Photo de maisons illustrant la thématique du précompte immobilier
Il est fréquent que le revenu cadastral de deux maisons d’une même rue et au gabarit similaire, varie de plusieurs centaines d’euros, tout comme, dès lors, le précompte immobilier.

Précompte immobilier: 4 options pour en finir avec cet impôt particulièrement inéquitable

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Calculé à partir de données vieilles de 50 ans, le précompte immobilier reste l’un des impôts les plus inégalitaires du pays. A tel point que deux biens similaires peuvent être taxés du simple au triple.

Rares sont les propriétaires qui ne grimacent pas au moment d’ouvrir une enveloppe annuelle à l’objet peu réjouissant «Précompte immobilier – PRI». Il faut dire que cet impôt régional, adressé aux propriétaires d’un bien immobilier et calculé à partir du revenu cadastral, suscite parfois incompréhension et frustration, à force d’augmenter irrémédiablement d’année en année et de varier fortement selon les types de biens et leur localisation. Une maison cinq chambres à Rebecq? «Je paie 750 euros par an.» Une autre à Schaerbeek? «2.400 euros!» Il arrive même que la différence entre deux maisons d’une même rue et au gabarit similaire se chiffre à plusieurs centaines d’euros. Ou que le revenu cadastral d’une deux façades de centre-ville soit largement supérieur à celui d’une villa de périphérie huppée, située à quelques kilomètres de là. De quoi, effectivement, soulever des interrogations: quel en est encore le sens? Pourquoi tant de disparités et, surtout, comment restaurer l’équité?

Le montant du revenu cadastral de base est censé correspondre au loyer annuel net –c’est-à-dire déduit d’un forfait de 40% visant à couvrir les frais d’entretien et de réparation– qu’un propriétaire pourrait percevoir s’il mettait son bien en location en… 1975. Parmi les critères fixés à l’époque: la superficie utile, la situation géographique, la présence d’une salle de bains, d’une cuisine, d’un système de chauffage central… Tous les dix ans, l’administration fédérale aurait dû procéder à une «péréquation cadastrale», à savoir une étude systématique de tous les immeubles en Belgique, pour mettre les valeurs à jour. Vu son impopularité et l’ampleur de la tâche, la dernière remonte à 1980, et s’appuie sur l’état du parc locatif au 1er janvier 1975. Le précompte immobilier ne capte évidemment qu’un pourcentage de ce revenu locatif fictif, indexé à défaut de mieux. Perçu par les Régions depuis 1989, il bénéficie davantage aux provinces et surtout aux communes, via les centimes additionnels.

Quel est le calcul derrière le précompte immobilier?

Le montant du précompte immobilier dépend de trois niveaux de pouvoir: la Région, qui prélève 1,25% du revenu cadastral (RC) indexé, les provinces (ou l’agglomération dans la capitale) et surtout les communes. Ces deux dernières y ajoutent des centimes additionnels, qui agissent comme un multiplicateur. Prenons le cas d’une habitation dont le RC net est de 1.000 euros, située à Namur. Le RC indexé s’élèvera à 2.244,6 euros en 2025 (l’index s’élevant cette année à 2,2446). L’impôt régional sera le suivant: 2.244,6 euros x 1,25% = 28,06 euros. Celui-ci servira de base pour le calcul final : 28,06 (part régionale) + 28,06 x (1.485/100) (additionnels de la Province) + 28,06 x (2.900/100) (additionnels communaux de Namur) = 1.258,5 euros. D’une commune à l’autre, un même revenu cadastral peut ainsi aboutir à des différences de plusieurs dizaines, voire centaines d’euros.

Précompte immobilier: 1,8 milliard d’euros de recettes rien qu’en Wallonie

La plupart des pays disposent d’un impôt foncier plus ou moins similaire. «Derrière le précompte immobilier, il y a la volonté de taxer chacun selon sa capacité contributive, soit sa capacité économique à payer l’impôt, expose Marc Bourgeois, professeur de droit fiscal à l’ULiège. Lors de la réforme fiscale de 1962, il est ainsi décidé qu’il faut traiter différemment celui qui est propriétaire de son logement et celui qui débourse un loyer pour se loger.» Le précompte immobilier vise de ce fait à rétablir une équité entre les propriétaires et les locataires. De même, il est logique que les communes, qui captent 60% à 75% du montant final, en soient les principales bénéficiaires. «Un bien immobilier génère en effet des besoins en matière de voirie, d’égouttage, d’électricité, d’accès à divers services et équipements collectifs», énumère Jacques Teller, professeur d’urbanisme à l’ULiège.

