparent des sacs d’ananas destinés à être exportés vers Goma et Bukavu par bateau. © Paloma Laudet / Collectif Item

Idjwi, la fragile île de paix au cœur de la guerre

Epargnés par les combats de la guerre de l’est de la RDC, les habitants de l’île du lac Kivu en subissent tout de même les conséquences. Réduction de l’aide médicale, nouvelles taxes, séquelles de la déforestation…: le quotidien est une épreuve.

En cette fin d’après-midi d’octobre, un ciel menaçant plane au-dessus du village de Kihumba, niché sur les hauteurs septentrionales de l’île d’Idjwi. La saison des pluies s’installe sur cette île lacustre, la deuxième plus grande d’Afrique, coupée du monde par l’immense lac Kivu qui sépare l’est de la République démocratique du Congo (RDC) du Rwanda voisin. La semaine précédente, un ouragan ravageait les maisons les plus fragiles de ce hameau miséreux, où vivent un millier d’âmes sans accès à l’eau potable. Au bout d’une piste en terre ravinée, Dieu-veut Boufolé ramasse les tôles de son abri décoiffé par le vent. «C’est la deuxième fois que le ciel nous vole notre toiture», déplore le paysan de Kihumba, également père de cinq enfants.

Dans cette région d’Afrique centrale, le dérèglement climatique amplifie la puissance des épisodes météorologiques en saison des pluies. Sur ce territoire oublié des politiques nationales, situé à plus de 2.500 kilomètres de la capitale Kinshasa, les habitants vivent encore en grande partie dans des abris précaires, construits à base de boue séchée et de toits végétaux. «C’est ce que nous appelons de la « brique-à-dobe », notre brique bon marché, détaille Dieu-veut Boufolé en pointant le mur décrépit de sa maison. A chaque forte pluie, la terre se ramollit et nos maisons menacent de s’effondrer.» Un millier de briques cuites, pourtant produites sur l’île, lui reviendraient à 90 dollars: une fortune pour cet habitant d’Idjwi dont le salaire mensuel moyen oscille autour de 20 dollars.

Dans le sud d’Idjwi, les prêtres de la paroisse de Kashofu ont reboisé une partie des berges défrichées. © PALOMA LAUDET, COLLECTIF ITEM

A ses côtés, adossée au mur de ce qui leur reste de maison, Kito Janvier, sa femme, allaite un nourrisson de 3 mois. Une grimace défigure le visage lisse de cette mère de 32 ans dont le sein a doublé de volume. «Une brique du toit est tombée sur sa poitrine lors de la tempête, alerte le mari. Le sein est infecté.» Les frais de soins et de transport découragent pourtant le couple de se rendre au centre de santé voisin de Kizisa, situé à quelques kilomètres, où l’on pourrait lui administrer les anti-inflammatoires nécessaires. Il y a quelque temps, Kito Janvier aurait pu bénéficier de la gratuité de ces soins. Mais depuis plusieurs mois, les 21 centres de santé de l’île ont été contraints d’augmenter leurs tarifications.

«Sûr! Cette île n’offre plus assez d’espace pour notre bétail.»
Bapolisi Kanani, l’infirmier chargé de la gestion des stocks de médicaments au centre de santé de Kizisa. © PALOMA LAUDET, COLLECTIF ITEM

Arrivée de déplacés

En février 2025, la conquête éclair d’une grande partie des provinces du Nord et du Sud-Kivu par le groupe antigouvernemental Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 Mars (AFC/M23), soutenu par le Rwanda voisin, déclenche l’ire de Kinshasa qui ordonne la fermeture des banques dans les zones conquises. L’aide nationale et internationale destinée à Idjwi ne parvient plus jusqu’aux centres de santé de l’île, financièrement coupés du monde.

