Des boulangeries d’un nouveau genre se multiplient avec, parfois, un succès étonnant malgré leurs prix. © Getty Images

Paieriez-vous votre pain 10 euros? La nouvelle mode des boulangeries premium

Entre tradition artisanale et innovation culinaire, les «néo-boulangeries» se multiplient avec, parfois, un succès étonnant malgré leurs prix. Assiste-t-on à une véritable révolution d’un secteur en crise ou d’une tendance passagère poussée par les réseaux sociaux?

Des croissants brillants et aériens, des viennoiseries colorées et gourmandes, des pains au levain rustiques… De nombreux clients n’hésitent pas à poster sur les réseaux sociaux la pâtisserie qu’ils viennent d’acheter avant de la dévorer. Contribuant au succès de boulangeries d’un nouveau genre qui se multiplient, surtout à Bruxelles. Cette nouvelle vague d’artisans boulangers semble résister aux difficultés du secteur.

«Pains, baguettes, brioches, viennoiseries… tout est fait au levain, décrit Senina Cojocari, cofondatrice de la boulangerie Mains, à Bruxelles. Dès le départ, notre mission était claire: ne pas utiliser de levure industrielle, seulement de la naturelle». La boulangerie au style scandinave et anglo-saxon mise sur les produits de qualité supérieure à une esthétique soignée. Trois ans après l’inauguration d’une première enseigne à Uccle, une deuxième a ouvert cette année à Etterbeek.

«Le début a été très compliqué. Mais petit à petit, des clients sont venus et ont commencé à en parler autour d’eux. C’est ainsi que les gens nous ont découverts. Si j’ai ouvert une boulangerie, c’était justement pour défendre la qualité et l’éthique des ingrédients. Je savais que d’autres personnes y seraient sensibles. Et ça a marché. Les clients sentent la différence.»

Une nouvelle génération de boulangers atypiques 

Les «néo-boulangeries» de ce type se multiplient avec un concept souvent similaire: allier savoir-faire traditionnel, qualité des ingrédients, engagement écoresponsable et expérience client innovante. Le modèle semble faire fureur et le succès de ces établissements est parfois étonnant: la petite boulangerie Fiston, à Woluwe-Saint-Lambert, a été contrainte de fermer quelques semaines après son ouverture, l’année passée, pour se «réorganiser» face à l’engouement.

«Des visiteurs étrangers viennent même nous voir à Bruxelles parce que la boulangerie est sur leur “to do list”».

«Les réseaux sociaux nous ont permis de nous faire connaître, poursuit Senina Cojocari. Des visiteurs étrangers viennent même nous voir à Bruxelles, parfois parce que la boulangerie est sur leur « to do list ». Un jour, une influenceuse a publié une vidéo de nous qui a fait beaucoup de vues. Ça nous a apporté une nouvelle clientèle, notamment beaucoup de jeunes». Aujourd’hui, 45 collaborateurs travaillent dans ces deux implantations ouvertes sept jours sur sept.

Ce qui plaît tellement au consommateur, d’après Géry Brusselmans, fondateur du guide «Tartine et Boterham», c’est l’offre unique de ce type de boulangeries. «Les pains au levain ont vraiment construit cette nouvelle offre. Il s’agit de techniques anciennes nécessitant beaucoup plus de temps, mais qui offrent une plus-value». Un moyen de faire concurrence à l’offre des supermarchés qui étouffe certaines boulangeries traditionnelles.

Pour ce spécialiste, le profil atypique de certains de ces néo-boulangers explique également le succès de ces établissements. «Avant, un père boulanger arrêtait son activité et son fils la reprenait. Tandis que Le néo-boulanger s’est souvent reconverti et exerçait auparavant comme avocat, financier, etc. En plus de leurs compétences en boulangerie, ils ont établi un plan financier», rapporte le coordinateur de Tartine et Boterham.

Un second souffle après la crise du secteur?

