Les astronautes américaines Christina Koch et Jessica Meir : une première envolée dans l'espace en solo féminin. © BELGAIMAGE

2019, l’année du deuxième sexe

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

2019, année de la femme ! Pas de la parité, non, il ne faut (pas encore) exagérer. Mais bien de la visibilité. Succès artistiques, professionnels, médiatiques, sportifs… Il y a plus d’égalité dans l’air, depuis que #MeToo l’a oxygéné. Ce qui n’empêche pas certains de suffoquer : les masculinistes et autres réactionnaires sont plus que jamais au taquet.

C’est un peu comme si McDo se mettait à prôner la diète. Ou Jupiler l’abstinence éthylique. Donc, après avoir aidé à conditionner tant de petites filles durant des décennies, Barbie s’est trouvé un nouveau slogan.  » Tu peux être tout ce que tu veux.  » Et Mattel y a été, cette année, niveau publicité. Une poupée docteur, pompier, agent secret… . Là un spot où un papa confie passer ses dimanches à jouer avec sa fille, là une campagne de soutien à des journées de tests métiers… Bye bye, blondie !

Le sexisme n’est plus à la mode. Allez savoir quand c’est arrivé. Sans doute après #MeToo et #BalanceTonPorc, fin 2017. Probablement à la suite de toutes ces paroles libérées. Certainement en raison de ces nouvelles générations de filles et de garçons pour qui l’égalité est (mieux) acceptée. Assurément grâce aux combats de leurs aînés. Bref, en 2019,  » le féminisme a gagné le combat des idées, comme l’a plusieurs fois répété dans ces pages Sylvie Lausberg, présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique. Un comportement de gros lourd, de macho, il y a trois ans, ça passait. Plus aujourd’hui.  »

Pas plus qu’un comportement de grosse lourde. Lancer dans une émission télé, à propos d’une mère de deux enfants, séparée, payée au smic et qui a du mal à finir le mois, que quand on est pauvre,  » faut peut-être pas divorcer, non plus  » (coucou, la chroniqueuse catholique traditionaliste Julie Graziani, en novembre, sur LCI), ben ça conduit désormais à se faire virer. Tweeter  » dans ma génération, les garçons recherchaient les petites Suédoises qui avaient la réputation d’être moins coincées que les petites Françaises. J’imagine notre étonnement, notre trouille si nous avions approché une Greta Thunberg…  » (copyright Bernard Pivot, 25 septembre), ça vous fait juste passer pour un vieux plouc. Fanfaronner lors d’une conférence que signer de nouveaux clients, c’est  » comme rentrer dans le pantalon d’une fille  » qui, a priori, n’en avait pas trop envie (dixit le financier américain Ken Fisher, en octobre), ça vous fait perdre des contrats de plusieurs millions de dollars. Insulter et harceler des journalistes sur les réseaux sociaux, genre  » Myriam [Leroy], petite pute suceuse de bites sionistes, ferme ton trou à pipes  » ou  » une inculte doublée d’une peste, le tout avec les oreilles décollées « , ça conduit désormais à un procès devant le tribunal correctionnel.

Parmi les femmes qui se sont imposées en 2019 : Mona Chollet, auteure de Sorcières.
Parmi les femmes qui se sont imposées en 2019 : Mona Chollet, auteure de Sorcières.© ERIC FOUGERE/GETTY IMAGES

Les gagnantes

Par contre, chanter Balance ton quoi, comme Angèle, ça rapporte 52 millions de vues sur YouTube depuis la sortie du clip, en avril. Publier Sorcières. La puissance invaincue des femmes, comme Mona Chollet, ça fait rester plus de trente semaines d’affilée dans le top 10 des meilleures ventes d’essais. Diffuser les matchs de la Coupe du monde féminine de foot, qui s’est déroulée en France cet été, ça attire 1,12 milliard de téléspectateurs ( lire aussi page 120). Trente pour cent de plus qu’il y a quatre ans. Réaliser le Portrait de la jeune fille en feu, comme Céline Sciamma, ça fait pleuvoir les éloges et ça obtient le prix du meilleur scénario au festival de Cannes.

Parmi les femmes qui se sont imposées en 2019 : La puissance invaincue des femmes, Céline Sciamma, réalisatrice de Portrait de la jeune fille en feu.
Parmi les femmes qui se sont imposées en 2019 : La puissance invaincue des femmes, Céline Sciamma, réalisatrice de Portrait de la jeune fille en feu.© ALBERTO PIZZOLI/

Pile septante ans après la publication de la sacrée paire de bibles de Simone de Beauvoir, le  » deuxième sexe  » passe (enfin) au premier plan. Les deux astronautes américaines Christina Koch et Jessica Meir se sont pour la première fois envolées dans l’espace en solo féminin, plus de cinquante ans après que les hommes ont commencé à chatouiller les étoiles. L’économiste française Esther Duflo a reçu le Prix Nobel d’économie, pour la deuxième fois depuis la création de cette récompense en… 1968. Du haut de ses 16 ans, Greta Thunberg a traversé l’Atlantique et les torrents de haine pour mettre le nez du monde dans son désastre écologique. La libérale Sophie Wilmès est devenue Première ministre ( lire aussi page 40), un titre dont l’accord belge au féminin aura quand même dû attendre 189 ans. Les gouvernements de la Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ensemble, sont constitués quasiment paritairement (six femmes sur treize ministres).  » Il y a deux voies d’avenir, en politique, nous confiait récemment un homme politique socialiste. Les jeunes et les femmes.  » En France, Emmanuel Macron n’a-t-il pas déclaré, en novembre, que l’égalité entre les sexes était la  » grande cause du quinquennat  » ?

