retraite 6 ans
Se constituer une épargne-pension dès le plus jeune âge? En Allemagne, la question fait son bout de chemin. © Getty Images

Préparer sa retraite dès… 6 ans? L’idée allemande qui suscite la controverse: «Plus symbolique qu’égalitaire»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

L’Allemagne étudie la piste d’une «préparation anticipée de la retraite». Chaque enfant de 6 à 18 ans recevrait 10 euros par mois, de manière à se constituer un bas de laine pour le futur. Une proposition dont pourrait s’inspirer la Belgique?

Comment assurer la soutenabilité du système des pensions? A l’instar de la Belgique, la question taraude le nouvel exécutif allemand. Confrontée à un vieillissement de la population et à une baisse du taux de la natalité, la coalition CDU/CSU-SPD fait face à une équation particulièrement difficile à résoudre. Pas de quoi décourager le chancelier fraîchement élu, Friedrich Merz, qui a fait des retraites sa priorité.

A peine arrivé au pouvoir, le successeur d’Olaf Scholz a d’ailleurs sorti une proposition relativement étonnante de son chapeau: la préparation anticipée de la retraite. Concrètement, l’Etat s’engagerait à verser dix euros par mois aux enfants scolarisés de 6 à 18 ans, qu’ils pourraient ensuite faire fructifier afin de s’assurer une pension complémentaire au terme de leur carrière. Les Allemands seraient ainsi sensibilisés dès le plus jeune âge à l’importance d’investir pour leur avenir.

Dans le détail, l’argent serait versé mensuellement sur un compte d’épargne-retraite individuel et privé, dont l’accès serait débloqué uniquement à l’âge d’ouverture des droits à la pension (67 ans). A 18 ans, le titulaire du compte bénéficierait déjà ainsi de 1.440 euros garantis. Un montant qui pourrait grimper à 2.100 euros en cas «d’investissement raisonnable», selon les projections du gouvernement, qui se base sur un rendement annuel moyen de 6%. Une fois la majorité atteinte, le jeune adulte pourrait continuer, s’il le souhaite, de verser personnellement 10 euros par mois (ou plus) jusqu’à sa retraite. Auquel cas il pourrait prétendre à une pension complémentaire d’environ 70.000 euros à 67 ans.

Une enveloppe d’un milliard d’euros

Un petit bas de laine qui ne suffira toutefois pas à passer de (longs) hivers. En cas de décès à 82 ans, le retraité ne pourrait compter que sur quelque 4.666 euros annuels supplémentaires (70.000 euros sur 15 ans). Soit 388 euros par mois. Sans compter l’inflation. «Que représentera cette somme dans 40 ou 50 ans?, s’interroge Maxime Fontaine, chercheur en finances publiques à l’ULB. Si on corrige cette valeur en intégrant les prévisions d’inflation, il ne restera vraiment pas grand chose

Pourtant, la mesure, qui pourrait entrer en vigueur dès 2026, représenterait un coût non négligeable pour le gouvernement Merz. Dans une interview accordée à l’agence de presse dpa, le chancelier prévoyait une enveloppe annuelle de 84 millions d’euros pour chaque catégorie d’âge comprise entre 6 et 18 ans. Soit un total d’un peu plus d’un milliard d’euros par an. Un budget conséquent, sans garantie réelle d’efficacité, déplore l’opposition.

Conscientiser les Allemands

Alors comment comprendre cette proposition? Pour Maxime Fontaine, il convient de la replacer dans le contexte historique du système allemand des pensions. «Contrairement à la Belgique, l’Allemagne investit peu dans le premier pilier, recadre le chercheur. En 2023, la pension légale moyenne avoisinait les 1.100 euros, contre 2.000 euros chez nous. Pourquoi? Parce que la Belgique a opté pour un système par répartition: l’Etat ponctionne davantage en termes de cotisations et d’impôts, mais octroie au final des pensions plus généreuses. L’Allemagne ne va pas dans cette direction-là et mise davantage sur une responsabilisation des employeurs (le second pilier) et, surtout, sur une responsabilisation des citoyens (le troisième pilier), qui doivent cotiser seuls et se constituer des plans de capitalisation sur base volontaire.»

Grâce à de nombreux incitants financiers, la recette a toujours globalement bien fonctionné. Mais depuis quelques années, les Allemands délaissent progressivement les investissements personnels pour leur retraite, pointe un rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR). Résultat: le taux de personnes âgées sous le seuil de pauvreté ne cesse de croître. Face à cette désaffection relative pour l’épargne volontaire, le gouvernement est confronté à deux options pour assurer à ses retraités un niveau de vie suffisant, pointe Maxime Fontaine. «Soit il réinvestit massivement dans le premier pilier, soit il s’efforce de conscientiser la population.» Les finances publiques allemandes n’étant pas au beau fixe, seule la deuxième option semble envisageable.

Un retentissement médiatique

La mesure a ainsi d’abord une «visée pédagogique». «L’Etat dit: « On veut bien vous donner une petite cacahuète tous les mois, mais c’est à vous de la faire fructifier intelligemment« », analyse le chercheur de l’ULB. De la sorte, les enfants sont conscientisés aux questions financières dès le plus jeune âge. «C’est un peu comme les grands-parents qui verseraient chaque mois une petite somme sur le compte de leurs petits-enfants, mais en leur rappelant que ce sera à eux de gérer correctement leurs finances en temps voulu.»

Plus «symbolique qu’égalitaire», la proposition a également vocation à faire parler d’elle, estime Maxime Fontaine. «Les retombées médiatiques de la mesure sont très importantes, ce qui ouvre un débat public et conscientise largement la population, observe le chercheur. Avec un milliard d’euros, qui n’est pas une somme si colossale ramenée à l’échelle des 83 millions d’habitants en Allemagne, le gouvernement s’offre une publicité bienvenue et envoie un signal crucial aux citoyens en vue de leur responsabilisation.»

Une stratégie dont pourrait s’inspirer la Belgique? L’Arizona ne semble pas en faire sa priorité. «L’objectif du gouvernement De Wever, c’est surtout de préserver la rentabilité du premier pilier de pension, bien qu’il en diminue la générosité, rappelle Maxime Fontaine. Favoriser le troisième pilier n’est pas à l’ordre du jour.»

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