S’installer en France, en Italie ou en Espagne pour sa retraite n’est pas un mauvais calcul. A condition de prendre en compte quelques critères. Tous les avantages, en chiffres.
Un mois de retraite gagné sur un an? «Oui, c’est ça», confirme tout sourire Michel, qui a quitté son village du Brabant wallon en 2021 pour une petite ville portugaise près de Faro. A l’époque, le Portugal n’accordait déjà plus d’exemption fiscale totale sur les pensions des salariés perçues depuis l’étranger, mais concédait un impôt forfaitaire de 10%, quel que soit le montant de la pension. Michel et son épouse Anne peuvent profiter de ce régime favorable jusqu’en 2031, soit pendant dix ans après leur installation en Algarve. «En Belgique, nous paierions au moins deux fois plus d’impôts sur nos revenus, a calculé Michel. L’avantage est donc appréciable.» Surtout que la pension du couple n’est pas celle d’un nabab. Evidemment, à partir de 2031, l’ardoise fiscale sera plus salée.
Michel et Anne peuvent aussi compter sur un indice du coût de la vie bien moins élevé au Portugal qu’en Belgique, soit 27% de différence selon le dernier classement (2025) du site Numbeo, une gigantesque base de données sur les villes et pays – surtout en Europe– nourrie par près de dix millions de prix indiqués par des centaines de milliers de contributeurs. Le couple bénéficie aussi de soins santé totalement gratuits dans les centres médicaux publics du pays ibérique, tout en pouvant garder leurs droits aux soins de santé en Belgique en cas de pépin important nécessitant, par exemple, une hospitalisation. En outre, le Portugal ne prélève aucun impôt sur les successions et donations pour les conjoints et les descendants directs, juste un droit de timbre réduit à 0,8% pour les donations.
Mais Michel insiste: «Nous sommes venus vivre en Algarve, que nous connaissions déjà grâce aux vacances passées sur place, d’abord parce que nous savions que la vie y est très agréable, chaleureuse et paisible. Il y a beaucoup moins de stress, ici. La vie sociale y est plus riche, ne fût-ce que par le nombre de Olà échangés chaque jour. Evidemment, le coût de la vie est intéressant et cela a joué compte tenu de nos revenus de pensionnés. Quand on va au resto, on s’en sort facilement, à deux, pour 40 euros, en prenant un plat, un dessert et du vin. Les transports en commun sont beaucoup moins chers qu’en Belgique: pour aller à Faro, à 90 kilomètres de chez moi, je paie 2,50 euros. Idem pour l’eau de distribution, elle est moins chère, alors que nous sommes dans un pays relativement sec, de plus en plus même. En Algarve, de nombreuses communes comme la nôtre réalisent des forages de puits et redistribuent à prix coûtant l’eau provenant des nappes phréatiques.»
9% des retraités belges, soit 226.000 personnes, ont choisi de quitter le pays pour vivre à l’étranger.
S’expatrier, le rêve des retraités belges? Près de 9% d’entre eux, soit 226.000, ont choisi de quitter le pays pour vivre à l’étranger. Les deux tiers sont des «autochtones», selon la catégorisation du SPF Pensions, c’est-à-dire des non-Belges qui ont passé leur carrière professionnelle en Belgique, puis sont rentrés au pays. Le tiers restant, ce sont essentiellement des Belges parmi lesquels les binationaux. «Une seule nationalité est enregistrée dans nos données, précise Vik Beulens du services d’études du SPF. La nationalité belge est généralement celle retenue pour les binationaux.» Les stats montrent ainsi que le pays le plus plébiscité par nos concitoyens pour y vivre leur retraite est la France (ils sont près de 27.000, selon les chiffres 2024), suivie par l’Espagne (11.000).
Les Pays-Bas arrivent en quatrième position –4.700 Belges pensionnés, majoritairement des Flamands. Même phénomène pour l’Allemagne (3.500), autre pays limitrophe qui partage la langue d’une partie des Belges. L’Italie et le Portugal sont bien classés, mais arrivent loin derrière, avec respectivement 1.750 et 1.600 résidents pensionnés belges. Soulignons aussi que des points de chute hors Union européenne accueillent un nombre non négligeable de pensionnés belges. Toujours selon les chiffres de 2024, la Suisse, étonnamment vu son coût de la vie élevé, en attire pas mal (1.450). Idem pour le Canada (1.130), la Turquie (1.010), la Thaïlande (960) et le Maroc (510), qui semblent attractifs eux aussi, même si les statistiques du SPF Pensions ne permettent pas de faire la distinction entre binationaux et Belges d’origine. De manière globale, le nombre de Belges pensionnés qui s’expatrient augmente d’année en année, 25% en cinq ans, alors que le nombre total de pensionnés a augmenté de 10% au cours de la même période.
