
Les jardins thérapeutiques, précieux supports pour la santé mentale: «Cultiver la terre m’apaise»
En pleine expansion en Belgique, les jardins thérapeutiques créent une jonction parfaite entre la santé humaine et le respect de la nature. Leurs bienfaits soignent autant le corps que l’esprit.
Pour Sébastien (*), la nature a toujours été un repère, un point d’ancrage. «Petit, je jouais dans les bois, je voyais mon père entretenir le jardin», se rappelle le jeune homme de 36 ans. Alors, quand des troubles mentaux et des problèmes d’addiction ont déboulé dans sa vie, elle est devenue son «jardin d’Eden», comme la qualifie ce bénéficiaire de l’asbl La Charnière, un centre de revalidation fonctionnelle situé à Namur. «J’ai souffert de dépression et été diagnostiqué schizophrène, poursuit-il. Après une première session avec l’asbl en 2020, j’ai malheureusement rechuté dans la drogue pendant le covid. Depuis lors, j’ai renoué avec une dynamique positive et je suis stabilisé.» Sébastien participe notamment à des ateliers de contact avec la nature, qui l’aident à retrouver le chemin de la réinsertion socioprofessionnelle.
Chaque vendredi après-midi, il se rend dans un écrin de verdure de deux hectares, qui s’étend à l’arrière d’un centre spirituel jésuite, logé sur un flan de la vallée de la Meuse, à Namur. Depuis quelques années, l’asbl non confessionnelle Therra y exploite une parcelle de 50 ares, sous la forme d’un jardin thérapeutique essentiellement dédié aux personnes fragilisées sur le plan social, psychique ou économique. Ici, la nature apaise les âmes, ouvre une parenthèse face aux tumultes de la vie, brise l’isolement. Cette hortithérapie passe par des carrés potagers de diverses hauteurs, afin de convenir à tous les publics. Par des rectangles de jardinage, une récente mare, un cercle de rondins de bois propice aux échanges autour d’un feu, une petite cabane faite de branches rassemblées en cône pour les enfants, une grande serre. Mais aussi par beaucoup de végétation spontanée: des arbres, des ronces, des herbes hautes, des boutons d’or… Tout ce que la nature peut offrir sans une volonté de maîtrise à l’excès.
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«Plus on diversifie, plus on enrichit»
«Cultiver la terre m’apaise, témoigne Sébastien. On a l’impression d’être un créateur. J’ai appris que plus on diversifie, plus on enrichit. C’est valable aussi dans la vie. Au jardin thérapeutique, nous ne faisons pas que planter. Nous avons découvert des espèces comestibles, appris à cuisiner avec des plantes de saison, réalisé des herbiers d’espèces aux propriétés médicinales, récolté une partie du miel des ruches, fait de la pleine conscience…» Tout cela en emmagasinant, en parallèle, une impressionnante connaissance des interactions entre les plantes et la microfaune des sols. Sébastien s’est d’ailleurs imprégné de la lecture de La révolution d’un seul brin de paille, de Masanobu Fukuoka, un ouvrage de référence sur l’agriculture naturelle. Son rapport à la terre se prolonge aussi en dehors du cadre associatif. Une bonne partie de la semaine, il refaçonne le grand jardin de sa maman en l’agrémentant de nouveaux arbres, de fleurs, de parterres. Et esquisse, pour le futur, la perspective d’utiliser la nature comme un précieux vecteur en tant qu’éducateur.
«Le but d’un jardin thérapeutique est d’être au service de la santé physique et mentale, en recréant du lien avec la nature.»
Anne-Claire Orban
Coordinatrice de l’asbl Therra
«Le but d’un jardin thérapeutique comme celui de Therra, c’est d’être au service de la santé physique et mentale en recréant du lien avec la nature par le travail de la terre, des moments de convivialité et des espaces de repos», résume Anne-Claire Orban, coordinatrice de l’asbl. Sa mission est préventive: via des ateliers récurrents et des séjours de ressourcement, elle vient en support à des personnes en situation de fragilité ou d’exil, à risque de développer un burnout ou encore à des mères célibataires. Ces publics lui sont adressés par des structures comme La Charnière, mais aussi par des maisons médicales, des services d’insertion sociale, SOS Burn-out… «Les retours d’expérience sont hyperpositifs, sourit Anne-Claire Orban. Les participants nous disent souvent que cela leur a permis de reprendre confiance en eux, en leurs capacités physiques, en leur faculté d’interagir avec les autres.»
