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Charlotte de Montpellier, économiste chez ING, analyse les différentes manières d’investir chez les hommes et les femmes.

L’engrenage invisible qui rend les femmes belges moins riches: «Moins d’investissements, moins de patrimoine, moins de pension»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

En Belgique, les femmes investissent toujours moins que les hommes. Elles sont également moins optimistes, avec une aversion au risque plus marquée. Un cercle vicieux: leur patrimoine est moins fourni à la pension, alors qu’elles vivent plus longtemps que les hommes. Enrayer l’engrenage est un challenge de taille.

C’est un véritable cercle vicieux que décrit Charlotte de Montpellier, économiste chez ING, dans sa nouvelle étude consacrée aux investissements chez les femmes en Belgique.

Partie d’un constat limpide, celui de «claires différences en termes d’accumulation du patrimoine entre hommes et femmes», l’économiste décode comment ces dernières sont toujours plus pénalisées lorsqu’il s’agit d’investir… et comment cet élément se répercute également sur leur niveau de vie à la pension.

Si le taux horaire du salaire entre hommes et femmes souffre d’un moins grand écart en Belgique que dans d’autres pays européens, il reste une réalité en défaveur des femmes, qui font également plus d’interruptions de carrière, travaillent à 3/5e ou à mi-temps. Résultat: elles accumulent moins d’argent. Fatalement, moins d’épargne réduit le potentiel d’investissement. «C’est une réalité qu’on ne peut pas nier: en Belgique, davantage de femmes n’ont pas la possibilité d’investir, commente Charlotte de Montpellier. Elles sont par exemple aussi plus susceptibles d’avoir la garde des enfants après un divorce, ce qui engendre davantage de dépenses quotidiennes

Investissements: les femmes moins optimistes

En plus de ces raisons structurelles, la spécialiste note des différences de comportement. «Les femmes sont moins susceptibles d’investir car elles ont beaucoup plus peur du risque. Elles sont également moins optimistes quant aux éventuels gains que pourraient générer les investissements. Certaines finissent alors par se dire « le jeu n’en vaut pas la chandelle, je ne vais pas gagner grand-chose ».»

«Les femmes sont moins susceptibles d’investir car elles ont beaucoup plus peur du risque. Elles sont également moins optimistes quant aux éventuels gains que pourraient générer les investissements.»

Ce décalage débouche sur des conséquences très importantes, notamment pour la pension. Car, faut-il encore le rappeler, les femmes ont une espérance de vie plus longue que les hommes. Statistiquement parlant, donc, elles restent plus longtemps à la pension. «Or, les femmes ont souvent des carrières moins complètes. Elles disposent d’une pension légale plus faible que leurs homologues masculins. C’est un vrai problème de société», ajoute Charlotte de Montpellier.

Investissements: les femmes «deux fois» plus pauvres à la pension

D’autant plus que, en dehors de la pure différence de patrimoine et l’envie d’investir, les femmes ont également moins de connaissances pour le faire. «Ce qui engendre un écart supplémentaire en termes de patrimoine, car elles s’enrichissent moins. In fine, elles sont  « deux fois » plus pauvres à la pension», déduit l’économiste.

«Les femmes s’enrichissent moins et ont des carrières moins longues. A la pension, elles sont donc ‘deux fois’ plus pauvres que les hommes, alors que leur espérance de vie est plus longue.»

Si les femmes sont souvent moins à l’aise avec la finance, c’est aussi parce qu’elles sont moins nombreuses à s’occuper des finances du ménage au jour le jour. «Souvent, c’est encore l’homme qui gère le budget du ménage, mais aussi les planifications à long terme des avoirs financiers.»

Education financière et aversion au risque  

Le fait que les femmes prennent moins de risque relève également de la dimension psychologique. «Ce qui amène à un comportement hyper prudent. Or, on sait qu’avec les connaissances, on peut faire des investissements rémunérateurs qui limitent le risque –diversification, long terme, etc.» A cet égard, l’étude d’ING chiffre que 17% des femmes investisseuses ont un profil de risque dynamique ou actif contre 27% d’hommes.

Ce problème d’éducation financière est presque historique, selon l’économiste. Les femmes bénéficient d’une moins bonne éducation à la finance que les hommes. «Elles se trouvent dans un cercle vicieux: comme elles sont moins nombreuses à être en charge de la gestion financière, elles vont moins se documenter sur le sujet en cours de route. Or, ce savoir s’acquiert surtout au cours de la vie, moins à l’école, où le manque de cours sur la gestion quotidienne est criant. Cette situation s’autoalimente.»

Comment briser cette dynamique, dès lors? La première étape, «c’est d’informer sur le constat», juge l’experte. La seconde réside dans l’accessibilité de l’investissement. «On voit par exemple que les femmes sont plus susceptibles de faire appel à un conseiller financier que les hommes. Ce qui traduit leur besoin d’être davantage accompagnées. Les institutions financières ont également leur rôle à jouer en proposant des solutions moins rebutantes.»

L’inflation est le cauchemar de l’épargne

L’économiste rappelle un concept basique mais qui pas encore intégré par tout le monde: l’argent laissé sur un compte d’épargne perd systématiquement de la valeur. «Parce qu’en parallèle, les prix augmentent. A terme, les taux d’épargne ne battent jamais l’inflation. Lorsqu’on épargne, donc, on perd de l’argent. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut pas épargner pour s’assurer un matelas de sécurité financière.»

Toujours est-il qu’entre 2019 et aujourd’hui, les prix à la consommation ont augmenté de… 23%. En d’autres termes, 100 euros déposés sur un livret il y a six ans «valent quasiment un quart en moins.»

Problème: lorsqu’ING demande aux femmes ce qu’elles préconisent pour protéger leur patrimoine face à l’inflation, elles sont plus nombreuses que les hommes à répondre «mettre son argent sur un compte épargne». L’étude montre en effet que 50% des hommes disent investir en partie leur épargne ou celle du ménage, contre 40% des femmes. «On sait qu’il existe donc une vraie différence. Et on dit souvent que l’inflation est le cauchemar de l’épargne. Pour les femmes, tout cela accentue encore les écarts de richesse.» Charlotte de Montpellier estime qu’un rééquilibrage pourrait prendre jusqu’à… dix ans.

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