«En Belgique, nous paierions au moins deux fois plus d’impôts sur nos revenus»
Portugal, ex-superstar
«Parmi les raisons invoquées par nos 6.000 membres inscrits, les raisons financières sont de plus en plus souvent avancées, constate Diego Angelini, conseiller expatriation à l’Union francophone des Belges à l’étranger (UFBE). Lorsqu’en 2008, le Portugal a exonéré d’impôts les pensionnés étrangers, la fiscalité a été le moteur principal pour attirer de nouveaux résidents, dans 80% des cas.» Mais désormais, le Portugal est fiscalement moins intéressant, puisqu’en 2020, il a remplacé la dérogation «Non Habitual Residence» (NHR) par une taxe forfaitaire de 10% (valable durant dix ans). Puis le 1er avril 2024, ce régime a cessé pour faire place au système progressif ordinaire qui peut imposer les pensions jusqu’à 48%.
Cela dit, résider dans le Douro ou en Algarve reste intéressant, comme on l’a vu avec Michel, pour la succession et, surtout, le coût de la vie. Le prix moyen d’un pain (500g) s’élève à 1,38 euro, soit plus d’un tiers moins cher qu’en Belgique, selon Numbeo. Même différence pour le filet de poulet ou le kilo de riz. Le prix moyen d’une bière pression locale (50 cl) est affiché à 2,50 euros. Celui d’un forfait pour téléphone mobile avec appels et 10 Go d’Internet, à 18,70 euros, soit 8% de moins. Si le prix d’achat au mètre carré d’un appartement dans un centre urbain est, en moyenne, sensiblement le même que dans une ville belge, celui situé à l’extérieur d’un centre-ville est 9% moins coûteux, voire davantage.
Italie, Grèce, the places to be
Si le Portugal est devenu fiscalement moins sexy dans l’UE, deux destinations méditerranéennes tiennent aujourd’hui le haut du pavé: l’Italie et la Grèce. «Ces deux pays offrent un régime fiscal dérogatoire favorable pour les pensions d’ex-salariés perçues à l’étranger, observe Grégory Homans, avocat fiscaliste associé au cabinet bruxellois Dekeyser. Dans les deux Etats, un impôt forfaitaire de 7% seulement est perçu sur ces pensions. La condition, pour l’Italie, est que le retraité concerné s’installe dans une municipalité de moins de 20.000 habitants dans les régions méridionales du pays. En Grèce, il faut ne pas avoir été résident fiscal au cours de cinq des six années précédentes. Soulignons que l’Italie est très intéressante pour les droits de succession et de donation puisqu’on n’y paie aucun impôt jusqu’à un million d’euros légués. Au-delà, on ne paie encore que 4%.»
Par ailleurs, la vie est globalement moins chère dans ces deux pays aussi, mais pas comme au Portugal. Selon Numbeo, en 2025, l’indice du coût de la vie en Grèce est moins élevé de 18% par rapport à la Belgique et celui de l’Italie de 9,6%. Les restaurants (de gamme moyenne), en particulier, y sont bien moins onéreux. Pour les courses, la Grèce est meilleur marché à hauteur de 19% comparé à la Belgique. Le pain (500 g) n’y coûte que 1,24 euro. L’eau en bouteille y est quatre fois moins chère. Un repas à deux, dans un restaurant de gamme moyenne, revient à 50 euros, contre 80 euros en Belgique. En outre, le prix d’achat au mètre carré d’un appartement dans le centre d’une ville ou en périphérie est, en moyenne, 26% et 34% moins cher que chez nous.
18% moins élevé qu’en Belgique, le coût de la vie en Grèce attirent de nouveaux retraités.