Dans l’ADN du groupe armé M23, créé en mai 2012, figurent des préoccupations sécuritaires ethniques dont la lutte contre la discrimination anti-Tutsi dans l’est de la RDC, mais aussi l’insatisfaction quant à la campagne de démantèlement d’un groupe armé formé par d’anciens génocidaires Hutu dans l’est de la RDC à la suite du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en juillet 1994. Trente-et-un ans plus tard, l’AFC/M23 justifie la prise des capitales provinciales de Goma et de Bukavu par la menace persistante de ce groupe armé, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

Cet épisode provoque le déplacement de près de 32.000 personnes sur l’île d’Idjwi, aussi connue sous le nom d’«île de la paix» pour n’avoir jamais connu la guerre sur son sol durant ces trois dernières décennies. Il est vrai qu’à Idjwi, le tableau semble irréel: 300.000 kilomètres carrés de côtes escarpées parsemées de cultures verdoyantes, devant lesquelles défilent des pirogues paisibles, le tout au cœur de l’un des territoires les plus dangereux de la planète. Ici, les insulaires n’ont jamais entendu le crépitement d’une AK-47 qui fait pourtant le quotidien des provinces du Nord et du Sud-Kivu. A s’y méprendre, le visiteur se laisserait charmer par ce tableau idyllique qui, en l’occurrence, éclipse une réalité plus sombre. Depuis les berges, les insulaires observent avec inquiétude l’évolution de la situation sur le continent, sachant leur destin lié à ce dernier.

Prospère Sibomana et sa femme Béatrice Murazakani ont fui Goma lors de sa conquête par le M23 et sont réfugiés à Idjwi. © PALOMA LAUDET, COLLECTIF ITEM

Début 2025, l’île d’Idjwi, alimentairement dépendante de l’extérieur, souffre de la suspension des liaisons maritimes pendant près de quatre semaines en raison de la guerre, affamant la population. La vingtaine de centres de santé d’Idjwi subit de plein fouet les coupures de l’aide humanitaire. Dans celui de Kizisa, où Kito Janvier ne peut se rendre, les stocks s’amenuisent aussi vite que le contenu des caisses. Les salaires des infirmiers ont été divisés par quatre, tout comme le budget alloué aux médicaments. «Nous avons perdu près de sept partenaires économiques, constate Bapolisi Kanani, l’infirmier préposé à la gestion de la pharmacie.

Le principal, l’Agence d’achat et de performance (AAP), financé par la Banque mondiale, nous finançait notamment pour l’achat des médicaments, la lutte contre la malnutrition ou encore l’accompagnement des femmes enceintes grâce à une aide de six dollars par accouchement. Un budget passé à 2,4 dollars en avril 2025, avant de passer à zéro aujourd’hui.»

Rodrigue et Mwirirwa font paître leurs quatre vaches sur une parcelle calcinée, encerclée par les cultures, près du village de Kasihi. © PALOMA LAUDET, COLLECTIF ITEM

Pression sur les ressources

Dans le dortoir de l’établissement, une jeune mère de 18 ans gémit de douleur une semaine après avoir mis au monde un jeune bambin, prise de courbatures au niveau du plancher pelvien. «Nous sommes contraints de demander à cette femme de contribuer à hauteur de dix dollars pour son accouchement, une somme qu’elle n’est pas en mesure de fournir. Décision a été prise de retenir les bénéficiaires jusqu’à ce qu’ils trouvent tout ou partie des fonds dus, déplore l’infirmier Kanani, qui se résout à lui administrer gratuitement quelques antidouleurs. Nous restons des soignants avant tout.»

Aujourd’hui, les finances du centre dépendent entièrement des contributions des patients. «Nous avons abandonné toute logique de rentabilité, concède l’infirmier pour qui le centre est au bord du gouffre. La fréquentation est passée d’une cinquantaine à une trentaine de patients par jour par rapport à l’avant-guerre. Les gens sont freinés par le manque de moyens.» En parallèle, l’infirmier préposé à la pharmacie constate une dangereuse diminution de ses stocks de médicaments: «Au mois de juin, c’était la pénurie. Nous avons dû rediriger les patients atteints de choléra vers l’hôpital général de Monvu, à plusieurs dizaines de kilomètres.»

Des femmes transportent une cinquantaine de briques depuis la briqueterie de la vallée de Kikuko. © PALOMA LAUDET, COLLECTIF ITEM

Pour le responsable de l’unique hôpital de l’île, le Dr. Aimé Nkemba, également médecin-chef de zone d’Idjwi, ce chassé-croisé entre fuite de l’aide humanitaire et arrivées massives de déplacés de guerre a engendré une crise incomparable. «Entre janvier et février 2025, des camps de fortune ont poussé au nord de l’île. La population de certains villages a doublé, accentuant la pression sur des ressources vitales comme l’eau potable, dont l’île manque cruellement, fait savoir le responsable de la zone santé sur l’île. La promiscuité engendrée par ces débarquements a provoqué plusieurs épidémies dites « de mains sales »: gastro-entérite et choléra en tête, alors même que les médicaments et subventions disparaissaient.»

