La Belgique reste à la traîne en matière de rémunération de l’épargne, un paradoxe que ni les banques ni l’Etat ne semblent vouloir corriger. Plusieurs facteurs expliquent l’apathie belge.
Les taux d’épargne belges, c’est une certitude, souffrent d’une maladie chronique. Le diagnostic est sans appel: il fait état d’une faiblesse systématique des taux, insensibles aux coups de boost de la Banque centrale européenne (BCE), et délaissés par un éventuel traitement revigorant du gouvernement fédéral.
La Belgique est probablement affectée par une maladie rare. Et la cure s’annonce complexe. En Europe, elle fait souvent exception. Les dernières données de la BCE disponibles montrent en effet que le taux d’intérêt moyen sur les dépôts d’épargne, 0,74%, est un des moins hauts de la zone euro. En septembre, ce taux était «de 1,68% au Luxembourg, 1,55% en France, ou 1,24% aux Pays Bas», compare l’économiste Eric Dor (IESEG School Management).
Epargne: la tendance à la baisse
Alors que la BCE avait augmenté son principal taux directeur de 4,5% au total de 2022 à 2023, les banques belges n’avaient alors pas (du tout) emboité le pas, avec une hausse globale inférieure à 1%. Les banques de beaucoup d’autres pays de la zone euro avaient, elles, davantage augmenté leurs taux. «Le taux d’intérêt moyen avait en effet augmenté jusqu’à 3,65% en Autriche, 3,52% au Luxembourg, 2,57% en France ou 1,59% aux Pays Bas.» L’enrouement belge sur l’épargne est donc bien réel.
Et lorsque que la BCE a commencé à diminuer ses taux directeurs à partir de juin 2024, le taux sur l’épargne belge a par contre suivi la tendance, cette fois, et s’est lui aussi dégradé en 2025. Ce n’est pas tout: alors que le taux de la facilité de dépôt de la BCE est désormais inchangé depuis juin, «certaines banques continuent à baisser leurs taux sur les comptes d’épargne, encore en octobre et novembre.» En clair: la tendance reste à la baisse, peu importe les signaux de la Banque centrale.
Les banques profitent de l’immobilité de l’épargnant belge
C’est un autre symptôme connu: l’épargnant belge est statique. Il laisse des centaines de milliards d’euros sur des comptes d’épargne très peu rémunérés par les grandes banques. «Ces épargnants passifs négligent même la possibilité de déplacer leurs avoirs vers des comptes d’épargne mieux rémunérés offerts par certaines petites banques en ligne, avec la même protection légale», pointe Eric Dor. Les banques n’en demandent pas tant: «elles préfèrent dès lors se concurrencer uniquement sur le segment des épargnants dynamiques, en les guidant vers d’autres produits comme les comptes à terme, sur lesquels les taux offerts sont supérieurs, même après déduction de l’impôt de 30%.»
La pratique est rentable pour le secteur bancaire: il est effectivement moins coûteux d’augmenter les taux sur un segment limité de son offre que sur une masse aussi volumineuse que celle représentée par les comptes d’épargne. «Même si, sur le comptes à terme aussi, la Belgique fait moins bien que ses voisins.»
Pourquoi le taux sur l’épargne est toujours plus faible en Belgique?
Pourquoi, dès lors, la rémunération de l’épargne en Belgique semble chroniquement plus basse que celle de nos voisins?
Première explication, selon Eric Dor: les banques belges affirment être pénalisées par des cotisations, destinées au fonds de protection des dépôts, supérieures à ce que paient leurs concurrents des pays voisins. «Ce qui réduirait leurs possibilités pour payer de bons taux sur l’épargne.» En 2023, cette contribution avait en effet atteint 1,80% en Belgique tandis qu’elle se situait entre 0,5% et 0,8% dans d’autres pays européens, chiffre le site comparatif guide-epargne.
Deuxième (possible) explication, toujours selon le site comparatif: le faible rendement de l’épargne résiderait dans la popularité des prêts hypothécaires à taux fixe en Belgique. «Entre 2016 et 2022, les banques belges ont accordé de nombreux prêts immobiliers à un taux fixe faible. Actuellement, de nombreux Belges sont en train de rembourser des prêts immobiliers relativement peu rentables pour les banques. Les institutions financières gardent donc nettement moins de ressources pour pouvoir accorder des taux d’épargne plus élevés.»