Un jardin thérapeutique n’est pas l’autre
Inutile de chercher une trame paysagère commune à l’ensemble des jardins thérapeutiques. Leur décor, leurs aménagements varient considérablement en fonction des usages. «En ce moment, on accompagne un service en soins palliatifs dans la mise en place de leur jardin, et le résultat est tout à fait différent, poursuit-elle. Pour des personnes alitées ou à la mobilité très réduite, on jouera sur tous les sens, avec des plantes au parfum perceptible jusque dans les chambres, des couleurs vives, des arbres dont le bruissement des feuilles est plus fort que d’autres espèces.»
Quand il vient en support à la revalidation, comme c’est le cas au CHU Brugmann depuis quatre ans, un jardin thérapeutique peut reproduire un parcours de marche varié en extérieur, agrémenté de pavés et de bordures. Toujours en Région bruxelloise, aux hôpitaux Iris sud, le docteur Daniel Desmedt a créé un petit potager thérapeutique il y a une quinzaine d’années déjà, sur le site Molière Longchamp, à Forest. «L’idée m’était venue après avoir été frappé par le rôle social des potagers partagés, raconte l’ancien chef de service, aujourd’hui à la retraite, de l’unité de psychiatrie. Avec l’équipe et le conseil d’une psychologue du service faisant du maraîchage, nous avions installé à l’époque des carrés potagers, cultivés par les patients hospitalisés et par l’équipe soignante.»
Solidarité et rapport au temps
Les bienfaits apparurent rapidement. «Les patients bénéficient du travail de ceux qui les ont précédés et travaillent en quelque sorte pour ceux qui leur succéderont, reprend le psychiatre. Cela développe une forme de solidarité. Il est aussi arrivé que des patients éprouvant des difficultés à se repérer dans le temps parviennent à arroser une plante chaque soir. Une telle activité les aide à retrouver un rapport au temps. Enfin, il est assez extraordinaire de voir à quel point un potager thérapeutique fait rejaillir des souvenirs, et suscite donc des échanges entre les personnes. Les patients venant d’Afrique nous racontait comment ça se passait dans leur pays, et inversement.» De même, Daniel Desmedt a pu observer des échanges différents entre les patients et le personnel médical ou soignant, selon qu’ils se croisaient dans les couloirs de l’hôpital ou dans un environnement naturel.
L’initiative de cette unité de psychiatrie en inspira d’autres. Une fois validée par les autorités de l’hôpital, elle aboutit à la création d’un jardin thérapeutique plus vaste sur le même site. Puis à un «Parcours des saveurs» sur celui d’Etterbeek-Ixelles, entretenu entre autres par des enfants en pédiatrie et utilisé comme support par des nutritionnistes pour conseiller des patients en surpoids. Aujourd’hui, bien d’autres établissements de taille variée ouvrent leurs portes aux ressources de la nature environnante, dont les bienfaits pour la santé physique et mentale sont scientifiquement validés.
Bien que cette mouvance gagne du terrain, la marge de progression reste importante en Belgique. «Penser la formation des soignants en lien avec la nature, cela se fait déjà depuis les années 1970 au Canada et aux Etats-Unis, commente Anne-Claire Orban. Ils sont beaucoup plus avancés que nous sur ces questions, tout comme le Japon avec les bains de forêt, les shinrin-yoku. En Europe, les pratiques varient selon les pays. Les Pays-Bas et la Flandre misent surtout sur l’agriculture sociale. L’Angleterre pousse davantage les bains de forêt. Quant à l’hortithérapie, comme ce que nous faisons chez Therra, elle est beaucoup plus présente en France.» La Wallonie, elle, se nourrit de ces influences diverses avec un intérêt évident, comme l’illustre le succès d’un récent colloque, sold-out, de l’asbl, axé sur les soins verts.
Lever les barrières
Intuitif pour beaucoup, le contact avec la nature est loin d’être un réflexe pour certains publics fragilisés. Finances, mobilité, obligations parentales, écueil de la langue… Therra tente de lever le plus grand nombre possible de barrières, que ce soit en multipliant les jardins thérapeutiques (elle est aussi active à Andenne, Huy, Hannut, Dinant) ou en proposant des activités gratuitement, par exemple pour les mères célibataires. Si l’asbl accueille régulièrement des enfants, elle peine convaincre les adolescents en décrochage scolaire. «Il est très compliqué de toucher les 16-22 ans, malgré nos efforts en ce sens depuis un an et demi, relève Anne-Claire Orban. Les activités en nature, ça ne leur parle pas du tout. Ils sont généralement à mille lieues d’avoir envie de s’intéresser à l’environnement.»
Prendre soin de la vie pour prendre soin de soi. Tel est le message que les jardins thérapeutiques tentent de distiller. Mais dans un monde où le fossé entre l’homme et la nature ne cesse de se creuser, et tandis que les diversions de l’artificiel tendent à supplanter le naturel, l’indispensable lien n’apparaît plus toujours avec autant d’évidence.
(*) prénom d’emprunt
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