Complexe et souvent mal comprise, la prime de fidélité des comptes d’épargne freine la mobilité bancaire et dégrade souvent le rendement réel. L’option d’un taux unique serait en cours d’analyse au gouvernement.
Censée récompenser la stabilité de l’épargne, la prime de fidélité est un systématisme auquel les banques recourent abondamment. Comme le prouvent les comparateurs en ligne, seuls trois acteurs proposent des comptes d’épargne qui en sont dépourvus: Bunq, Izola Bank et NIBC. Parmi les 57 comptes recensés, 30% affichent un taux de base supérieur à la prime de fidélité, dont le bénéfice n’est perçu que pour les montants immobilisés pendant douze mois. En octobre 2023, l’Autorité belge de la concurrence a suggéré la suppression de cette prime qui complique le calcul des intérêts et entrave la mobilité bancaire. Il s’agit d’une singularité belge qui s’est structurée dans les années 1980; aucun autre pays européen n’applique un tel dispositif.
En février 2024, l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA) a rendu un premier avis sur sa potentielle suppression, à la suite de trois demandes émanant de la précédente législature. Elle indique que «la raison d’être et l’encadrement réglementaire de la prime de fidélité sont étroitement et historiquement liés à des conditions de marché qui n’ont plus cours aujourd’hui, de sorte qu’il n’apparaît plus en soi nécessaire de maintenir la structure actuelle de rémunération des comptes d’épargne réglementés.» Egalement consultée, la Banque nationale de Belgique ne s’y oppose pas nécessairement. Elle souligne toutefois qu’une adaptation du régime actuel pourrait «rendre les banques plus réticentes à octroyer des crédits hypothécaires à taux fixe». «Le cabinet du ministre des Finances (NDLR: Jan Jambon, N-VA) a demandé à la BNB de lui fournir des conseils et analyses actualisés concernant la prime de fidélité», indique-t-elle. Bien que ce travail ne soit pas encore finalisé, ses avis rendus début 2024 sont «encore d’actualité».
Des propositions jusqu’ici infructueuses
En novembre 2024, sept députés PS ont déposé une proposition de loi visant à interdire toute prime de fidélité, pour favoriser la transparence des taux et une meilleure concurrence. Elle prévoit aussi un taux d’intérêt minimum de 1,5% pour les épargnants, avec en contrepartie, un mécanisme de sauvegarde en faveur des banques. «Elle a juste été prise en considération mais n’a jamais abouti, déplore le député Hugues Bayet (PS), co-signataire de la proposition de loi. Nous sommes indignés du petit taux d’épargne proposé aux Belges. Nous avons proposé plusieurs textes dans ce cadre. Sur les surprofits, sachant que les banques s’enrichissent sur le dos des épargnants et des emprunteurs à hauteur de huit milliards d’euros par an depuis plusieurs années; sur le compte d’épargne populaire et sur un taux minimum, calculé par rapport au taux directeur.»
«Les banques s’accrochent à la prime de fidélité, parce qu’elle leur permet d’afficher un taux plus élevé que ce qu’elles offrent réellement.»
De son côté, testachats plaide de longue date pour une fusion du taux de base et de la prime de fidélité. «L’argument selon lequel cette dernière permet de garantir la stabilité des avoirs n’a jamais été vérifié, commente Nicolas Claeys, expert en épargne et placement chez testachats invest. Les banques qui n’appliquent qu’un seul taux ne semblent pas s’en plaindre. Malgré tout, elles s’y accrochent quand même, parce que ça leur permet d’afficher un taux plus élevé que ce qu’elles offrent réellement. C’est à peu près le seul secteur que je connaisse où on peut afficher quelque chose qu’on ne donnera jamais. Pour certains comptes, j’appelle cela une arnaque légale, en particulier lorsque la prime de fidélité est l’élément rémunérateur principal. C’est particulièrement problématique pour les comptes à versement mensuel.»
Des taux réels souvent bien inférieurs
L’expert prend l’exemple d’un compte d’épargne affichant un taux de base de 0,75% et une prime de fidélité de 1,5%, soit 2,25% au total: «En versant 250 euros par mois sur ce compte, vous aurez mis de côté 3.000 euros en un an. Si vous les retirez après un an, vous ne recevrez pas 2,25, mais seulement 0,98%, puisque la prime de fidélité ne s’applique qu’aux versements restés douze mois sur le compte. Après deux ans, on n’est toujours qu’à 1,59% et après trois ans, à 1,80%. Dans ces comptes-là, jamais vous n’aurez le taux annoncé, jamais. A moins de retirer par douzième, mais qui fait ça?» Testachats demande dès lors que les banques affichent un taux vérité, c’est-à-dire ce qu’elles sont réellement prêtes à accorder à leurs clients. «Je voudrais qu’elles communiquent sur le taux moyen qu’elles ont effectivement octroyé en 2025», poursuit Nicolas Claeys.
Dans son dernier rapport annuel, le médiateur des services financiers, l’Ombudsfin, fait état d’un accroissement de plaintes relatives au calcul de la prime de fidélité. Certains clients ne comprennent par exemple pas la portabilité de la prime de fidélité, qui reste garantie de manière proportionnelle en cas de transfert d’un compte à l’autre au sein d’une même banque –elle est toutefois limitée à trois transferts par an de minimum 500 euros. Une autre nébuleuse concerne la date de versement des primes de fidélité. «Elle n’est versée qu’au premier jour du trimestre suivant la date à laquelle elle a été acquise, précise Nicolas Claeys. Un produit censé être simple est en réalité compliqué.»
Une période transitoire de trois ans?
En 2023, le précédent gouvernement avait certes conclu un accord avec le secteur bancaire pour renforcer la transparence des comptes d’épargne réglementés, limitant le nombre de formules proposées et imposant une communication chaque trimestre sur les taux de base et primes de fidélité en cours. Il n’était toutefois pas question de suppression de cette dernière. Pour garantir la stabilité financière et une bonne gestion des risques, la BNB souligne qu’une telle piste nécessiterait une période transitoire. «L’on pourrait à cet effet prévoir une réduction graduelle du plafond de la prime de fidélité sur une période de trois ans, par exemple, et éventuellement exprimer le plafond de cette prime, graduellement réduit, en pourcentages du taux de base», indiquait la BNB en février 2024.
La réglementation des comptes d’épargne prévoit qu’un retrait d’argent est imputé prioritairement au montant pour lequel la prime de fidélité est la moins avancée. «Si vous avez fait un versement il y a deux et onze mois, c’est sur le plus récent que la prime sera retirée, renseigne Nicolas Claeys. Mais si vous aviez mis de côté il y a treize mois et une nouvelle fois il y a deux mois, c’est sur le premier que le retrait sera imputé. En effet, la prime de fidélité est acquise pour le versement d’il y a treize mois, et la nouvelle ne court que depuis un mois.» Si le client a ainsi l’assurance de limiter les pertes de prime de fidélité, celle-ci n’est pas versée au prorata: tout retrait effectué avant l’échéance de douze mois entraîne la perte totale de la prime sur les montants concernés.