France, plus «lovable» que «bankable»
Si les Belges francophones à la retraite plébiscitent la France comme première destination pour couler des jours paisibles, leur choix n’est pas forcément dicté par des raisons financières. «Beaucoup y sont souvent allés pendant leurs vacances ou y ont même déjà une seconde résidence, commente Diego Angelini. Le sud de la France est privilégié. En outre, ils sont un peu moins taxés sur leur pension et a priori tout est un peu moins cher aussi dans l’Hexagone.» Côté fiscal, il existe, il est vrai, une petite différence. «Pas de régime dérogatoire, mais, dans le régime ordinaire, les tranches d’impôt sur le revenu ne sont pas les mêmes, souligne Me Homans. La tranche supérieure ne dépasse pas 45%, alors qu’elle augmente à 50% chez nous. Toutes les autres tranches sont plus favorables côté français. Et la quotité de revenu exempté d’impôt, très faible en Belgique, ne permet pas de compenser l’écart entre les deux pays.»
Côté coût de la vie, Numbeo montre que celui de la Belgique est inférieur de 1,8% à celui de la France, hors loyers. Mais la différence se ressent néanmoins souvent dans l’autre sens, car des postes clés sont moins chers outre-Quiévrain. Les restaurants y sont, en moyenne, 33% meilleur marché, le pain 22%, le fromage local 25%, l’Internet (60 Mbps ou plus, données illimitées, câble/ADSL) 65%, etc. «Je travaille à l’UFBE depuis quatorze ans et je n’ai jamais entendu un membre installé en France affirmer être content de rentrer en Belgique parce que la vie y est moins onéreuse», affirme Diego Angelini.
Espagne, forever
Autre destination estivale de nombreux Belges, l’Espagne est le deuxième choix des pensionnés belges. Ici aussi, le régime fiscal n’y est pas pour grand-chose. Les tranches d’imposition sur le revenu, qui grimpent jusqu’à 47%, sont grosso modo semblables à celles de la France. Il n’y a pas de régime dérogatoire. En revanche, le coût de la vie y est très avantageux, plus de 23% moins élevé qu’en Belgique, en particulier les restaurants, les épiceries et supermarchés, les transports publics et les abonnements de téléphone et Internet. Pour le logement, c’est plus compliqué. Cela dépend des régions. Acheter un appartement à Madrid coûte, en moyenne, 30% plus cher qu’à Bruxelles. Quant aux soins de santé, une donnée importante prise en compte par les pensionnés: «Ils se sont fortement améliorés depuis 30 ans, note le conseiller de l’UFBE. Mais l’Espagne est un énorme pays. Il est certain qu’on sera mieux pris en charge en Catalogne que dans d’autres régions.»
«Les régimes dérogatoires sont souvent temporaires, de l’ordre de dix ou quinze ans.»
Royaume-Uni, l’outsider
Avant même le Portugal, l’Etat britannique avait lancé son opération de charme à destination des retraités étrangers en instaurant le premier régime favorable pour les résidents «non dom» (non domicilied). Ce régime prévoyait de ne rien imposer sur la pension pendant six ans, puis une taxe forfaitaire qui augmentait la douzième année. Mais depuis le 6 avril dernier, tout cela a été supprimé. Régime ordinaire for everyone! Toutefois, le Royaume-Uni aura attiré et séduit encore un nombre appréciable de Belges après leur carrière (ils étaient 855 en 2024). Un nombre qui n’a cessé de doucement augmenter depuis plusieurs années. Financièrement, le pays outsider n’a pourtant plus de quoi séduire, d’autant que le coût de la vie y est supérieur de 12,6% comparé à la Belgique, surtout à cause de l’immobilier (les loyers sont 47% plus élevés).
Dans l’offre géographique, les pensionnés désireux de changer d’air seront forcément attirés par une fiscalité réduite sur leur pension. «Il faut néanmoins attirer l’attention sur le fait que les régimes dérogatoires sont temporaires, comme on l’a vu au Portugal et au Royaume-Uni, avertit Grégory Homans. Ils durent dix ou quinze ans, avant d’être complètement abrogés. Mieux vaut privilégier une approche fiscale globale en prenant en compte, outre l’impôt sur le revenu, les droits de succession et de donation, l’impôt éventuel sur la fortune (NDLR: inexistant en Italie, en Grèce ou au Portugal), les taxes municipales, etc.» Précisons que les pensionnés belges de la fonction publique sont, en général (en fonction des conventions fiscales bilatérales), imposés d’office en Belgique. L’UFBE peut donner de nombreux renseignements à ses membres, notamment par l’intermédiaire de ses représentants à l’étranger.