pension europe
Profiter de sa pension ne représente pas la même durée partout, en fonction de l’espérance de vie et du départ à la retraite.

Au Danemark, la pension passe à 70 ans: les pays européens où on travaille plus pour vivre moins longtemps (carte interactive)

Thomas Bernard
Thomas Bernard Journaliste et éditeur multimédia au Vif

Le Danemark a validé le passage de l’âge légal de la pension à 70 ans d’ici 2040. Un âge directement lié à l’augmentation de l’espérance de vie, donc au vieillissement de la population, qui accentue la pression sur le système des retraites. Mais combien d’années les retraités peuvent-ils espérer profiter de la pension? Le tour d’Europe de la question.

Trois années de plus à travailler. D’ici 2040, les Danois et Danoises devront travailler jusqu’à 70 ans, contre 67 actuellement, afin de prétendre à la pension légale. Dans ce pays d’Europe du Nord, l’âge de la retraite est indexé depuis 2006 sur l’espérance de vie et révisé tous les cinq ans. Un mécanisme par lequel le pays a entériné récemment ce recul de trois ans, signe d’une volonté de maintenir à flot le système des retraites.

Celui-ci est, comme un peu partout sur le continent européen, sous forte pression, en lien avec le vieillissement de la population. La part des seniors augmente progressivement, générant un besoin de financement plus important. Maintenir les travailleurs à l’emploi le plus longtemps semble la solution immédiate la plus évidente. Mais l’âge légal ne dit pas tout. Au Danemark, l’âge réel de départ à la retraite tourne plutôt autour de 64 ans, trois de moins que l’âge légal actuel. En Belgique il avoisine les 61 ou 62 ans, pour un âge légal désormais fixé à 66 ans depuis février 2025.

«L’âge légal de la pension reste effectivement un fétiche, constate Pierre Devolder, professeur à la Louvain School of Management (UCLouvain) et spécialiste des questions liées aux pensions. Nous avons cette espèce de tradition d’employer ce chiffre, qui n’est en fait qu’une boussole, car l’âge réel de départ à la retraite diffère de l’âge légal prévu. Parler des années de carrière accomplies serait sans doute plus juste. Mais il faut alors voir comment les calculer: faut-il tenir compte des périodes de travail étudiant? Des réductions du temps de travail, comme les congés parentaux? Cela ouvre d’autres questions.»

L’emploi des travailleurs plus âgés, le vrai défi

Repousser, ou vouloir le faire, l’âge de départ effectif à la pension reste donc un défi pour les pouvoirs publics. Se baser uniquement sur une mesure de recul de l’âge légal restera probablement insuffisant, devant s’accompagner de mesures de soutien à l’emploi. «C’est la réalité du marché du travail: retrouver un emploi passé un certain âge reste complexe. La Belgique se classe d’ailleurs parmi les très mauvais élèves dans ce grand défi qu’est l’emploi des travailleurs plus âgés», analyse l’expert.

Concernant l’augmentation du nombre de retraités, les prochaines années verront une importante cohorte parvenir à la pension. La génération du baby-boom, née après la Seconde Guerre mondiale, continue d’affluer, faisant grimper la part des plus âgés au sein de la population. Ce qui augmente d’autant le coût global du vieillissement dans la société occidentale, dont les pensions.

«Le pic du nombre de retraités va être atteint maintenant, entre 2025 et 2035. Et l’une des solutions passe par l’augmentation du nombre de personnes actives. Si on n’y arrive pas, cela signifie qu’il faut payer davantage avec une assiette plus réduite. Nous sommes face à une catastrophe annoncée, surtout dans une période de grands problèmes budgétaires. Depuis des années, on nous dit qu’il est trop tard pour agir, mais le faire aujourd’hui est sans doute moins pire que demain», reconnaît Pierre Devolder.

Le lien entre espérance de vie et âge de la pension

Retarder l’arrivée à la retraite permettrait d’amoindrir le choc de ce cap difficile. Outre le Danemark, d’autres pays se sont résolus à utiliser un mécanisme automatique, qui repousse progressivement l’âge légal de la pension selon l’évolution de l’espérance de vie. Un système qui présente l’avantage «d’être progressif et simplement technique, sans intervention politique», concède encore le professeur de finances.

Cette idée «d’indexation» de l’âge de la retraite sur l’espérance de vie marque aussi la corrélation importante faite entre ces deux balises dans les discours publics. Vivre plus longtemps doit s’accompagner d’une période plus longue au travail, selon certains. Un point que nuance le professeur de l’UCLouvain: «L’espérance de vie varie au sein de la population, notamment en fonction de critères socio-économiques et d’inégalités sociales. L’emploi plus pénible ou difficile sera occupé davantage par certaines classes de travailleurs, qui vivront moins longtemps en moyenne que d’autres. C’est aussi une réalité.»