Se lancer dans le secteur de la boulangerie artisanale ressemble, de prime abord, à une aventure risquée. D’après le SPF Economie, le nombre de boulangeries a diminué de 25% en dix ans. La concurrence avec les grandes surfaces met à mal de nombreux commerces, si bien que chaque mois depuis dix ans, deux boulangeries ferment en Wallonie et à Bruxelles. D’après les chiffres de Statbel, en 2023, 1.256 boulangeries étaient recensées en Wallonie, 2.856 en Flandre et 306 à Bruxelles. C’est au sud du pays que la chute est la plus vertigineuse, avec une baisse de 19,3 % par rapport à 2022. En cause: la concurrence des grandes surfaces, les coûts élevés de l’énergie, des matières premières et de la main-d’œuvre, ainsi que la pénibilité du travail dans ce secteur.

Le monde de la boulangerie est-il en train de reprendre du poil de la bête? Les Belges se sont-ils trouvé une passion pour le pain artisanal? «Ce nouveau modèle apparaît à Bruxelles et dans le Brabant wallon», nuance Albert Denoncin, boulanger depuis 43 ans et président de la Fédération francophone de la boulangerie-pâtisserie, glacerie, confiserie, chocolaterie. Le professionnel n’y voit pas de révolution mais un effet de mode limité aux métropoles. «On a connu ça avec le bio, qui s’est finalement révélé trop onéreux. Beaucoup de boulangeries ont fait marche arrière».

«Certains s’étonnent que nos croissants coûtent aussi cher.»

Car les produits des néo-boulangeries sont vendus à des prix non négligeables. Chez Mains Bakery, il faut compter six euros pour un pain signature, dix euros pour un pain de seigle aux graines, deux euros pour un croissant… « Certains s’étonnent que nos croissants coûtent aussi cher, mais la réalité, c’est qu’ils nous coûtent déjà plus d’un euro à produire, réagit Senina Cojocari. Ce n’est pas viable de fabriquer quelque chose si nous perdons constamment de l’argent sur des produits qui demandent autant de temps, de soin et des ingrédients aussi coûteux pour les réaliser. On utilise du vrai beurre bio très cher. Il faut bien payer nos employés, ils travaillent dur et ne peuvent pas être rémunérés au salaire minimum».

Ces néo-boulangeries ont plutôt tendance à ouvrir dans des communes plus aisées. «Si un établissement de ce style se positionne au nord de Bruxelles, ça risque d’être compliqué. Dans la région de Charleroi, on connaît deux ou trois boulangeries qui s’inscrivent dans ce modèle, mais c’est difficile», admet Géry Brusselmans.

L’avenir des boulangeries? Pas si sûr 

Pour Senina Cojocari, le modèle de Mains et des autres néo-boulangeries est l’avenir: «La mentalité et la demande des gens évoluent. Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus conscients de ce dont nous avons besoin, de l’origine des produits, et de l’importance de payer correctement notre personnel plutôt que de tout confier aux machines. Car avec l’industrialisation massive, l’argent est surtout allé dans les poches de grandes entreprises qui fabriquent pour tous les magasins, plutôt que dans des produits frais, fabriqués localement et en petites quantités. Les gens y sont désormais plus sensibles et recherchent autre chose qu’un produit standard de magasin, de qualité médiocre».

Albert Denoncin invite plutôt à la prudence et estime que ce modèle a des limites. «Si tout le monde fait ça, il y aura de la concurrence et les prix vont diminuer. C’est la loi de l’offre et la demande. On va voir si ce modèle va résister à long terme. Je leur souhaite que ça dure le plus longtemps possible».

Un autre modèle de boulangerie pourrait également s’imposer à l’avenir, d’après Géry Brusselmans: celui des ateliers centraux qui fournissent plusieurs magasins. «Il y en a déjà pas mal en Wallonie et à Bruxelles.»

Que les néo-boulangeries représentent une réelle révolution ou une tendance passagère boostée par les réseaux sociaux, une chose est en tout cas claire: le secteur est en train de changer. «Les jeunes boulangers veulent une vie sociale, ils s’organisent. Ils travaillent seuls ou avec un aidant et font ce qu’ils peuvent faire. Ça change beaucoup de mon époque où les boulangeries étaient ouvertes de sept heures du matin jusqu’à 19 heures, six jours sur sept. Tout cela est révolu», admet Albert Denoncin.

 

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