«Le précompte immobilier est loin d’être anodin dans le paysage fiscal puisqu’il a généré en 2022 près d’1,78 milliard d’euros de recettes pour l’ensemble de la Wallonie, dont 1,064 million d’euros, uniquement au bénéfice des communes, c’est-à-dire près de 60% du produit total de cet impôt», contextualisait l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW) dans un dossier paru en 2022.

«On peut trouver des fermes complètement réaménagées avec des revenus cadastraux dérisoires.»

Au fil des décennies, le revenu cadastral a cependant perdu de sa substance pour de multiples raisons. D’abord, «il ne reflète absolument plus la valeur actuelle des biens», résume Jacques Teller, tant celle-ci a progressé bien plus vite que l’inflation. Cinquante ans après les classifications de 1975, la cote relative des communes et des quartiers a bien changé. En Wallonie, «les centres-villes affichaient alors une attractivité très forte par rapport à la périphérie», poursuit Jacques Teller. C’est souvent l’inverse aujourd’hui. A l’échelle des bâtiments, les critères de ce qui était considéré comme moderne à l’époque ont eux aussi basculé. «Les immeubles à appartements autrefois flambant neufs et particulièrement à la mode sont aujourd’hui surtaxés malgré leur vieillissement. Inversement, on peut trouver des fermes complètement réaménagées avec des revenus cadastraux dérisoires.»

Les disparités sont tout aussi grandes dans la capitale. «Molenbeek, par exemple, était très bien classée dans les années 1970, illustre Aurélien Bortolotti, avocat spécialiste en fiscalité immobilière. Le revenu cadastral y reste donc toujours élevé aujourd’hui», y compris pour les biens nouvellement construits. En croisant les données du cadastre et l’enquête de l’Observatoire des loyers, le géographe Hugo Périlleux, chercheur à l’ULB, a cartographié avec précision les gouffres béants entre la valeur locative dérivée du revenu cadastral et celle effectivement appliquée en Région bruxelloise. «On observe que le pentagone (surtout l’ouest) et la première couronne est […] présentent de faibles valeurs sur la carte alors que ces quartiers sont aujourd’hui relativement plus aisés», écrivait-il dans un article paru en 2023. Les dés étaient toutefois pipés dès le départ: «Dans les faits, on s’aperçoit qu’un propriétaire-bailleur ne consacre pas 40% du loyer perçu à l’entretien du logement mis en location, mais plutôt 10% à 20% en moyenne», indique-t-il.

Bref, «il y a une unanimité autour du fait que le précompte immobilier tel qu’il se calcule aujourd’hui est injuste et inéquitable, commente Marc Bourgeois. Pour autant, aucun juge en Belgique n’a jusqu’ici considéré que le système du revenu cadastral était contraire au principe d’égalité tel que consacré par la Constitution.» Un tel scénario n’est cependant pas exclu. En Allemagne, remarque-t-il, la Cour constitutionnelle a exigé que les autorités revoient ce revenu forfaitaire, fixé il y a de trop nombreuses années, pour son utilisation à des fins fiscales.

Un coup de pied dans la fourmilière

En Belgique, il est particulièrement difficile de faire table rase du revenu cadastral en vue de bâtir une base d’imposition alternative. Pour au moins trois raisons. «Juridiquement parlant, le précompte immobilier reste un impôt sur le revenu, précise Marc Bourgeois. Si, en le réformant, une Région le transformait en impôt sur le capital, ça ne fonctionnerait pas. Pour en changer la nature, c’est l’Etat fédéral qui serait compétent.» Deux: le revenu cadastral sert aussi, notamment, dans le calcul de l’impôt sur les personnes physiques (IPP) qui là encore, est de compétence fédérale. Trois: une telle réforme est particulièrement délicate sur le plan politique. Pour les communes comme les citoyens, «il y aura inévitablement des perdants et des gagnants», avertit Julien Flaghotier, conseiller expert en finances publiques à l’UVCW.

«Vous pouvez me proposer ce que vous voulez, sauf de toucher au revenu cadastral.»

Une péréquation cadastrale pourrait relever du suicide politique, relève Marc Bourgeois avec cette anecdote: «Il y a quelques années, un ministre m’avait dit: « Vous pouvez me proposer ce que vous voulez, sauf de toucher au revenu cadastral, car j’aimerais me représenter à la prochaine élection« …» Individuellement, une rectification passe mal. Collectivement, c’est un autre récit. Une réforme bien calibrée pourrait neutraliser des iniquités préjudiciables à un grand nombre de citoyens, aux finances communales, voire à l’usage raisonné du territoire, soulignent les experts. Plusieurs options plus ou moins radicales restent envisageables à ce stade…

Option 1: le lent chemin des contrôles

Par l’entremise des communes, le SPF Finances est informé des modifications survenant à tout logement faisant l’objet d’un permis d’urbanisme. Il peut alors procéder à une révision du revenu cadastral. Le propriétaire, lui, reste tenu de déclarer certains travaux non soumis à un permis, dans un délai de 30 jours: l’installation d’un chauffage central, d’une salle de bains à la place d’un lavabo, d’une véranda, d’une piscine ou d’un étang… Dans les faits, beaucoup ne le font pas. Et comme l’Etat fédéral ne perçoit pas de recette sur le précompte immobilier, il n’a plus jugé utile de consacrer d’importants moyens à la traque des modifications importantes passant sous les écrans radars.

Depuis 2014, les provinces, puis de nombreuses communes, ont en revanche confié cette mission à des indicateurs-experts, avec des moyens divers. A temps plein ou partiel, ces personnes identifient au plus près du terrain des anomalies susceptibles de mener à une rectification du revenu cadastral, quand il semble a priori trop faible. «En attendant une réflexion plus large sur le revenu cadastral, nous encourageons les communes à travailler avec un ou des indicateurs-experts, appuie Julien Flaghotier. Une fois qu’une rectification est faite, elle est acquise pour les années à venir», ce qui résorbe petit à petit le manque à gagner des pouvoirs locaux. «Il y a aussi tout un pan non résidentiel, poursuit l’expert de l’UVCW. De nombreux bâtiments professionnels n’affichent plus un revenu cadastral logique au regard des investissements réalisés. On sait aussi que certains acteurs peuvent recourir à des techniques d’optimisation fiscale pour ne pas payer de précompte immobilier sur le matériel et l’outillage.»

A l’heure actuelle, il n’existe pas de chiffre global sur le nombre de communes ayant désigné au moins un indicateur-expert, ni de statistiques sur les révisions cadastrales découlant de leur mission. Une certitude, en revanche: c’est un travail au cas par cas, qui ne résorbe qu’à pas de fourmi les fréquentes iniquités. «Certaines communes étant plus actives que d’autres pour contrôler, il y a là aussi une forme d’inégalité entre les citoyens», observe Jacques Teller.

Option 2: un RC à partir des loyers réels

En Région bruxelloise, un locataire peut facilement savoir si le loyer du logement qu’il occupe est surévalué ou non, en encodant les caractéristiques principales du bien et sa localisation sur le site de l’Observatoire des loyers. Comme 62% des biens résidentiels y sont mis en location, cet outil pourrait constituer une base intéressante pour revoir leur revenu cadastral à partir des loyers réels. Pour Hugo Périlleux, il y aurait moyen d’inciter les bailleurs à investir dans le logement –notamment sur le plan énergétique– grâce au levier de la somme forfaitaire pour l’entretien, qui est retranchée du revenu locatif annuel brut. Par défaut, elle serait par exemple fixée à 10% ou 20%, mais augmenterait si le propriétaire prouve que des investissements ont amélioré la qualité du bien. «La difficulté porterait plutôt sur la base à utiliser pour les logements des propriétaires occupants», admet le chercheur de l’ULB. Elle serait surmontable si la Région bruxelloise, qui perçoit tout de même 25% du montant du précompte immobilier, procédait à des contrôles de ces biens.

«Trouver un mécanisme de fiscalité immobilière qui inciterait les propriétaires à faire des travaux dont ils ne bénéficieront pas eux-mêmes, tout en limitant l’effet sur la hausse des loyers, aurait du sens», confirme Jacques Teller. En Wallonie, la mission relative aux biens des propriétaires occupants serait bien plus conséquente, puisqu’ils y sont majoritaires (64%, selon les chiffres du census 2021).

Option 3: une péréquation améliorée

Une troisième option consiste à dresser une nouvelle typologie de biens à partir de ceux mis en vente. «Quand on voit le volume d’informations à fournir aujourd’hui pour un compromis de vente, il ne me semble pas excessif de récolter par la même occasion cinq à dix caractéristiques de chaque bien concerné», commente Jacques Teller. Surface habitable, nombre de chambres, de salles de bains, âge du bâtiment… En plus de ces critères remis à jour, le modèle statistique pourrait intégrer des caractéristiques sur l’environnement du bien, comme par exemple l’accessibilité aux espaces verts.

Pour compléter le tableau sur l’attractivité, il serait encore possible de prendre en compte la valeur des transactions dans le voisinage. De son côté, l’UVCW plaide pour l’abandon du revenu cadastral au profit d’une base d’imposition reflétant une quote-part de la valeur marchande du bien s’il était mis en vente. C’est ce que les Pays-Bas appellent la valeur «Woz». Consultable par n’importe qui, son montant reflète, pour chaque logement, les caractéristiques du bien et les prix de vente de ceux comparables à proximité. «En optant pour un tel système, on pourrait diminuer la cote du précompte immobilier dans les quartiers qui se déprécient, ou dont la valeur du bâti ne progresse pas autant qu’ailleurs, relate Julien Flaghotier. Cela contribue aussi à une logique de transparence du marché immobilier pour les habitants.»

«Pour certaines communes moins prisées, une péréquation peut être la Bérézina.»

Il y a toutefois plusieurs bémols. Jacques Teller pointe le risque d’un emballement dans les zones qui deviendraient rapidement prisées. «C’est ce qu’on constate aux Etats-Unis, où la taxe est revue annuellement. Si une dizaine d’acquéreurs viennent tripler la valeur des biens, il y aura un effet sur la fiscalité de votre maison. Des propriétaires envisagent alors de revendre leur bien, parce qu’il a subitement pris trop de valeur et qu’ils ne peuvent plus payer les taxes.» Pour sa part, Marc Bourgeois objecte que le bâti néerlandais est bien plus homogène qu’en Wallonie. Qu’une telle péréquation serait bien plus complexe en Belgique, vu sa lasagne institutionnelle, mais aussi risquée. «Pour certaines communes moins prisées, ça peut être la Bérézina.»

Option 4: un calcul sur la surface

Quitte à revoir le revenu cadastral, ne faudrait-il pas revoir fondamentalement la philosophie de l’imposition qui en résulte? Attention, big bang en vue pour les citoyens comme pour les finances communales! Pour Bruno Bianchet, chercheur au Centre de recherche sur la ville, le territoire et le milieu rural (Lepur) de l’ULiège, la piste mérite cependant d’être explorée. «On abandonnerait le revenu cadastral, expose-t-il. Il s’agirait de taxer la superficie du terrain, pondérée par celle du logement.» Un tel scénario gommerait les variations issues de l’attractivité des communes: du Brabant wallon à la province de Luxembourg, deux biens de même taille sur un terrain de dix ares seraient taxés exactement de la même manière.

«Les incertitudes empêchent souvent d’aboutir à des réformes plus justes.»

Insensé? «Pas si le but est d’utiliser cette fiscalité pour aboutir à une politique environnementale limitant l’urbanisation et les trop grands terrains, poursuit le chercheur. Par ailleurs, des études de plus de 20 ans ont prouvé qu’il était beaucoup plus cher pour la collectivité d’équiper un grand terrain qu’un plus petit.» Enfin, sur le plan socioéconomique, d’autres données démontrent que le niveau de vie est globalement lié à la superficie du logement par habitant, même si la relation n’est pas linéaire (pour les personnes seules, notamment). Une réforme de ce genre changerait drastiquement les parts du gâteau fiscal entre les communes. Au regard du tabou politique que représente le revenu cadastral, elle paraît bien peu probable à l’heure actuelle.

Quelle que soit l’option à privilégier, «les incertitudes empêchent souvent d’aboutir à des réformes plus justes, conclut Marc Bourgeois. Il est alors tentant de maintenir l’injustice actuelle pendant des années, puisque personne ne manifestera pour réclamer un changement du précompte immobilier. Changer les règles fiscales, en revanche, c’est s’assurer de faire des mécontents qui, eux, descendront dans la rue.»

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