De Barcelone à Bruxelles, les militants catalans ont mobilisé les foules. Et fait trembler l'Espagne. © Jon Nazca/reuters

2017, l’année où la Catalogne a fait trembler l’Europe

Le 27 octobre, le parlement catalan votait pour l’indépendance de la Catalogne. L’Etat central n’a pas laissé faire. La secousse sismique a été ressentie jusqu’en Belgique. Y aura-t-il des répliques ?

Etait-ce leur dernière photo ensemble ? Le 18 août à Barcelone, dans un silence de plomb, le roi Felipe VI d’Espagne, le Premier ministre Mariano Rajoy et le président de la Généralité de Catalogne Carles Puigdemont se tiennent côte à côte durant de longues minutes de recueillement, sur une place noire de monde. La veille, un terroriste islamiste au volant d’une fourgonnette a délibérément fauché des passants sur les Ramblas, tuant seize personnes et en en blessant des dizaines d’autres. Le même scénario s’est joué quelques heures plus tard à Cambrils. Bilan : six blessés. Face à l’horreur, c’est l’union sacrée entre tous, Espagnols comme Catalans.

24 novembre : le même Carles Puigdemont se retrouve en exil en Belgique, avec la justice aux trousses. L’homme qui porte le sentiment national catalan depuis 2016 en est réduit à organiser son meeting politique par vidéo depuis un hôtel d’Oostkamp, près de Bruges, avec derrière lui, les drapeaux catalan et européen.  » Nous, les Catalans, avons démontré au monde que nous avons la capacité et la volonté de devenir un Etat indépendant « , déclare-t-il, lui qui estime que la Catalogne remplit tous les critères en ce sens, et que l’autodétermination est le droit de chaque peuple. Il a désormais en vue le nouveau scrutin du 21 décembre. Des libéraux à l’extrême gauche, les partis qui veulent dire  » adios a Madrid  » ont tous accepté d’y prendre part.

Le déni démocratique est devenu la première motivation de séparation

De Barcelone à Oostkamp, la Catalogne aura fait trembler l’Espagne, et, au-delà, toute l’Europe. Déjà avant l’été, Carles Puigdemont avait annoncé un référendum destiné à transformer la Catalogne, moteur économique de l’Espagne, en une république indépendante. Malgré l’opposition de la Cour constitutionnelle espagnole, malgré l’arrestation de quatorze hauts responsables catalans et la saisie de millions de votes, la consultation a bien lieu comme prévu le 1er octobre. Un climat électrique. Les forces de l’ordre envoyées par Madrid tentent de saisir les urnes dans une centaine de bureaux. Des images de violences policières tournent en boucle et entraînent deux jours plus tard une manifestation de quelque 700 000 personnes. Entre-temps, les autorités catalanes ont annoncé le résultat : le oui l’emporte à 90 %. Mais avec une participation qui ne dépasse pas 43%…

Déni démocratique

Le feu couvait depuis longtemps. En 2006, le Parlement espagnol renforce l’autonomie de la Catalogne, définie comme une nation au sein de l’Etat espagnol. Or, le parti de Mariano Rajoy, le Partido popular (PP, conservateur), alors dans l’opposition, conteste auprès de la Cour constitutionnelle les termes de cette autonomie catalane, la qualifiant d' » antichambre du démembrement de l’Espagne « . En 2010, La Cour annule une partie du statut catalan. C’est le début de gigantesques marches de protestation. Le 11 septembre 2012, jour de la fête de la Catalogne, plus d’un million de personnes défilent à Barcelone en faveur d’un Etat indépendant. Neuf jours plus tard, Mariano Rajoy, chef du gouvernement espagnol depuis l’année précédente, refuse de négocier avec Artur Mas – le prédécesseur de Puigdemont – une plus grande autonomie budgétaire. Cette intransigeance du pouvoir central, et en particulier du Partido Popular, ne fera que grossir les rangs des indépendantistes qui étaient jusque là minoritaires.

 » La Catalogne ressentait déjà une forte identité culturelle, malgré le souhait du Parti populaire de la « réhispaniser », éclaire Bruno Coppieters, professeur à la VUB et spécialiste des mouvements de sécession. Economiquement, elle estime aussi, avec raison, que le système de redistribution entre régions se fait en sa défaveur, et qu’il est bien moins efficace que dans les systèmes fédéraux démocratiques comme l’Allemagne. Mais c’est surtout le déni démocratique qui est devenu la première motivation à se séparer : quand la Cour constitutionnelle a révisé à la baisse le statut d’autonomie de la Catalogne en 2010, cela a été ressenti comme une gifle et ce fut le début d’un mouvement irrépressible.  »

