En deux mois et demi, la Belgique a enregistré 618 heures d’ensoleillement. Et seulement 30,6 minutes de pluie. © BELGA

La sécheresse exceptionnelle en Belgique en 5 questions

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

La sécheresse qui frappe notre pays n’est pas banale, mais pas inédite non plus. Ses conséquences sont nombreuses. A l’avenir, il faudra bien s’adapter.

Ras-le-bol de toute cette pluie! L’an dernier, à la même époque, les Belges pestaient contre la météo humide. Et pour cause, avec 285,2mm de pluie et 63 jours de précipitations, il s’agissait du deuxième printemps le plus pluvieux jamais enregistré en Belgique, après celui de 1965. Une année n’est pas l’autre. Ce printemps-ci, les Belges bougonnent contre le… manque de pluie. Et pour cause, avec pour l’instant 30,6mm de pluie, il s’agit de la sécheresse printanière la plus extrême jamais enregistrée depuis 1893 où, du 1er mars (début du printemps météorologique) au 31 mai, seulement 37,6mm de pluie étaient tombés. Soulignons que la normale s’élève à 127,4mm. Record de sécheresse battu en 2025? Tout dépendra des précipitations attendues à partir du 24 mai, selon les prévisions annoncées. En tous les cas, le record précédent de 1976, avec seulement 69mm, devrait, lui, être enfoncé.

1. L’été qui suit, très sec lui aussi?

Cette sécheresse anormalement longue depuis mars augure-t-elle un été particulièrement sec lui aussi? Les météorologues semblent l’annoncer. Il faut néanmoins rester prudent. «En deux mois et demi, on a enregistré 618 heures d’ensoleillement, c’est énorme, constate Pascal Mormal, de l’IRM, qui est incollable sur les statistiques météorologiques. On dépasse donc déjà le record absolu de 2011, qui était de 539 heures. Mais, en 2011, à cet ensoleillement abondant, avait succédé un été très pluvieux. Il n’y a donc pas toujours d’analogie entre un printemps très ensoleillé et un été très sec, même si les modèles de prévision saisonnière vont dans ce sens. Plusieurs facteurs interviennent. On sait que le soleil généreux provoque de l’évaporation et de l’évapotranspiration des végétaux, ce qui crée de l’humidité dans l’atmosphère, propice aux pluies. Mais si le sol est très sec, comme actuellement, ce phénomène n’a pas lieu.»

C’est ce qui s’est passé en 1976 où, après un printemps quasi sans pluie, la météo a embrayé avec un mois de juin et un début juillet extraordinairement secs également, où il n’était tombé que 12 mm d’eau. Du 22 juin au 8 juillet, on avait même enregistré quinze à seize jours consécutifs où le thermomètre avait atteint ou dépassé les 30 °C et ce, presque partout en basse et moyenne Belgique, en Campine, en Gaume et dans la plupart des vallées ardennaises. Une aussi longue série de jours de canicule est unique dans l’histoire météorologique belge. L’année 1976 reste, à cet égard, un cas d’école, du moins dans le nord-ouest de l’Europe. Durant le reste de juillet, de violents orages avaient sévi un peu partout, puis au mois d’août, nouvelle vague de chaleur, moins forte, mais avec une sécheresse à nouveau intense.

«Culpabiliser les gens dans leurs usages est idiot et contre-productif.»

2. Des sécheresses de plus en plus récurrentes?

Si 1976 est légendaire dans les annales météo, d’autres années ont connu des vagues de chaleur moins longues mais avec des pics de température record. Ainsi, durant l’été 2019, le mercure a atteint presque 40 °C et, en 2020, 38 °C. Le printemps 2022 a aussi été particulièrement sec, avec une vague de chaleur précoce en juin. Rappelons qu’une vague de chaleur ou canicule est un phénomène météorologique où les températures sont anormalement élevées, de jour comme de nuit, durant plusieurs jours, contrairement aux pics de chaleur qui ne durent que 24 à 48 heures.

 «Les phénomènes de sécheresse ne sont pas historiquement inédits, mais il est indubitable que la récurrence de ce genre de phénomène dans la longueur est plus importante qu’auparavant, relève Pascal Mormal. Il est aussi intéressant d’observer que le nombre de vagues de chaleur a explosé en Belgique depuis quelques années. Jusqu’aux années 1980, il y avait une vague de chaleur environ tous les quatre ans. Depuis 2015, on en a connu douze. Donc, sur les 48 vagues survenues depuis l’extrême sécheresse de1842 en Europe, un quart se sont produites ces dix dernières années. Et on doit mettre cela en parallèle avec les vagues de froid qui, elles, sont en recul. On n’en a plus connu chez nous, depuis dix ans.»

