En Belgique, un parent sur quatre donne chaque mois de l’argent de poche à son enfant, selon une étude d’iVOX pour la banque-assureur Argenta. Une habitude partagée par les grands-parents, qui se digitalise progressivement.Mais combien donner, à partir de quel âge, et sous quelle forme? Derrière ces questions, on retrouve des enjeux éducatifs, culturels, mais aussi sociaux.
Plus de la moitié des parents belges (55%) donnent de l’argent de poche à leurs enfants, selon une étude menée début 2025 par iVOX pour la banque-assureur Argenta. Pour 36% d’entre eux, c’est chaque semaine, pour 64% chaque mois. Selon le sociologue de la famille et professeur émérite à l’Université de Toulouse Gérard Neyrand, en la matière, deux logiques coexistent depuis longtemps: «Certains parents optent pour un montant fixe afin que l’enfant apprenne à gérer un budget. D’autres préfèrent donner à la demande, pour répondre à un besoin ponctuel.
Face à l’allongement de l’espérance de vie et à un contexte socio-économique difficile, notamment pour les jeunes, les grands-parents jouent aussi un rôle croissant. «15,4% des grands-parents interrogés donnent de l’argent de poche à leurs petits-enfants», indique Argenta. Mais «le plus souvent, ils glissent un billet pour les anniversaires, Noël, ou lorsque leurs petits-enfants souhaitent acheter un objet d’une certaine valeur», ajoute le professeur.
Money, money, money, mais quand et combien?
Près de la moitié des parents belges (48%) commencent à donner de l’argent de poche aux 10 et 12 ans de l’enfant, tandis qu’un sur sept (14%) attend après le douzième anniversaire, selon l’étude pour Argenta. «Le passage à l’enseignement secondaire correspond souvent à la première véritable autonomie financière», explique Paul Brouwers, porte-parole de la banque. En se basant notamment sur l’article «Attitudes parentales à l’égard de l’argent de poche/des allocations pour enfants» d’Adrian Furnham publié dans la revue Journal of Economic Psychology en 2001, Stijn Van Petegem, indique: «On peut commencer à donner de petits montants à partir de 6-7 ans, puis augmenter progressivement». A partir de cet âge, les jeunes commencent à apprendre à compter ainsi que le rôle et la valeur de l’argent. «Mais chacun est différent, donc cela peut varier en fonction de l’enfant», nuance le chercheur qualifié au FNRS affilié à l’ULB.
«On assiste à une généralisation de l’argent de poche à un âge plus précoce qu’auparavant.»
Pour Gérard Neyrand, «on assiste à une généralisation de l’argent de poche à un âge plus précoce qu’auparavant». Concernant les montants, les 6-7 ans reçoivent en moyenne moins de cinq euros par mois, contre cinq et neuf euros pour les 8-9 ans et dix à 19 euros pour les 10-11 ans, indique une étude de Wikifin. Trois enfants sur dix reçoivent en moyenne entre 20 et 99 euros chaque mois. Pour les 12-13 ans, 52% reçoivent entre cinq et 39 euros mensuellement. Pour les 14-15 ans, 60% obtiennent entre dix et 99 euros, contre entre 20 et 149 euros pour 65% des 16-17 ans. Selon le sociologue, le montant de l’argent de poche a tendance à augmenter pour plusieurs raisons: «L’importance donnée à l’argent grandit et les jeunes restent de plus en plus longtemps chez leurs parents».
Des facteurs sociaux, culturels et éducatifs
Si les montants diffèrent selon l’âge, le niveau socio-économique, la culture des familles, l’éducation et la valeur de l’argent inculquées ne sont pas en reste. «L’argent de poche va varier en fonction de si l’on a affaire à des parents des couches moyennes supérieures instruites qui ont tendance à une gestion plus égalitaire de l’argent, ou à un milieu populaire, d’origine étrangère. Je pense notamment aux pays du Sud où le statut des filles et des garçons n’est pas le même avec une propension à plus contrôler ces premières avec un moindre accès à l’espace public», analyse Gérard Neyrand.
Cette reproduction des stéréotypes de genre à travers l’argent de poche est confirmée par plusieurs études. Selon le baromètre «Argent de poche et inégalités» de Pixpay –une application dédiée à la gestion financière des adolescents– publié le 5 mars 2025, les filles reçoivent en moyenne 6,7 euros de moins par mois que les garçons. «Ces différences rejouent des pratiques genrées dans la gestion de l’argent», déplore Marine Spor Ceccaldi, chercheuse en sciences de gestion à l’ULB.
Un argent de poche qui se digitalise
Alors que le liquide circulait largement dans les poches des adolescents d’hier, les usages changent et se digitalisent. En cause notamment: la raréfaction des distributeurs automatiques de billets qui rend difficile le retrait d’espèces. Pendant les mois de juillet et août, le nombre de demandes pour une première carte de débit pour les 11-12 ans a augmenté de 31,5%, selon l’étude pour Argenta. Outre cette dernière et Pixpay, des applications d’argent de poche comme Kard, Pockey ou encore ING Banking permettent notamment aux parents de paramétrer les versements et de suivre les dépenses de leurs enfants. «Ces innovations techniques facilitent le contrôle de ce qu’on donne à ses enfants ou petits-enfants et de leur apprendre à gérer un budget, et à épargner», explique Marine Spor Ceccaldi. Dans l’étude américaine «Allowances: Incidence in the US and Relationship to Financial Capability in Young Adulthood» («Allocations: incidence aux Etats-Unis et relation avec la capacité financière des jeunes adultes») publiée en 2021 dans le Journal of Family and Economic Issues, les jeunes adultes ayant perçu de l’argent de poche enfant déclarent un niveau de responsabilité financière légèrement supérieur aux autres.
«Selon Wikifin, un enfant sur cinq utilise son argent de poche pour payer (une partie de) sa nourriture et un enfant sur trois pour payer (une partie de) ses loisirs.»
Si, selon l’étude d’iVOX, deux parents sur cinq laissent leurs enfants décider librement de ce qu’ils font de leur argent, pour la chercheuse, ces dispositifs ne permettent pas d’apprendre la valeur de l’argent, ni d’atteindre une autonomie financière. «Ces euros ne proviennent pas de petits boulots, mais de la famille». En ce sens, ING recommande de décider d’un montant déterminé d’argent de poche donné à un jour fixe, d’expliquer à son adolescent ce que l’on continue à payer, de garder un œil sur la gestion de son budget, mais de ne pas trop interférer dans sa dépense. Selon Wikifin, un enfant sur cinq utilise son argent de poche pour payer (une partie de) sa nourriture et un enfant sur trois pour payer (une partie de) ses loisirs.
L’application «Kids&Teens» («Enfants et Adolescents») de la néobanque Revolut se démarque aussi puisqu’elle permet aux parents de créer des défis rémunérés pour leurs enfants. Il peut s’agir de tâches ou d’objectifs à accomplir pour gagner son argent de poche. Objectif affiché? Apprendre la valeur du travail.
Malgré tout, selon Marine Spor Ceccaldi, ces applications et cartes bancaires pour les jeunes présentent un risque de pousser à la consommation à un âge toujours plus avancé. «Comme les adultes, les enfants sont dans une société de consommation, même si leur inscription dans celle-ci va dépendre de la valeur de l’argent inculquée et de ce que fait la famille. Car ils reproduisent ce qu’ils voient», rappelle la chercheuse. D’où l’importance de discussions avec son enfant ou petit-enfant notamment sur l’accessibilité de l’argent et la différenciation entre envies et besoins.
Marion Bordier