Parmi les femmes qui se sont imposées en 2019 : les joueuses américaines lors de la Coupe du monde de foot féminin.
Parmi les femmes qui se sont imposées en 2019 : les joueuses américaines lors de la Coupe du monde de foot féminin.© MARC ATKINS/GETTY IMAGES

Surfer sur la femme

T’es féminine, t’es devenue in ! Girl power, le nouveau créneau des annonceurs. Nike qui se demande  » de quoi sont faites les filles « , Nana qui clame  » Viva la vulva « , Lidl qui invite à devenir  » le roi ou la reine de fourneaux  » et à bricoler  » comme maman ou papa avec ta foreuse  » dans son catalogue de jouets de fin d’année, Gilette qui questionne les clichés de la masculinité et, donc, Barbie qui espère susciter des vocations (autres que potiches, s’entend)… Tellement à la mode que le feminism washing a même fait son apparition. Comme pour sa version green, le terme dénonce désormais les firmes qui se muent en héroïnes marketing de la parité, mais qui, concrètement et dans les faits, se gardent bien d’y oeuvrer. #faitescequejedispascequejefais, #tantqueçafaitvendre.

Il y a de toute façon désormais des tas de vigies pour les dénoncer. Sur les réseaux sociaux, en particulier Instagram, des comptes aux milliers d’abonnés font avancer la cause féministe version 2.0. En relayant des témoignages, en dénonçant des inégalités, en relevant toutes ces petites phrases quotidiennes qui sexisent encore le monde… Mais aussi en célébrant les avancées, des plus petites aux plus grandes. Du style : youpie, telle enseigne a retiré sa publicité sexiste et hourra, Christine Lagarde est devenue présidente de la Banque centrale européenne et Ursula von der Leyen a pris la tête de la Commission européenne. L’année 2019 fut aussi celle de l’explosion des podcasts féministes (La Poudre, Les couilles sur la table, Quoi de meuf, Yesss…), davantage écoutés par les jeunes que la télé. Pas étonnant que les médias traditionnels se mettent à ces nouveaux canaux, comme la RTBF avec ses  » Grenades « , qui  » dégoupillent l’actualité  » d’un point de vue genré. Et même Le Vif/L’Express, avec sa nouvelle chronique  » Armes égales  » (ceci n’est pas un publireportage).

Parmi les femmes qui se sont imposées en 2019 : Esther Duflo, prix Nobel d'économie.
Parmi les femmes qui se sont imposées en 2019 : Esther Duflo, prix Nobel d’économie.© SCOTT ELSEN/GETTY IMAGES

Rendez-nous notre position dominante !

Tant de femmes dans l’espace public, médiatique, artistique, politique, pour certains, ça commence à faire beaucoup. Trop. Cela s’appelle le backlash et c’est un phénomène aussi vieux que la lutte féministe. Un retour de bâton, de manivelle ou de balancier plus vigoureux à chaque avancée en faveur du sexe de moins en moins faible. Droit à la contraception, bam ! Droit à l’avortement, pan ! Droit au divorce, paf ! Droit à l’ouvrir et à dire  » stop « , prenez-vous maintenant ça dans les dents. Selon les spécialistes, les historiens, #MeToo serait devenu un tel moment clé qu’il aurait ravivé toutes les flammes masculinistes, qui ne s’éteignent jamais vraiment au fil des années.

Le financier Ken Fisher et l'ex-président de l'Académie Goncourt, Bernard Pivot, se sont mordu les doigts après, respectivement, une conférence et un tweet malheureux.
Le financier Ken Fisher et l’ex-président de l’Académie Goncourt, Bernard Pivot, se sont mordu les doigts après, respectivement, une conférence et un tweet malheureux.© MICHEL STOUPAK / GETTY IMAGES

Ça peut se comprendre : ces messieurs se questionnent désormais sur leur identité. L’un des best-sellers de l’année écoulée n’est-il d’ailleurs pas Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités, d’Ivan Jablonka ? Ça passe plus difficilement lorsque d’aucuns en profitent pour prôner un retour à cette bonne vieille société phallocrate. Sur des blogs, des groupes Facebook, dans des livres, dans des manuels de drague… Certains pleurent toujours d’avoir appris cet été que le prochain 007 serait une agente. Une Noire, encore bien ! Si, en plus, elle commence à coucher avec des James Bond boys… Où va le monde, mon pauvre Lucien ? Sur ces lamentations-là, Lucette, elle, elle sourit. Car ce monde va vers un mieux, paritairement parlant. Tant pis pour ceux qui ne l’ont pas encore compris.

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