Ces moyennes cachent donc forcément les nuances, mais permettent malgré tout des comparaisons. En mettant côte à côte âge de la pension et espérance de vie, le différentiel entre les deux permet d’envisager le nombre moyen d’années passées à la pension. Avec des nuances qui ressortent à travers l’Europe. Les Bulgares ou les Roumains peuvent ainsi espérer passer une petite dizaine d’années à profiter de leur retraite, là où les Français et les Suisses tournent autour de deux décennies.

Le cas de la Norvège et de la Suède, bien classées, est plus particulier. L’âge du départ à la retraite y est flexible, au plus tôt à 62 et 63 ans, respectivement. Les deux pays nordiques appliquent ou appliqueront un âge recommandé de la retraite à 67 ans, seulement à partir de la période 2026-2029 dans le cas de la Suède. Dans le cadre de cette carte comparative, c’est le premier âge disponible qui est affiché, au début de la soixantaine donc.

Espérance de vie ou vie en bonne santé?

Les deux pays nordiques affichent évidemment une espérance de vie élevée, qui leur permet aussi d’atteindre les deux décennies à la pension. C’est moins le cas à l’est du continent ou dans les pays baltiques, qui n’ont pas encore dépassé les 80 ans d’espérance de vie. Une retraite à 67 ans y signifie forcément une moindre période passée à la retraite.

Un autre chiffre est parfois avancé pour défendre l’idée d’une retraite plus précoce: celui basé sur l’espérance de vie en bonne santé, soit les années sans maladie grave ou soucis de santé modérés. Selon les dernières données d’Eurostat, un Belge pouvait ainsi espérer passer 64 années en bonne santé, en 2023. Un peu plus que la moyenne de l’Union européenne (63,1 ans).

Le même calcul a été effectué pour les personnes à partir de 65 ans: les seniors belges pouvaient ainsi entrevoir encore 11,5 années sans problèmes de santé graves ou modérés. C’est deux ans de plus que la moyenne de l’UE (9,4 ans), mais moins que les Suédois (13,9 ans) ou les Norvégiens (14 ans).

Cet indicateur supplémentaire permet de mieux cerner la période de la retraite, mais ne doit pas prendre le pas, estime Pierre Devolder. «Le coût des retraites pour un Etat, c’est l’espérance de vie. En étant un brin cynique, qu’un pensionné soit en bonne ou en mauvaise santé, il faudra quand même payer sa retraite. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut totalement balayer cet indicateur. La santé est un élément important évidemment, qui pèse sur une autre branche de la sécurité sociale, donc finalement sur l’Etat. Mais on ne peut pas se baser uniquement sur ce chiffre, au risque de mal prévoir le vrai coût des pensions.»

Le coût et les suppléments

Soutenir le système des pensions reste un jeu d’équilibriste, dans une période marquée par la convergence de difficultés économiques et de tensions multiples, qu’elles soient climatiques ou géopolitiques. Les réformes proposées ont, pour le moment, touché plutôt aux paramètres du système qu’au système lui-même.

Si les doutes sur la soutenabilité du premier pilier des pensions, celui payé par l’Etat, grandissent, les autres piliers peuvent offrir un soutien. «La déclaration gouvernementale contient enfin l’idée d’une obligation pour chaque entreprise d’avoir un deuxième pilier.  C’est à mon sens une excellente chose. Les politiques ont parfois soufflé le chaud et le froid sur le deuxième pilier, de manière un peu schizophrénique. Un jour le jugeant essentiel, puis le critiquant le lendemain car il serait injuste, avec des avantages fiscaux qui profitent aux plus riches. La situation démographique et économique est suffisamment grave, il faut mettre un terme à ces réflexes de défense. Tous les citoyens en ont besoin», martèle l’expert.

Le troisième pilier, celui constitué directement par le travailleur via une épargne-pension ou épargne à long terme, reste également un supplément à prendre en considération. Même s’il présente des limites et ne fait jouer aucune solidarité entre les travailleurs, à l’inverse des deux premiers piliers. «C’est toujours une bonne chose de pouvoir se constituer un supplément, mais à qui s’adresse-t-on ici? Uniquement à ceux qui savent épargner. Sans système collectif, obligatoire, en mettant tout entre les mains de l’individu, on affaiblit le socle de solidarité», prévient encore Pierre Devolder.

Chaque pays fait face à des défis importants pour financer correctement ses retraites, avec des histoires, des logiques et un individualisme différent au sein de la population. Les Pays-Bas notamment ont réduit la voilure du premier pilier, créant un appel d’air vers le deuxième pilier. La Suède de son côté mise plus fortement sur le premier pilier et est parvenue à stabiliser le coût du vieillissement. Des exemples dont les experts peuvent s’inspirer, «sinon en termes de copier-coller, au moins pour en ressortir les meilleures pratiques», espère encore le spécialiste des pensions.

Quelle voie finira par emprunter la Belgique, entre maintien à l’emploi, inspiration venue d’ailleurs ou réforme plus ambitieuse? Il faudra trancher. L’horloge démographique, elle, continue de tourner.

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire