Investir dans l’art: « C’est un marché qui manque de transparence »
Par les temps inflationnistes qui courent, est-ce un bon plan d’investir dans l’art ? Tout dépend s’il s’agit d’un investissement ou d’un placement.
Le marché de l’art charrie souvent la réputation d’être résistant lorsque le ciel économique s’assombrit, malgré les risques qu’il comporte. Avec peut-être dans un coin de la tête quelques plus-values réalisées ces dernières années par des détenteurs d’œuvres célèbres: 103,4 millions de dollars pour Femme assise près d’une fenêtre de Picasso ou 93,1 millions de dollars pour In the Case de Jean-Michel Basquiat en 2021. S’il n’est pas interdit de rêver, de telles plus-values ne sont pas à la portée de toutes les bourses. «Il y a différents niveaux au marché de l’art, affirme Anne-Sophie Radermecker, chercheuse FNRS au sein de la filière de gestion culturelle de l’ULB. Pour des œuvres de qualité muséale, de grands artistes, des rendements intéressants sont bien sûr possibles. Mais si les moyens de l’investisseur sont plus limités au départ, il est quasiment impossible qu’il réalise de grosses plus-values au moment de la revente.»
Investir dans l’art et réaliser des gains importants, Henry Bounameaux, expert en œuvres d’art (Bounameaux Art Expertise), reconnaît que cela existe. «Mais essentiellement sur des marchés spéculatifs où, certes, on peut gagner beaucoup d’argent mais aussi en perdre beaucoup, avertit l’expert. Aujourd’hui, derrière l’envolée des prix de certains jeunes artistes, on aperçoit toute une dynamique de spéculation reposant sur des éléments très aléatoires.»
Les spécialistes ont souvent présenté l’art comme un marché à part et l’investissement dans celui-ci comme spécifique. «C’est un marché qui manque de transparence avec des informations publiques limitées, affirme Eugénie Dumont, art collections manager au sein de la petite équipe du département «art advisory» de la banque Degroof Petercam. Il est aussi illiquide. C’est-à-dire que chaque œuvre, unique en principe, a un nombre limité d’acquéreurs potentiels. Enfin, même si des critères peuvent être avancés pour estimer une œuvre (l’authenticité, la condition, le nom de l’artiste, le format…), il n’existe pas les mêmes méthodes de valorisation quantitative que pour d’autres actifs: la valeur des œuvres reste extrêmement subjective.»
Investir dans l’art: « On peut veiller à ce que le client achète bien »
Henry Bounameaux a l’habitude de distinguer, en matière d’art, investissement et placement. Dans son esprit, le premier a trait à des marchés spéculatifs où le risque financier est omniprésent et l’information – par exemple, l’entrée prochaine d’un artiste dans telle ou telle galerie réputée – est accessible à un nombre très limité «d’initiés». A l’inverse, le second s’attache, à des marchés aux «comportements» plus stables où un rendement, s’il n’a rien de garanti, peut venir «auréoler» la vente de certaines pièces après une période relativement longue.
«En réalité, une plus-value, c’est seulement lorsqu’on vend qu’on peut voir si elle existe ou pas, indique Henry Bounameaux. Quelqu’un qui dirait: “Achetez ceci et dans cinq ans vous me remercierez” ne serait pas honnête. En tant qu’expert, on peut surtout conseiller un client lorsqu’il veut vendre et lui dire si c’est le moment ou non de le faire. On peut aussi veiller à ce qu’il achète bien, c’est-à-dire à un prix qui, parce qu’il est correct, peut laisser entrevoir un rendement à terme. On peut, en outre, écarter facilement ce qui ne prendra jamais de valeur.»
Et les NFT dans tout cela? Si ces certificats de propriété numérique associables à des œuvres d’art ont pu affoler les compteurs ces derniers mois, les spécialistes restent très prudents. Ce que résume Eugénie Dumont en affirmant: «Il est trop tôt pour savoir ce que cela va donner.»
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