Le prix du diamant naturel perd de sa brillance. Secoué par la concurrence du synthétique et l’effritement de la demande, le marché risque-t-il de voler en éclats?
Le diamant est-il toujours un symbole de luxe? Son prix, en nette baisse depuis plusieurs années, traduit un marché sous tension, de plus en plus concurrentiel, face à une demande en berne.
Prix du diamant: comment expliquer la baisse?
Il demeure difficile de parler du «prix du diamant». Chaque pierre brute étant unique, sa valeur est depuis toujours déterminée par «les quatre C»: la taille (Cut), la pureté (Clarity), la teinte (Colour) et le poids (Carat). «Mais il est vrai qu’en général, et pour tous les types de biens, on observe une baisse des prix», confirme Koen Vandenbempt, professeur ordinaire de stratégie à la faculté des sciences de gestion et d’économie de l’UAntwerpen.
Les raisons de cette érosion du prix du diamant sont multiples. L’industrie mondiale traverse une «tempête parfaite», qualifie le spécialiste du secteur diamantaire. «L’essor des diamants synthétiques, la problématique des diamants russes (la Russie étant le plus grand producteur de diamants bruts naturels), l’affaiblissement du marché chinois et, plus récemment, les droits de douane instaurés par Trump», sont autant de coups durs encaissés par un secteur «clairement en crise au niveau mondial».
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Prix du diamant: les entreprises tentent de fluidifier la chaîne
Pour Guy Lalous, président de la Société royale belge de gemmologie (SRBG), les prix du diamant baissent également car la demande est beaucoup plus faible, surtout aux Etats-Unis et en Chine. «Fin 2024, De Beers, un important conglomérat diamantaire sud-africain, a réduit ses prix du brut de 10 à 15% pour écouler les stocks, cite-t-il. Les indices internationaux (Idex, Rapi), eux, reculent déjà depuis plus de deux ans.»
Le secteur a pourtant connu un pic de forme après le Covid, en 2022, mais depuis lors, le prix de la matière brute a baissé de 34%. «Ce sont surtout les petites pierres qui paient les pots cassés, souligne Guy Lalous. Les pierres rares, grandes et de qualité, peuvent au contraire voir leur prix augmenter.» Pour tenter de réduire ce grand écart, les entreprises du secteur adoptent une double stratégie: elles limitent l’offre nouvelle, tout en acceptant des prix plus bas, afin de fluidifier la chaîne.
La structure complexe du marché
Il demeure cependant complexe de chiffrer la chute du secteur de manière globale –il n’existe pas d’indice indépendant du diamant, comme c’est le cas pour l’or ou d’autres matières premières–, mais le recul est toutefois évident au regard des performances des sociétés minières «et de celles des pays producteurs, précise Koen Vandenbempt. Par exemple, le Botswana a exporté, en 2024, environ 50% de diamants bruts en moins par rapport à 2022.»
La structure du marché est également complexe. Ainsi, «les baisses de prix sur le marché de gros ne se répercutent pas toujours de la même manière sur le marché de détail.»
Le synthétique bouscule l’ordre établi
Le diamant synthétique, ou «de laboratoire», s’est aujourd’hui véritablement imposé et exerce un effet important sur le marché du diamant naturel, au sein duquel plus de 50% de la demande mondiale est concentrée aux Etats-Unis. Or, les USA représentent également le principal marché pour les diamants synthétiques. «On constate donc une pression croissante sur le diamant naturel. L’écart de prix peut atteindre 90%, voire plus», chiffre le professeur de l’UAntwerpen.
Problème majeur: visuellement, il est impossible de distinguer une pierre naturelle d’une synthétique. Seul un équipement spécialisé le permet. Bien entendu, le bijoutier doit indiquer de quel type de pierre il s’agit. «Mais la différence de prix est claire, et un diamant synthétique ne peut être vendu comme un naturel. Pour le consommateur lambda, cela reste peu transparent», épingle Koen Vandenbempt.
Dans la pratique, donc, une partie des consommateurs s’y perd. «Il est important de rappeler que, bien que présentés comme écologiques et éthiques, les diamants de laboratoire proviennent souvent d’Asie, où l’énergie utilisée est majoritairement issue du charbon. Cela entraîne également une empreinte écologique significative, d’autant plus que les ouvriers sont souvent rémunérés à des salaires dérisoires», note Guy Lalous.
Malgré leur position «agressive» sur le marché, les pièces synthétiques suivent, elles aussi, une tendance baissière. En raison, notamment, d’une concurrence toujours plus féroce entre la Chine et l’Inde. «On observe une forme de cannibalisme entre les deux», lâche le président de la SRBG. Le synthétique, qui jouit toutefois d’une marge retail plus importante, pourrait «tuer», en particulier, le marché naturel des petites tailles. «C’est ce segment qui souffrira le plus.»
Le diamant, encore un produit de luxe?
Le diamant a toujours été un produit de luxe. Il en englobe toutes les caractéristiques: la rareté (un produit unique, exceptionnel) et le désir («je veux l’avoir, car il est unique»). Aujourd’hui, si le diamant se «démocratise» et ouvre un nouveau segment du marché (Zeeman commercialise dorénavant un produit à 30 euros), Koen Vandenbempt craint que les diamants synthétiques remettent toute la logique de rareté en cause. «La question clé est de savoir si les consommateurs achèteront encore du diamant naturel, ou si celui-ci ne représentera plus un produit exclusif permettant de se distinguer.»
D’après Guy Lalous, les pierres naturelles rares, grandes et de très belle qualité conservent leur statut de luxe. «Leur offre est structurellement limitée (géologie, discipline des producteurs, coûts d’extraction). Le diamant devient surtout plus accessible en entrée et milieu de gamme.»
Le marché est-il exposé à un risque d’effondrement?
Pour Koen Vandenbempt, le secteur mondial du diamant naturel doit réellement repenser son modèle. «Le diamant synthétique a longtemps été traité avec condescendance. Mais il n’est pas facile pour un secteur ayant bénéficié d’un monopole naturel de se montrer véritablement innovant. Il existe d’autres exemples où un produit considéré comme inférieur (le verre) a fini par supplanter un produit supérieur (le cristal).»
Un krach généralisé du marché diamantaire paraît cependant peu probable, estime Guy Lalous. «L’offre se contracte et les pierres supérieures à deux ou trois carats résistent.» En revanche, au vu de la baisse des investissements dans l’industrie minière, «l’aspect de rareté, pour le naturel, ne fera qu’augmenter au fil du temps.»
Pour tenter de survivre, le marché «contourne un certain nombre d’intermédiaires historiques», dénonce encore Guy Lalous. Le polissage du diamant, par exemple, se fait désormais principalement en Inde. «Seules les pierres importantes, dites « à stress » et nécessitant une grande expertise, sont encore polies en Belgique.»
Au centre de cette « tempête parfaite », le secteur diamantaire peine à s’abriter. Aujourd’hui, l’AWDC, l’Antwerp World Diamond Center Foundation (qui n’a pas répondu à nos sollicitations), ne recense plus que 1.470 entreprises, contre 1.600 en octobre 2024, pour 3.300 emplois. Des chiffres qui fondent comme neige au soleil depuis quelques années. Le quartier, autrefois cœur scintillant du commerce mondial du diamant, montre désormais des signes d’érosion. «Quand on s’y balade, les vitrines paraissent vides, et ce business semble déjà appartenir au passé», remarquent ceux qui voient le lustre s’éteindre.