Aujourd’hui, comme à Goma, le chef-lieu du Nord-Kivu, les camps de déplacés d’Idjwi ont été démantelés par l’AFC/M23. Si certains réfugiés sont rentrés chez eux, d’autres se sont entassés dans des maisons charitables, comme dans celles de Bob Mudahama, perchées sur les hauteurs de Kashofu, à l’extrême sud d’Idjwi. Cet ingénieur en bâtiment accueille au total 17 déplacés répartis entre sa maison principale et l’ancienne maison en décrépitude de son père défunt. Prosper Sibomana et sa famille nombreuse, originaires de Goma, habitent cet abri depuis maintenant huit mois. Une réputation de grande hospitalité entoure la famille des Mudahama depuis la génération du père, un professeur reconnu pour avoir accueilli les nécessiteux. «C’était un grand homme, d’une profonde générosité, se remémore le fils Mudahama planté devant un tableau familial. J’essaie de rendre hommage à sa charité.»

La trace du temps se lit sur les murs patinés de l’ancienne maison du «Mze» Mudahama («le Vieux» ou «le Sage», en swahili). «Au moins, ici, il y a la paix, positive le père déplacé de 55 ans, encore traumatisé par la sanglante prise de Goma fin janvier. Je me souviens des morts et des balles ce jour-là dans le quartier Ndosho. Nous avons fui à toutes jambes vers le port de Kituku pour sauter dans le premier bateau vers l’île d’Idjwi. La seule chose que j’ai pu sauver de ma maison, ce jour-là, c’est ma peau.»

Depuis huit mois, Bob Mudahama leur assure le gîte et le couvert. S’ils échappent à la mort, une dure réalité rattrape ces rescapés de Goma dès leur arrivée à Idjwi. «Je n’ai pas gagné d’argent depuis huit mois, pas même un dollar. Mes enfants sont déscolarisés», énumère Prosper Sibomana. L’économie fragile de l’île, animée en grande partie par le secteur primaire, à savoir la pêche, l’agriculture, l’élevage, ainsi que l’exploitation du bois et de la brique, refuse d’absorber ces nouveaux venus par milliers, alors que la population vit en moyenne avec moins d’un euro par jour. L’arrivée des déplacés attise également des conflits fonciers déjà ancrés, notamment entre agriculteurs et éleveurs. La deuxième plus grande île lacustre d’Afrique figure également parmi les plus densément peuplées du continent, avec près de 300.000 habitants.

Les insulaires n’ont jamais entendu le crépitement d’une AK-47 qui fait pourtant le quotidien des provinces du Kivu.

Centre de la brique

Sur les contreforts vallonnés du sud de l’île, non loin du village de Kasihi, Rodrigue, un vieil homme dégarni, et son ami Mwirirgwa, la soixantaine, font paître leurs quatre vaches sur une parcelle déshéritée, encerclée par les cultures. «Nous avons marché plus d’une heure pour trouver ce pauvre champ. Heureusement qu’un ami nous le livre en pâture», s’exaspère l’un des deux éleveurs. «Sûr! Cette île n’offre plus assez d’espace pour notre bétail», abonde le second. A une dizaine de mètres en contrebas, un agriculteur laboure une terre noire et fertile pour y semer des haricots. Les éleveurs collent leurs vaches à la croupe pour éviter qu’elles piétinent ce champ limitrophe, ce qui pourrait leur causer de sérieux problèmes de dédommagement. Ainsi, comme partout ailleurs, à mesure que l’accès à la terre s’amenuise, augmentent les tensions entre ces deux corps de métiers irréconciliables.

Les forêts endémiques de l’île, qui jadis abritaient la communauté pygmée Batwa, l’une des plus anciennes d’Afrique, figurent parmi les grandes perdantes de cette surpopulation. Sur elles s’ajoute la pression des briqueteries de l’île. Depuis plusieurs décennies, Idjwi joue le rôle de grenier du lac Kivu en matière de brique et de charbon de bois pour approvisionner les grandes villes de Goma et de Bukavu, au détriment de son couvert végétal. Le sud de l’île offre là spectacle déchirant où le sublime se mêle à l’horreur.

Des élèves du complexe scolaire Kiniabuguma arrosent des plants d’arbres. © PALOMA LAUDET, COLECTIF ITEM

Au fond d’une vallée déboisée, la rivière Kikuko serpente au milieu de tas de briques abandonnées, des invendables, avant de terminer sa course lente dans l’immense lac Kivu. Des femmes remontent pieds nus le lit sablonneux de cette rivière, sur un sentier perlé par la rosée matinale, le dos courbé par des piles de briques cuites transportées par lots de 50. Plus le sentier s’enfonce dans la vallée, plus la trace de la main humaine apparaît.

Sur les berges défigurées, grignotées par les creuseurs, s’érigent les fours à briques semblables à des tours de guet couvertes de boue séchée. Bigiramana Bidugu, responsable de deux d’entre eux, inspecte un tas de briques fraîches récemment extraites du sable de la rivière. Elles seront cuites dès qu’il trouvera le bois nécessaire. «Cuire un four de 50.000 briques nécessite entre 40 et 60 stères de bois, détaille le responsable. Il faut alimenter un feu continu pendant près de quatre jours.»

Face à la raréfaction du bois sur l’île, le briquetier s’approvisionne de plus en plus loin, courant derrière une rentabilité perdue. «Le prix de la stère de bois a plus que doublé en quinze ans, constate le gérant, passant de cinq à treize dollars.» En plus de cette augmentation, les briquetiers doivent supporter de lourdes augmentations de taxes imposées par les rebelles de l’AFC/M23. «La taxe annuelle est passée de 30 à 100 dollars par four, déplore le briquetier de la vallée de Kikuko, qui en produit environ huit par an. Quatre autres briqueteries de cette envergure sont réparties sur l’île. Rien qu’avec ce secteur, les rebelles mettent en place une recette annuelle d’au moins 2.400 dollars.»

Financement du M23

Loin du regard du monde, sur ce territoire oublié des politiques nationales, l’AFC/M23 semble révéler son vrai visage, contraint de financer, par tous les moyens et le plus vite possible, une guerre qui s’enlise. Pêche, brique, agriculture, sur l’île tous les secteurs économiques y passent. Le 14 octobre, un millier de motards se rassemblaient sur le terrain sportif Michel Dubois de la paroisse de Kashofu, sous ordre de celui qui se fait surnommer par les insulaires, le «Chef Olivier».

Ce grand homme boîteux joue le rôle de référent de l’Agence nationale de renseignement congolaise sur l’île d’Idjwi, organe ici contrôlé par l’AFC/M23. Le militaire dresse les nouvelles règles à suivre pour les deux-roues: cinq jours de prison en cas d’alcool ou de nourriture au volant et obligation de porter un dossard jaune floqué «AFC/M23», à récupérer immédiatement auprès des nouvelles autorités sous peine d’une amende pouvant grimper jusqu’à 50.000 francs congolais (20 euros).

Dans l’assemblée, Fidèle, un jeune taxi-motard de 20 ans, doit rembourser l’emprunt de sa moto avant la fin de l’année. Le jeune homme continue de travailler sans le gilet jaune rendu obligatoire. «Ils le vendent à dix dollars, peste-t-il. Notre représentant a demandé un délai d’un mois pour nous permettre de trouver l’argent, mais ils ont refusé.» Avec cette taxe sur le dossard des moto-taxis, l’AFC/M23 entend empocher 10.000 dollars. La même contrainte s’applique aux dockers qui doivent débourser huit dollars pour l’achat d’un gilet jaune similaire.

Sur le port artisanal de Kashofu, où règne l’agitation matinale quotidienne, des femmes s’attellent à la préparation des sacs d’ananas d’Idjwi. Non loin de là, quelques marins affrètent les grandes barques en bois qui serviront à transporter la marchandise vers la ville voisine de Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu.

