
Les frais cachés des épargnes-pensions: «Le secteur financier récupère quelque 500 millions d’euros chaque année»
Alors que plus de trois millions de Belges cotisent à un plan d’épargne-pension, les frais bancaires continuent de rogner le rendement net. Le député Vooruit Jeroen Soete propose une réforme pour plafonner les frais d’entrée et de gestion, et «rendre aux épargnants une part substantielle de leur retraite.»
Vooruit, par le biais de son député fédéral Jeroen Soete, s’est indigné jeudi, au Parlement, des frais bancaires cachés qui grignotent l’épargne-pension de la population. A chaque transaction, certaines banques et fonds de pension prélèvent jusqu’à 3% de la somme. A cela s’ajoutent des frais de gestion annuels allant de 0 à 2%. Un manque à gagner pour les épargnants qui se chiffre en dizaines de milliers d’euros sur une carrière complète. La proposition de Vooruit: réduire ces frais de manière significative. Plafonner les frais d’entrée à 1% par versement et ramener les frais de gestion annuels à 0,5% du capital.
Le texte du député flamand est actuellement sur la table des négociations à la Chambre. «Avec nos partenaires de la coalition Arizona, nous sommes tombés d’accord pour améliorer le rendement net des épargnants, en limitant les frais bancaires. Il y aura peut-être des discussions sur les détails, mais je m’attends à ce que nos partenaires respectent l’accord de gouvernement», affirme Jeroen Soete.
Chaque banque et chaque fonds d’épargne a ses taux propres, qui varient fortement de l’un à l’autre. Pour comprendre l’impact de ces frais, couplés aux rendements variables, sur le fonds de retraite total, nous avons simulé un cas d’école fictif basé sur des moyennes. Le taux d’épargne moyen d’un travailleur salarié est de 223 euros par mois, soit 2.676 euros par an. Nous considérons que cette personne a épargné pendant 45 ans, tout au long de sa carrière. Elle aura donc investi 120.420 euros dans son plan retraite. Ce montant est brut: il varie en fonction des frais d’entrée appliqués à chaque transaction. Parfois, ce dernier est nul. Mais il peut aussi se situer entre 2% (4,46 euros par mois) et 3% (6,69 euros par mois). Cela dépend des banques ou du fonds de pension. La proposition de Vooruit est de réduire ce taux à 1% maximum. Sur ce seul changement, et toujours sur la base de ce cas d’école, l’épargnant pourrait récupérer jusqu’à 2.408 euros.
Ensuite, Vooruit veut plafonner les frais de gestion annuels à 0.5%. Et c’est là-dessus que les épargnants peuvent récupérer le plus d’argent. Ces frais varient entre 0,26 % chez CBC et 1,83 % chez ING. Ils sont exprimés en pourcentage du capital total investi. Donc, chaque année, les épargnants chez ING qui bénéficient du fonds Star Fund versent 1,83 % de leur capital retraite rien qu’en frais de gestion. Le taux est fixe, mais le capital augmente au fil du temps grâce au rendement. Plus il est élevé, par exemple 2,96 % pour ING, plus la somme payée en gestion est importante. Logique.
Même si l’on parle de «frais annuels», ils sont prélevés quotidiennement ou mensuellement dans la pratique. Ils ne sont pas prélevés une fois par an d’un coup, mais calculés proportionnellement tout au long de l’année.
Pour Jeroen Soete (Vooruit), il n’est pas normal que les banques «s’enrichissent» sur les plans de retraite de leurs clients: «En limitant les frais, nous veillons à ce que l’avantage fiscal lié à l’épargne-pension bénéficie réellement à ceux qui y ont droit: les épargnants eux-mêmes. Grâce à notre proposition, ils pourraient bénéficier d’environ 21.000 euros supplémentaires.» Sa grande mesure qui consiste à abaisser les frais de gestion à 0,5% du capital serait une petite révolution. Un énorme manque à gagner pour les banques, mais une augmentation nette du capital retraite des épargnants.
En réalité, les 21.000 euros évoqués par Jeroen Soete ne sont qu’une moyenne. Si les frais de gestion baissent effectivement à 0,5%, le gain pour notre cas d’école (223 euros/mois pendant 45 ans) peut être plus de deux fois supérieur. Prenons le cas du fonds d’épargne ING, Star Fund: avec des frais de gestion à 1,83%, cela représente 57.583 euros de frais cumulés sur 45 ans. En passant à un taux plafond de 0,5%, ce coût descend à 19.968 euros. Le bénéfice net pour l’épargnant serait donc de 37.615 euros. «Le secteur financier récupère quelque 500 millions d’euros du montant que les épargnants mettent de côté chaque année pour leur pension», affirme le député Vooruit. Mais Jeroen Soete oublie un critère important. Si certains frais de gestion sont si hauts, et que les dépenses se chiffrent en plusieurs dizaines de milliers d’euros, c’est aussi parce que la banque fait travailler le capital de l’épargne-pension pour, au final, que son client gagne plus. Un deal «gagnant-gagnant» à un prix parfois élevé.
Gains ou pertes?
Pierre Devolder, professeur en finances à l’UCLouvain, regarde cette proposition de loi avec un œil critique: «Je ne peux pas m’empêcher d’y voir une décision purement politique, teintée d’une profonde méfiance envers le système financier. Je ne pense pas qu’il faille uniformiser les frais et les taux de rendement. Ce plafond à 0,5% de frais de gestion va influencer directement les investissements des banques, et donc les rentes du particulier.»
Il poursuit: «Certains fonds coûtent plus cher, oui, comme chez ING ou Argenta, où les frais de gestion avoisinent les 57.000 euros. Mais les rentes liées aux investissements sont aussi plus importantes. Cela s’explique par le dynamisme de votre capital. Plus votre fonds ou votre banque investit activement votre argent, plus vous pouvez gagner. Il faut bien payer ce travail.»
Mais le professeur nuance. Il parle ici des «fonds et banques honnêtes, intéressants», et pointe du doigt certains abus: «Chez ING avec leur fond Star Fund, le gain net pour l’épargnant basé sur votre cas d’école est d’environ 30.000 euros… pour presque le double en frais de gestion. C’est peu rentable. C’est au particulier de choisir son plan et son partenaire financier. C’est de la libre concurrence, et c’est sain. Peut-être que mettre un plafond sur ces frais peut éviter certains abus, mais il faut être prudent pour ne pas stériliser ce secteur. La finance a besoin de créativité, basée sur des risques mesurés, pour être intéressante.»
En Belgique, chacun peut choisir entre un plan d’épargne stable et sécurisé, où le capital final sera proche du capital investi, ou un fonds plus dynamique, avec plus de risques mais aussi des gains potentiellement supérieurs. Pour Pierre Devolder, la proposition de Vooruit n’est pas à jeter, mais elle ne doit pas non plus devenir un dogme: «Réguler les abuseurs, oui. Uniformiser tous les taux, non. Et pour ces 500 millions d’euros perçus par les banques via les plans de pension, dont parle Vooruit, c’est fallacieux. On pourrait s’amuser à faire la même chose avec la plus-value des mécaniciens quand ils vous vendent une pièce pour votre voiture. Un service a un prix.»
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