3. Le réchauffement climatique, seul responsable?

Il faut être nuancé, car toutes les sécheresses ne sont pas dues au changement climatique. D’ailleurs, on sait que celles-ci existaient, de manière parfois sévère, bien avant le réchauffement anthropique, notamment au Moyen Age. Elles s’inscrivent donc dans une forme de variabilité naturelle du climat et on ne peut dès lors pas dire avec certitude que la sécheresse actuelle est causée par le dérèglement climatique. En revanche, ce dernier constitue très probablement un facteur aggravant du phénomène dans sa longueur et son intensité, comme pour les pluies. «Il n’y a pas de variation des cumuls annuels de pluie, mais dans la répartition des épisodes pluvieux et de sécheresse qui sont devenus plus longs, on peut certainement voir une influence directe du réchauffement, affirme Pascal Mormal. Celui-ci exacerbe à l’évidence les extrêmes.»

4. Feux et eau, quelles conséquences?

Le risque majeur lié à la sécheresse est sans doute celui des feux de forêt ravageurs. Les autorités belges ne cessent de lancer des messages de prévention, à juste titre. Le Canada a déjà souffert, ce mois de mai, de feux actifs dus aux conditions particulièrement sèches et a déploré deux morts. On se souvient surtout de la série d’incendies qui a touché la région métropolitaine de Los Angeles en janvier dernier, avec des scènes apocalyptiques de quartiers entiers complètement détruits par les flammes. Là aussi, une extrême sécheresse en était la cause, d’autant qu’elle suivait une période extrême de pluies qui avaient gonflé la végétation. Laquelle une fois sèche était devenue un véritable allume-feu géant.

La pénurie d’eau est une autre conséquence des phénomènes de sécheresse qui s’éternise. Lorsqu’on est confronté à une crise d’approvisionnement en eau, c’est que les nappes phréatiques et les lacs de barrage commencent à se tarir sérieusement. On parle alors de sécheresse hydrologique. En Belgique, la Flandre en souffre davantage, car ses réserves d’eau se situent plus en surface qu’en Ardenne et dans le sud du pays en général où les nappes phréatiques plus profondes prennent plusieurs années avant de s’assécher. D’ailleurs, les autorités wallonnes se veulent rassurantes. «Les réserves en nappes phréatiques et lacs de barrage sont jugées suffisantes, notamment grâce aux précipitations abondantes enregistrées en 2024, assure le ministre wallon Yves Coppieters. Des tensions ponctuelles pourraient survenir en cas d’été sec, sans toutefois nécessiter de restrictions généralisées.»

Côté flamand, le discours est différent. Le ministre régional Jo Brouns a recommandé dès la mi-mai de ne pas arroser sa pelouse inutilement et de reporter le lavage de sa voiture. Il est vrai qu’on a déjà constaté une hausse de la consommation d’eau de plus de 20% en Flandre. Outre la géologie, le fait que l’industrie (également gourmande en eau) et l’urbanisation (donc la bétonisation des sols) soient plus importantes au nord du pays constitue aussi des facteurs défavorables. Les enjeux sont de taille. Rappelons tout de même qu’en 2021, en Wallonie, les autorités avaient conservé de l’eau de barrage à un niveau très élevé, après quatre années très sèches, craignant justement une sécheresse importante et des pénuries d’eau potable en été. La gestion de certains barrages, qui n’ont pas été délestés de manière préventive, a été largement pointée du doigt après les inondations meurtrières de la Vesdre…

«Les politiques doivent avoir le courage de mettre en place une tarification progressive de l’eau.»

5. Quelles adaptations urgentes?

Tout cela pose l’inévitable question de l’adaptation aux phénomènes extrêmes récurrents. «Nous avons un climat naturellement variable, mais le souci pour le futur est que ces conditions alternées deviennent plus brutales, prévient Pascal Mormal. L’idéal est d’avoir des pluies régulières, pas trop violentes ni trop durables.» Mais ce scénario rêvé semble de plus en plus révolu. La prise de conscience devient urgente. «Nous ne pouvons plus parler d’exception, les sécheresses deviennent la norme, il est temps de nous préparer sérieusement», souligne le ministre fédéral du Climat Jean-Luc Crucke, qui pointe un réel risque accru d’incendies relevé dans le rapport du Centre d’analyse des risques climatiques et environnementaux (Cerac).

Autre secteur touché par la sécheresse: l’agriculture. «De manière générale, on ne cultivera plus demain en Belgique ce qu’on y cultive aujourd’hui, prédit François Gemenne, professeur à HEC Paris, politologue et spécialiste des questions environnementales. Le climat va remonter de 300 kilomètres d’ici 20 à 30 ans. On fera bientôt du très bon vin de Bourgogne en Wallonie.» Sur le plan des risques de pénuries en eau, le Pr. Gemenne déclare qu’il faut cesser de culpabiliser les particuliers avec leur pelouse ou leur piscine. «Des déclarations comme celles de Brouns, c’est idiot et c’est une manière de se défausser de ses responsabilités, dit-il. Les politiques doivent avoir le courage de mettre en place une tarification progressive de l’eau, les premiers mètres cubes nécessaires à la consommation de base étant quasi gratuits. Simplement régenter le comportement des gens est contre-productif.»

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