S’il est avéré que beaucoup de taux hypothécaires fixes ont été proposés en Belgique à une époque où les taux étaient faibles, «la corrélation directe entre le taux des crédits hypothécaires et le taux d’épargne est difficilement prouvable, voire inexistante», doute Nicolas Claeys, expert financier chez Testachats. Dans les autres pays européens, ce lien n’est effectivement pas établi. «Et si tel était vraiment le cas, les bénéfices des banques n’auraient pas autant augmenté ces dernières années. Par ailleurs, il est plutôt contradictoire, dans le chef des banques, de justifier la faiblesse des taux d’épargne sur le dos de crédits peu rentables, et, dans le même temps, d’augmenter les dividendes d’année en année. Cela prouve que l’argument ne tient pas.»
En outre, depuis que la BCE a mis en pause ses baisses de taux directeurs en juin, «le taux moyen sur les nouveaux prêts immobiliers a recommencé à augmenter. Mais beaucoup de banques continuent quand même à diminuer les taux sur les comptes d’épargne», compare Eric Dor.
Troisième explication, davantage connue: la structure oligopolistique du marché bancaire belge, où les quatre grandes banques se neutralisent entre elles. Un véritable frein, déjà pointé par l’Autorité de la concurrence, «qui comprime les taux moyens offerts sur les dépôts d’épargne», observe Eric Dor. Pour Nicolas Claeys, «on constate un oligopole tacite, mais factuel.»
Epargne: quelles solutions?
Que peut faire le législateur face à ce blocage? «Il y a par exemple une proposition de loi pour limiter à 2% l’ampleur avec laquelle le taux de base sur les dépôts d’épargne réglementé puisse être inférieur au taux de la BCE», relate Eric Dor.
Supprimer la prime de fidélité est un autre piste régulièrement évoquée. Lorsque cette dernière est couplée au taux de base (et c’est le cas pour la majorité des comptes d’épargne en Belgique), le taux global est souvent trompeur et ne donne pas la rentabilité affichée. C’est un des grands combats menés par Testachats, depuis plusieurs années. Mais l’Arizona y semble insensible. L’option, à date, n’est pas envisagée.
Une autre hypothèse consisterait dans l’instauration d’un taux qui serait fixé par l’autorité publique, avec un encours maximum, comme c’est le cas en France. En revanche, «il est très incertain que le taux de la BCE soit la bonne référence à utiliser pour contrôler légalement les taux sur les comptes d’épargne, exclut Eric Dor. Une meilleure référence consisterait dans l’estimation d’un taux de rendement moyen de l’ensemble des actifs des banques, dont les prêts à la clientèle, les obligations détenues, la facilité de dépôt, les crédits interbancaires, etc.»
Le double jeu du gouvernement
Avec toujours plus de 300 milliards présent actuellement sur les comptes d’épargne belges, «les banques ne font aucun effort, regrette Nicolas Claeys. Avec un tel montant en réserve, elles n’ont même plus la volonté d’attirer davantage d’épargnants, car elles n’en ont tout simplement pas besoin.»
Et l’expert de Testachats de tacler le double jeu entretenu par le gouvernement fédéral. «Si Jan Jambon a demandé à la BNB d’examiner pourquoi les taux d’épargne étaient si bas en Belgique, l’Arizona n’a toujours pas encore pris de mesures concrètes pour y remédier, déplore-t-il. Il a certes été décidé de limiter le nombre de comptes d’épargne à quatre par banque, mais c’est marginal. Tout comme l’est la proposition, sur base volontaire, qui veut que les banques établissent un comparatif de taux sur leurs sites. C’est évidemment largement insuffisant pour faire bouger les taux.»
Par ailleurs, dans les grandes banques, «une large part de clients ont encore le compte d’épargne le moins rémunérateur», remarque Nicolas Claeys. Et ce n’est pas la taxe bancaire de 150 millions d’euros qui favorisera l’épargnant. «L’Etat tire aussi la couverture de son côté. Les banques s’arrangeront pour ne pas sentir les effets de cette taxe sur leurs bénéfices. In fine, l’épargnant en fera les frais», redoute le spécialiste, pour qui le gouvernement est juge et partie. «Il se demande pourquoi l’épargne est si mal rémunérée, mais augmente la taxe bancaire en même temps. En réalité, cette taxe bancaire est un impôt déguisé sur l’épargne. Pour l’Etat, c’est également une manière de combler le manque à gagner de l’absence de précompte sur l’épargne. L’Etat faire croire qu’il va s’occuper des épargnants, mais au final, il s’en met plein les poches.»
Si l’épargne belge souffre, c’est donc parce que ceux en capacité de la guérir trouvent un intérêt certain à la voir dépérir lentement. A l’épargnant de faire son automédication.