Barcelone, le 18 août, au lendemain de l'attaque terroriste : l'union dans la douleur.
Barcelone, le 18 août, au lendemain de l’attaque terroriste : l’union dans la douleur.© Robin Utrecht/belgaimage

Chiffon rouge

Le 27 octobre, le parlement catalan vote unilatéralement en faveur de l’indépendance. Un vote étriqué : seuls 70 des 135 députés sont présents. Cette proclamation est un chiffon rouge agité sous la barbe de Mariano Rajoy, qui appelle à la destitution de Puigdemont, à la dissolution immédiate du parlement régional et à la convocation d’élections. A Madrid, le Sénat adopte à une large majorité cette mise sous tutelle, en vertu du redoutable article 155. L’Espagne vient ainsi d’entrer dans sa pire crise politique depuis qu’elle est redevenue démocratique en 1978, si l’on excepte le putsch manqué en 1981. Avec le roi aussi, c’est le divorce. Dans une allocution en forme de charge cinglante, le souverain s’en prend à la  » conduite irresponsable  » et à la  » déloyauté inadmissible  » des dirigeants catalans.

De la déclaration d’indépendance à la mise en oeuvre, il y a toutefois un énorme pas, surtout si la moitié de l’exécutif catalan est placée en détention provisoire pour rébellion et sédition. Face à la machine judiciaire qui se met en branle, Puigdemont choisit la fuite avec quatre de ses anciens ministres. Direction la Belgique ! Pour les beaux yeux de la N-VA, toute câline envers l’indépendantisme catalan ?  » Car Bruxelles est la capitale de l’Europe « , s’empresse de rectifier le Harry Potter catalan, qui dit vouloir dénoncer le  » grave déficit démocratique  » au sein de l’Etat espagnol. L’Union européenne fera la sourde oreille, considérant qu’il s’agit d’une affaire intérieure, et voulant à tout prix éviter un précédent qui ouvrirait la boîte de Pandore des indépendances : Flandre, Ecosse, Pays basque, et on en passe.

Pour Puigdemont, ce sera la désillusion. Amer, il lâchera face à une télé israélienne que l’Union européenne n’est qu' » un club de pays décadents, obsolètes, gouverné par une petite poignée de personnes et, qui plus est, très liées à des intérêts économiques de plus en plus contestables « . Il fulmine de voir que la légitimité de son combat doit s’écraser face à une légalité toute rigide. Sa seule consolation est d’avoir trouvé un peu de chaleur et d’écoute auprès de députés de la N-VA. Et même auprès de Charles Michel. Acculé par son partenaire nationaliste, le Premier ministre belge avait critiqué la répression orchestrée par la police espagnole le jour du scrutin. Il s’est bien gardé par la suite d’en rajouter vu la réplique cinglante de Madrid qui s’attendait à davantage de solidarité.

Manifestation pour la libération de l'exécutif catalan, dont la moitié des membres est alors placée en détention provisoire pour rébellion.
Manifestation pour la libération de l’exécutif catalan, dont la moitié des membres est alors placée en détention provisoire pour rébellion.© Miquel Llop/belgaimage

Impasse politique

Le scrutin qui vient de se tenir aura démontré que partisans et opposants de l’indépendance se tiennent de très près. Mariano Rajoy a déjà assuré qu’il discuterait avec toutes les forces politiques.  » Après les élections, au-delà de ce que disent les urnes, je resterai le président (sic) de tous et je parlerai avec tout le monde mais, de la même manière, j’exigerai de tous qu’ils respectent le cadre de la Constitution et de la loi « , a déjà annoncé le Premier ministre espagnol.  » C’est bien là le problème, analyse le professeur Bruno Coppieters. Depuis le début, les Catalans acceptent de négocier, mais uniquement de l’indépendance. Madrid accepte de parler de tout, sauf précisément de ce sujet-là. C’est aussi la raison pour laquelle Madrid refuse toute médiation, car la sécession pourrait alors se trouver sur la table des discussions.  »

De nouvelles actions unilatérales des indépendantistes n’auraient pas davantage de chances d’aboutir que dans le passé. Ce serait à nouveau l’impasse politique. De plus, si tous sont d’accord sur l’objectif, la confusion reste grande sur la mise en oeuvre : avec une armée indépendante ? sous le parapluie de la Banque centrale européenne ? et quid de la reconnaissance par les autres Etats ? Une déclaration de rupture, a déjà averti la conférence épiscopale espagnole, serait  » un fait grave et perturbant pour notre vie commune, allant au-delà des divergences entre formations politiques « . Plus de 400 prêtres et diacres catalans avaient signé un manifeste en faveur du référendum. Pas sûr que tous vont rentrer au bercail de l’unitarisme.

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