Des aliments sont régulièrement pointés du doigt car ils contiennent des microplastiques, des traces de pesticides, ou encore… des poils de rongeurs. C’est le cas de certaines épices vendues dans le commerce. Peu ragoûtantes, ces matières organiques sont, dans la plupart des cas, sans danger pour la santé.
Qu’il soit piquant ou non, difficile d’imaginer un plat sans herbes, épices et autres aromates. Tandis qu’il y a quelques années encore, des internautes raillaient un supposé amour des Occidentaux pour les plats «fades», les cuisiniers européens, professionnels ou amateurs, sont aujopurd’hui de plus en plus friands de recettes épicées. Selon l’Office des statistiques de l’Union européenne (Eurostat), en l’espace de dix ans (2012-2022), les importations d’épices issues de pays non-européens ont explosé: +57% toutes épices confondues, et même +149% pour le gingembre et +142% pour le curcuma.
Parmi les épices les plus prisées par les Européens, il y a donc le gingembre, avec 114.000 tonnes importées en 2023. Suivent le paprika (110.600 tonnes), le poivre (50.300 tonnes), le curcuma (16.000 tonnes) et la cannelle (13.300 tonnes).
Si l’on prête à certaines de ces épices 1.000 vertus, en consommer n’est pas sans risque. Premièrement, à cause de la présence de mycotoxines (des toxines produites par la moisissure), entre autres dues aux habitudes d’utilisation des consommateurs. En versant les épices directement au-dessus de la casserole ou de la poêle, les vapeurs de cuisson entrent dans le pot, ce qui favorise la prolifération des spores. Deuxièmement, parce que certaines épices vendues dans le commerce continent des pesticides, des microplastiques, ou encore des corps étrangers, révèle une récente étude publiée dans le magazine 60 Millions de Consommateurs.
Des pesticides en veux-tu en voilà
Parmi les quelque 40 références analysées, plus de la moitié présentent un à plusieurs résidus de pesticides. Les produits les plus contaminés sont les herbes de Provence, dont certaines d’origine française et bénéficiant du Label Rouge (devant théoriquement garantir «un niveau de qualité supérieur par rapport aux autres produits courants similaires», selon le Ministère de l’Agriculture), souligne l’étude.
Parmi les produits phytosanitaires retrouvés dans les épices analysées, certains sont pourtant interdits dans l’Union européenne, à l’image du linuron, du diméthomorphe, de l’imidaclopride et du thiaméthoxame. Comment cela est-il possible? Comme le montrent les chiffres d’Eurostat, la plupart des épices importées en Europe proviennent de Chine, du Vietnam, ou encore d’Inde. Des pays où les réglementations en matière de pesticides ne sont pas les mêmes que dans l’Union européenne.
Depuis plusieurs années, par exemple, des épices indiennes sont dans le viseur des autorités sanitaires à travers le monde en raison de la présence d’oxyde d’éthylène (ETO). Il s’agit d’«un produit chimique utilisé dans certains pays tiers pour désinfecter les graines, herbes, fibres et autres produits agricoles. [Il] a des effets cancérigènes, mutagènes et tératogènes», indique l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca). Son utilisation pour les usages alimentaires est interdite dans l’UE depuis 1991.
Des poils de rongeurs et restes d’insectes dans les épices
Plus surprenant encore, parmi les quelque 40 épices analysées par 60 Millions de Consommateurs, certaines contenaient… des poils de rongeurs, des plumes, ou encore des insectes, parfois en importante quantité. C’est la marque Bédros qui décroche la première place avec pas moins de «570 fragments d’insectes pour 50g» de cannelle, ou encore «40 à 70 poils ou fragments de poils pour 50g» d’épices (aussi retrouvés chez la marque Samia).
Si l’information est peu ragoûtante pour le consommateur, la présence de corps biologiques étrangers ne représente pas un réel danger pour la santé. En outre, les épices ne sont pas les seules concernées par ces «défauts». Selon la Food and Drug Administration américaine (FDA), il est d’ailleurs «économiquement impossible de cultiver, récolter ou transformer des produits bruts totalement exempts de défauts», précisant que ceux-ci sont «naturels et sans danger».
«Les déchets organiques tels que les poils ou les plumes sont constitués d’acides aminés et de protéines qui se trouvent déjà dans les aliments que l’on consomme. Certes, sous une forme moins digestible, mais en quantités infinitésimales qui restent sans danger», rassure Georges Daube, professeur de microbiologie des denrées alimentaires au sein de la faculté vétérinaire de l’Université de Liège. Du moins, tant que les animaux à qui ces corps étrangers appartenaient n’ont pas reçu un traitement quelconque qui se retrouverait sur leur peau, leurs poils ou leurs plumes.
L’ionisation, une solution qui divise
Pour le spécialiste de la sécurité agro-alimentaire, le fait que des matières organiques se retrouvent dans des épices n’a rien de surprenant, surtout si celles-ci proviennent de «pays tropicaux et ensoleillés», où elles sont parfois séchées à l’air libre. Et où elles peuvent être en contact direct avec des insectes, des oiseaux, ou encore des rongeurs. «Contrairement à chez nous, où l’on ne sèche généralement pas les épices à l’air libre, mais plutôt dans des usines agro-alimentaires qui emploient des processus technologiques en intérieur et où le risque de contaminations est maîtrisé», ajoute le Pr Daube.
Outre les produits phytosanitaires évoqués plus avant, le danger vient surtout des corps étrangers de grande taille, selon le microbiologiste, ou encore des matières fécales animales qui peuvent renfermer des agents pathogènes. «C’est pour ça que les épices doivent être traitées, notamment pour éliminer les salmonelles (NDLR: retrouvées notamment dans des épices indiennes), qui, encapsulées dans des excréments, peuvent survivre et contaminer la nourriture, indique Georges Daube. L’ionisation alimentaire est la solution qui fonctionne le mieux. Mais elle n’est pas évidente à mettre en place, car pas vraiment acceptée par le consommateur, qui pense directement à la radioactivité. Alors que les traitements, tels qu’ils sont conçus actuellement, ne permettent pas de générer de la radioactivité supplémentaire dans les aliments.»
Le procédé de «stérilisation» par ionisation permet de détruire les micro-organismes et bactéries présents dans les aliments de consommation humaine. Ceux-ci sont exposés à des rayonnements gamma capables de transformer les atomes en ions. Ces rayons sont généralement obtenus grâce à la désintégration du cobalt 60, ou plus rarement du césium 137, deux isotopes radioactifs. Ce procédé est autorisé par la Food and Drug Administration et par l’OMS pour l’alimentation humaine. La Belgique est passée maître en la matière, puisque, selon le rapport 2018-2019 de la Commission au Parlement européen et au conseil, elle est à l’origine de 81,4% des produits ionisés vendus sur le marché européen. Des pommes de terre aux viandes, en passant par les fruits et les légumes, l’ionisation y est autorisée pour une vingtaine de catégories d’aliments.