Colruyt: l’enseigne emblématique des «meilleurs prix» souffre du rebond de Delhaize amorcé en 2024. © ANP / Peter Hilz

Les petites déconvenues de Colruyt: pourquoi le «baron» belge fait face à une «période de défis»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Colruyt Group observe une (légère) baisse de sa part de marché et de son résultat d’exploitation, selon les résultats annuels de l’entreprise présentés mardi. En parallèle, le groupe a annoncé se retirer partiellement du marché français. L’enseigne emblématique des «meilleurs prix» doit relever plusieurs défis à court-terme.

C’est une première dans l’histoire de Colruyt. La part de marché de l’enseigne belge est en baisse sur une base annuelle. Certes, le recul est léger, passant de 29,3% en 2023-2024 à 29% pour le dernier exercice consolidé (du 1er avril 2024 au 31 mars 2025). Certes, son chiffre d’affaires, lui, affiche une hausse de +1,1% et frôle désormais les onze milliards d’euros. Mais le signal reste fort pour l’enseigne qui a fait des «meilleurs prix» sa marque de fabrique, et qui voit également son résultat d’exploitation (ebit) diminuer de 5%. De quoi redistribuer les cartes de la grande distribution belge?

Pas si vite. Le bilan annuel en demi-teinte de Colruyt Group est à replacer dans son contexte. «En termes de parts de marché, la comparaison se fait majoritairement avec 2023, marquée par de grandes turbulences sociales chez Delhaize», rappelle Gino Van Ossel, professeur à la Vlerick Business School. Cette année-là, l’enseigne au lion a perdu de larges parts de marché, grapillées majoritairement par Colruyt et Carrefour. Après la franchisation, Delhaize a retrouvé du poil de la bête et a reconsolidé sa position en 2024. «On pouvait donc légitimement s’attendre à une année plus difficile pour les autres.»

Malgré cette légère baisse, Colruyt Group reste de loin le numéro un de la grande distribution belge. «Avec plus de 600 millions d’euros en trésorerie, le groupe est tout à fait capable d’assurer sa survie pour l’avenir, rassure Pierre-Alexandre Billet, CEO de Gondola, plateforme d’informations sur le retail. Rien ne sert de paniquer. Colruyt est loin de la catastrophe.»

Une inflation plus faible

L’heure n’est toutefois pas à la fête. Dans un communiqué de presse, le CEO Stefan Goethaert reconnaît des résultats «en dessous des ambitions» et ce, «en dépit des efforts» fournis. Alors, où le bât a-t-il blessé? Au-delà d’une «plus forte concurrence sur le marché du détail belge», le groupe invoque également une inflation alimentaire plus faible que prévu. «En général, une diminution de l’inflation engendre des répercussions positives pour les supermarchés, recadre Gino Van Ossel. Car, en principe, les salaires et les loyers augmentent ensuite moins fortement, ce qui implique des coûts salariaux et de fonctionnement moins élevés. Mais dans le cas de Colruyt, une hausse de l’inflation alimentaire est souvent plus favorable, car en période de forte augmentation des prix, le client va spontanément se tourner vers des magasins discount ou considérés comme meilleur marché, comme Colruyt.»

En outre, Colruyt paie encore les conséquences de son éparpillement des dix dernières années, entre investissements dans le non-alimentaire, l’énergie et même les biotechs. Les secousses de cette déconcentration se font encore ressentir aujourd’hui malgré un changement radical de cap amorcé par le nouveau CEO depuis 2023, estime Pierre-Alexandre Billet. «En quelques mois, il a remis de l’ordre dans l’enseigne, en se débarassant d’une large partie du non-alimentaire, comme Dreamland et Dreambaby qui sont aujourd’hui en dehors de ses pattes. Il a également eu le très bon réflexe de racheter Match et Smatch, ainsi que Delitraiteur plus récemment.»

Ouvrir le dimanche, un impératif

Dernière promesse en date: la vente d’une majorité des magasins implantés en France qui, eux aussi, ont largement déforcé l’enseigne. Mardi, le Groupement Mousquetaires a en effet remis une offre ferme de rachat de 81 supermarchés (sur les 104 que compte l’Hexagone), pour un montant total de quelque 215 millions d’euros. «C’est une décision qui aurait pu être décrétée beaucoup plus tôt», tranche Gino Van Ossel. Présent sur le sol français depuis 1996, Colruyt n’a «jamais réussi à exporter son concept», estime l’expert en retail. Avec des pertes opérationnelles se chiffrant à plus de 20 millions d’euros l’an dernier, Colruyt va enfin pouvoir limiter la casse. Mais il faudra attendre 2026 pour voir l’opération se concrétiser.

Si elle semblait inévitable, cette cession limite encore davantage le rayonnement de Colruyt à l’international, pourtant indispensable à sa croissance future, regrette le CEO de Gondola. «Colruyt, c’est ce qu’on appelle un « baron« . C’est un distributeur qui est très fort localement, mais tout à fait insignifiant ailleurs. En Belgique, il est au top du classement. Mais ce club brillant va-t-il réussir à passer à l’échelon supérieur? Parviendra-t-il un jour à devenir un acteur majeur de la Champions League au niveau européen?» illustre Pierre-Alexandre Billet.

Outre cette obligation de repositionnement à l’international, Colruyt fait également face à une «période de défis» sur la scène belge, estime Gino Van Ossel. A commencer par l’ouverture dominicale, qui se généralise dans les Delhaize franchisés. «Certes, les supermarchés discount comme Colruyt, Lidl et Aldi souffrent moins de cette concurrence que Carrefour Market, qui mise sur le même concept que l’enseigne au lion, nuance Gino Van Ossel. Par contre, les magasins Okay, qui sont des magasins de proximité, doivent impérativement ouvrir leurs portes le dimanche pour assurer leur survie.»

Delitraiteur, un pari gagnant?

Or, l’enseigne a complètement sous-estimé cette dimension sur le plan syndical, déplore Pierre-Alexandre Billet. En tant que leader du marché belge, Colruyt «doit impérativement peser» dans les négociations pour un alignement des commissions paritaires, qui harmoniserait le coût de la main-d’œuvre lors de cette ouverture dominicale. «C’est incompréhensible qu’ils restent passifs sur ces enjeux socio-économiques, insiste le CEO de Gondola. Ils doivent s’emparer de ces débats au lieu de les subir.»

Pour redresser la barre, Colruyt a également tout intérêt à repenser sa stratégie de vente par lots pour certains produits, plus toujours en phase avec les attentes des consommateurs, relève encore le professeur à la Vlerick Business School. «Au vu de la baisse de la consommation d’alcool, on peut aujourd’hui se questionner sur l’intérêt de vendre des bières spéciales par pack de huit», note Gino Van Ossel, qui souligne également un manque d’investissement dans les plats préparés, dont la demande est pourtant en pleine croissance. «L’offre de Colruyt n’est pas bonne pour le moment, donc c’est un autre pilier à développer

L’acquisition de Delitraiteur, à la fois fournisseur de plats préparés et ouvert le dimanche, pourra peut-être solutionner deux des problèmes précités. Mais alors que l’acquisition a été officialisée début juin, il faudra encore faire preuve de patience avant d’en ressentir les éventuelles retombées positives.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire