Keanu Reeves, un temps sauveur du monde, désormais acteur à tout faire. © REUTERS/Mario Anzuoni

Acteurs en roue libre : Keanu Reeves, quand Brise légère sauvait le monde

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Tout l’été, le Vif/L’Express retrace la carrière d’acteurs au parcours en dents de scie, et aux choix pas toujours avisés. Cette semaine, Keanu Reeves, un temps sauveur du monde, désormais acteur à tout faire.

L’Internet Movie Database est une banque de données aussi précieuse qu’impitoyable : tapez Keanu Reeves dans son moteur de recherche, et elle lui associe invariablement The Matrix, des frères Wachowski, témoin d’une gloire passée que le temps a transformée en lointain souvenir. C’était, après tout, au siècle dernier – en 1999 précisément -, et, sous les traits de Neo, l’acteur, non content de sauver l’humanité, doublait son statut de superstar de celui d’icône, laquelle se verrait toutefois bientôt passée à la moulinette de suites (The Matrix Reloaded puis The Matrix Revolutions) toujours plus dispensables. Et d’être insensiblement aspiré dans le vortex des séries B à Z, les The Lake House, Street Kings, The Day the Earth Stood Still et l’on en oublie qui sont son lot régulier, sinon exclusif, depuis une bonne dizaine d’années maintenant…

Lorsqu’on le rencontre, fin 2010, à Marrakech, Reeves vient y présenter un de ces films au mieux passables qui gonflent désormais sa filmographie (son nom est attaché à huit projets pour la seule année 2016, et il est d’ores et déjà annoncé dans trois longs-métrages en 2017), à savoir Henry’s Crime, de Malcolm Venville, où il a pour partenaires l’inoxydable James Caan et Vera Farmiga. En plus d’en tenir le rôle principal, il a endossé le costume de producteur avec sa société Company Films, une première. Et il ne manque pas d’affirmer sa foi dans une expérience qu’il renouvellera par la suite pour la série documentaire Side By Side, où il se penche sur l’impact de la révolution numérique au cinéma, ou encore le thriller John Wick. On n’en est pas encore là, cependant, et Henry’s Crime connaîtra un flop retentissant – 100 000 dollars de recettes aux Etats-Unis pour un budget de 12 millions, et un direct-to-video un peu partout dans le monde -, un de plus pour un acteur dont la carrière épouse le profil de montagnes russes.

Keanu Reeves a connu le succès en interprétant Neo dans The Matrix. La suite fut, elle, moins glorieuse.
Keanu Reeves a connu le succès en interprétant Neo dans The Matrix. La suite fut, elle, moins glorieuse.© REPORTERS

Grand seigneur

Il fut un temps, pourtant, où « Brise légère sur la montagne » (la signification de son prénom en hawaïen) ajoutait au physique avantageusement mystérieux un flair quasiment infaillible. Remarqué auparavant dans River’s Edge, Dangerous Liaisons et Bill & Ted’s Excellent Adventure, l’acteur canadien multiplie ainsi les choix payants au tournant des années 1990, crevant l’écran sous les traits de John Utah, le flic-surfer de Point Break, de Kathryn Bigelow, avant de doubler la mise au guidon de sa Norton Commando dans My Own Private Idaho, de Gus Van Sant. Le duo de marginaux qu’il y compose avec River Phoenix entre dans la légende, et rien ne semble plus devoir lui résister. Il aligne alors les rôles pour Francis Ford Coppola (Dracula) ou Bernardo Bertolucci (Little Buddha) avant que Speed, de Jan de Bont, un film d’action sous adrénaline, ne lui vaille ses galons de superstar hollywoodienne. Le genre à ne devoir se priver de rien, ce dont Reeves ne se fait d’ailleurs faute, lui qui mènera, pendant quelques années, une existence nomade le conduisant d’hôtel en hôtel, comptant pendant quatre ans parmi les résidents intermittents du château Marmont, palace qui offrira son cadre au Somewhere de Sofia Coppola – « Bel endroit. Je ne trouvais pas de maison qui me plaise, où je me sente chez moi », commentait-il vingt ans plus tard. Ou qui, grand seigneur, accepte de rogner son salaire de deux millions de dollars pour permettre à la production de Devil’s Advocate d’engager Al Pacino, voire même de 90 % pour que celle de The Replacements puisse faire appel à Gene Hackman.

Rien n’est trop beau, alors, pour la star que The Matrix, le film de science-fiction des Wachowski, semble devoir installer à demeure au firmament hollywoodien. Impression trompeuse, toutefois : voilà un moment en effet que, de Johnny Mnemonic en A Walk in the Clouds ou autres The Last Time I Commited Suicide, Keanu Reeves navigue à vue, au risque de voir sa carrière définitivement prendre l’eau. Avec le recul, il est d’ailleurs aisé de voir, dans la trilogie des frères (et bientôt soeurs) Wachowski, un ultime coup d’éclat, le chant du cygne augurant de lendemains qui déchantent. Ce que le comédien ne dément d’ailleurs que mollement : « J’adore ces films. Je m’estime chanceux, et je suis reconnaissant d’avoir eu l’opportunité de jouer dans cette trilogie. On ne peut jamais être certain de l’impact qu’aura un film en le tournant. Mais je pense que les frères Wachowski, eux, savaient : le scénario était brillant, le concept magnifique, et le bullet time ne pouvait que marquer les esprits. On n’a d’ailleurs pas cessé d’en retrouver des déclinaisons par la suite. Si un tel projet devait à nouveau se présenter, je serais ravi d’en être… »

Un ordinaire tendance nanar

A défaut de quoi, il se multiplie dans les projets les plus divers, déclinant son profil d’acteur caméléon, de comédie romantique en film d’action avec un bonheur que l’on qualifiera pudiquement de relatif. Reeves n’en conçoit à l’évidence pas d’amertume : l’homme a connu son lot de drames personnels et semble avoir développé une philosophie zen sur laquelle viennent glisser les aléas de sa carrière. Nul hasard à ce que, interrogé sur celui de ses rôles l’ayant le plus marqué, il réponde, sans l’ombre d’une hésitation, celui de Little Buddha : « On ne peut se rendre à Katmandou et passer tant de temps avec des bouddhistes sans en être affecté. » Avant d’ajouter, comme pour mieux justifier un parcours en dents de scie : « J’ai eu la chance de pouvoir faire différents types de films, et j’espère qu’il en ira encore ainsi. »

Films d’arts martiaux (47 Ronin, Man of Tai Chi, qu’il a lui-même mis en scène), thrillers (Knock Knock, Exposed), science-fiction (Replicas, Bad Batch, annoncé comme une histoire d’amour située dans un terrain vague du Texas habité par des cannibales (!)) composent désormais son ordinaire tendance nanar, qu’il relève de temps à autre d’un morceau de choix. Ainsi, tout récemment, de The Neon Demon, de Nicolas Winding Refn. « A la minute où le nom de Keanu Reeves a été prononcé, j’ai su qu’il serait le meilleur choix, expliquait ce dernier. Peu d’acteurs ont son statut d’icône populaire, son talent et une véritable aura de star. » En gérant de motel peu commode, Reeves y semble bien loin, en tout état de cause, de ses rôles d’éternel jeune premier, ou de sauveur de la planète à répétition…

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