Pascal Josué, 23 ans, travaille sur le chantier d’un futur bateau d’une dizaine de mètres de longueur. D’un geste sûr, il plante les clous pour assembler les planches de son embarcation. Cet artisan n’échappe pas aux nouvelles taxes, qui ont presque triplé le concernant, passant de 20 à 50 dollars par bateau sorti de chantier, «sans compter les nouveaux « frais de jaugeage » pouvant aller jusqu’à 20 dollars en fonction de la capacité de charge du bateau, précise l’artisan, qui souffre en parallèle de l’augmentation du prix du bois.

Pour bâtir un tel navire, le constructeur doit faire l’achat d’environ 300 planches qu’il négocie aujourd’hui à dix dollars l’unité, contre cinq dollars il y a quelques années. «Nous manquons d’arbres sur l’île, car nous ne replantons pas assez, faute de champs disponibles, confesse-t-il. Aujourd’hui, je suis contraint d’aller chercher le bois jusque dans les jardins privés des particuliers.»

«Mon grand-père agriculteur me répétait souvent l’importance de l’arbre pour les récoltes.»

Pénurie de bois

A une petite dizaine de kilomètres de là, le matin même, les grincements stridents d’une scie à bois rompent avec la quiétude de l’artère principale du village de Mugote. Debout dans son jardin, Norbert Mwema supervise l’abattage de six eucalyptus dans sa parcelle. «L’espace libéré servira à construire un atelier pour la soudure», explique ce villageois de 60 ans. Derrière lui, en équilibre sur un échafaudage précaire, l’un des artisans impulse le mouvement vertical d’une immense scie avec son compagnon à terre, afin de diviser l’un des troncs en planches rectilignes. «Une partie servira à construire la future charpente de l’édifice, l’autre sera vendue», admet le propriétaire terrien.

Dans le jardin, les copeaux de bois virevoltent dans l’air avant de tomber en cascade sur une vingtaine de plants de clavérias situés au pied des travailleurs. «Tout ce que je coupe, je le replante pour plus tard. J’ai appris l’effet de serre à l’école, raconte le vieillard, qui ne cache pas non plus sa volonté de tirer bénéfice de ces futures plantations. Un jeune tronc d’arbre se revend dix dollars aujourd’hui.»

Un chauffeur de taxi-moto avec le nouveau gilet imposé par le M23. © PALOMA LAUDET, COLLECTIF ITEM

C’est vers la fin des années 2010 que la pénurie de bois s’est subitement fait ressentir sur l’île d’Idjwi, alors même qu’il constitue le cœur du quotidien des insulaires. Progressivement, à la radio, dans les paroisses et les écoles, le message se répand et la prise de conscience se généralise. «Il faut reboiser Idjwi», insiste auprès de ses élèves Justin Misagwe, le directeur de la discipline au sein du complexe scolaire Kiniabuguma. Ce cinquantenaire au visage affable encadre un programme de reboisement au sein de l’institution depuis 2021. Chacun des 250 élèves se doit de planter au moins cinq arbres par an, dans les champs alentour et les jardins privés. «Nos champs sont ravagés par les pluies et l’érosion des sols, constate l’encadrant scolaire, également cultivateur. L’école peut jouer un rôle unique dans cette course contre le temps en sensibilisant et en mobilisant la jeunesse.»

Ce soir-là, comme tous les jours à deux reprises, un groupe de cinq élèves volontaires quitte l’enceinte de l’école pour se rendre dans le jardin potager, en contrebas, munis d’arrosoirs verts remplis à ras bord. Du haut de ses 16 ans, chemise à col blanche et bottes en caoutchouc, Awezaye Kasole fait partie du petit groupe d’étudiants qui arrose quotidiennement les centaines de jeunes pousses verdoyantes émergeant de la terre noire.

«Je fais ça pour le bien-être de notre territoire et pour la qualité de notre oxygène, détaille cet élève concerné, sensibilisé à l’environnement par les alertes relayées par la radio communautaire, le média le plus écouté par les insulaires. Mon grand-père agriculteur me répétait aussi souvent l’importance de l’arbre pour les récoltes. « L’arbre amène la pluie et retient la boue », disait-il.» Le jeune homme arrose délicatement ces pousses de cedrela, d’eucalyptus, de clavéria et de cyprès, encore à l’état embryonnaire, dont les racines façonneront, dans quelques jours, un chemin réparateur dans la terre fertile d’Idjwi.

Par Théodore de Kerros – Photos: Paloma Laudet, collectif Item

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire