Le ministre des Finances et des Pensions, Jan Jambon, entend suspendre l’adaptation au bien-être pour les pensions les plus anciennes jusqu’en 2030, impliquant un saut d’index pour 1,6 million de pensionnés. Les syndicats s’insurgent. Le banc patronal, lui, approuve.
Lundi, le comité de gestion du Service fédéral des Pensions était saisi de la proposition du ministre des Finances et des Pensions, Jan Jambon (N-VA), de suspendre l’indexation au bien-être –une mesure introduite en 2009– pour les pensions en vigueur depuis cinq ou quinze ans. Et ce, jusqu’en 2030. Le tout s’apparentant à un saut d’index pour 1,6 million de pensionnés. Si le banc patronal a validé la proposition, la CSC, la CGSLB et la FGTB l’ont rejetée.
Depuis 2007, un arrêté royal prévoit une augmentation annuelle de 2% en moyenne de l’aide sociale pour les pensions en vigueur depuis cinq ou quinze ans. Des augmentations suspendues depuis la naissance en 2009 d’une enveloppe Bien-Etre de trois milliards d’euros visant notamment à revaloriser les allocations les plus basses. «L’enveloppe Bien-Etre permet aux employeurs, syndicats et à l’Etat de se mettre d’accord sur le montant qui va permettre de faire certains rattrapages du fait que les salaires augmentent plus vite que les allocations sociales», rappelle Maxime Fontaine, chercheur en finances publiques au Département d’économie de l’ULB (DULBEA). Dans les cas où un avantage équivalant par la réparation de l’enveloppe Bien-Etre était octroyé, la suspension de l’indexation avait été acceptée par les syndicats et les employeurs pour éviter un doublon.
Mais aujourd’hui, la coalition gouvernementale Arizona souhaite supprimer cette enveloppe pour la période de sa législature (2025-2029), en plus de l’indexation liée à cette enveloppe. L’indexation liée à l’inflation (indice santé), elle, reste en place pour la majorité des pensions, sauf pour celles dépassant un certain seuil. «Nous parlons ici de l’adaptation au bien-être en plus de l’index. L’indexation automatique des pensions, qui permet une adaptation automatique des pensions à l’augmentation du coût de la vie, est donc maintenue, sauf temporairement pour les pensions supérieures à 5.250 euros par mois», a insisté en séance plénière le ministre Jan Jambon ce mercredi.
«L’accord de gouvernement ne mentionnait pas qu’il n’allait pas indexer les pensions les plus anciennes», s’indigne Anne Léonard, secrétaire nationale en charge des pensions au sein de la CSC. Les syndicats demandent au gouvernement de remettre en vigueur l’arrêté royal de 2007, en utilisant le pouvoir conféré par le législateur.
Dans un communiqué, les syndicats dénoncent des problèmes juridiques sous-jacents. «L’arrêté prévoit qu’il puisse y avoir une dérogation, une suspension pour certains motifs, mais ici, à part faire des recettes, il n’y en a pas car il n’y a plus d’enveloppe Bien-Etre, ni d’augmentations des pensions», dénonce Anne Léonard.
Fin de l’enveloppe Bien-Etre: les plus précaires touchés?
Avec la mesure, les syndicats estiment dans leur communiqué qu’environ un million de pensionnés (depuis cinq ans) seront privés de l’augmentation annuelle de 2% de l’aide sociale pour les pensions et que plus de 600.000 pensionnés (depuis quinze ans) seront pénalisés. Un saut d’index non sans conséquences financières. «Ce sont vraiment les plus petites épaules qui vont être impactées ici», prévient Maxime Fontaine. Calculées sur la base de niveaux de salaires très anciens, les pensions les plus anciennes sont en effet généralement les plus basses. «Ces pensions sont celles qui demeurent le plus en décrochage par rapport au pouvoir d’achat de la population belge qui peut bénéficier des indexations et éventuellement d’augmentation de salaires», décrit Anne Léonard. En séance plénière, Jan Jambon a précisé qu’en remplacement de l’enveloppe Bien-Etre «mise à zéro au cours de cette législature», «l’accord de gouvernement prévoit une enveloppe spécifique destinée aux groupes les plus vulnérables». Son montant? Vingt-cinq millions d’euros en 2026, augmentant jusqu’à 100 millions en 2029, a annoncé le ministre.
Si l’effet mensuel de ce saut d’index pour 1,6 million de pensionnés ne devrait pas être trop conséquent, cumulé, la donne change. «Si l’on suppose qu’une personne devait être indexée cette année de 2% (soit 30 euros brut par mois pour une pension de 1.500 euros brut par an) et qu’elle vive jusqu’en 2045, avec une inflation de 2% par an, son allocation sera de 2.229 euros au lieu de 2.273 euros en 2045. Cela représente une perte pour l’année de 535 euros», simule Maxime Fontaine. Entre 2025 et 2045, elle aura donc perdu 9.282 euros au total.
L’objectif de la proposition gouvernementale serait de notamment réaliser une économie de 380 millions d’euros d’ici 2030, soit 338 millions d’euros pour le régime des salariés et 45 millions d’euros pour le régime des indépendants. Elle vient compléter la liste d’une série d’autres mesures affectant les pensions telles que l’indexation différée, l’indexation partielle des pensions à partir de 3.180 euros nets, le «vidage» de l’enveloppe Bien-Etre, la suppression de la péréquation (les pensions de retraite et de survie des fonctionnaires suivent l’évolution des rémunérations des fonctionnaires actifs) et l’élimination progressive de la réduction d’impôt pour les pensionnés. «Toutes ces mesures ne vont pas affecter les mêmes personnes, sauf pour l’indexation différée. L’indexation partielle des pensions à partir de 3.180 euros nets va surtout toucher les fonctionnaires et le “vidage” de l’enveloppe Bien-Etre les salariés et indépendants», prend pour exemples Jennifer Alonso García, professeure à l’ULB en sciences actuarielles (étude des risques financiers et d’assurance à l’aide de mathématiques, statistiques et théorie des probabilités).