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Immobilier à Bruxelles: les citoyens muselés ? «La pénurie de logements ne peut justifier d’attaquer la démocratie»

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Commission de concertation, enquête publique: Nawal Ben Amou (PS), Secrétaire d’Etat bruxelloise au Logement, s’irrite de ces contretemps face au besoin urgent de construction de logements sociaux en région bruxelloise. Son intention de recadrer ces instruments de participation citoyenne est perçue par   Marion Alecian, directrice à l’ARAU (Atelier de Recherche et d’Action Urbaines), comme une volonté de museler le droit de regard et d’avis des habitants sur les projets immobiliers. « Veut-on en revenir à la bruxellisation ? »

Supprimer les commissions de concertation, limiter le recours aux enquêtes publiques pour accélérer la construction de logements sociaux bruxellois: en quoi les intentions de la secrétaire d’Etat bruxelloise au Logement, Nawal Ben Hamou (PS), passeraient-elles par une extinction de la voix citoyenne?

Nous avons ressenti cette sortie comme une véritable attaque des fondations de la démocratie urbaine que l’ Arau a contribué à instaurer en 1976. Mettre ainsi en cause des droits acquis de longue lutte, le faire de façon aussi décomplexée face à un parterre de promoteurs immobiliers (NDLR: au salon immobilier Realty, en septembre dernier), nous a stupéfaits – même si l’atmosphère est à une remise en question de la pertinence de la voix des habitants dans les grands projets immobiliers. Cette tendance se ressent aussi du côté de Pascal Smet (NDLR: secrétaire d’Etat bruxellois en charge de l’Urbanisme (Vooruit)) lorsqu’il déclare: «Il faut oser faire le bonheur des gens malgré eux.»

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De ces deux garde-fous, l’un n’est-il pas de trop?

Ces deux dispositifs forment un ensemble indissociable. L’enquête publique permet de prendre connaissance du dossier et de remettre un avis écrit. La commission de concertation, qui intervient après l’enquête publique, est un lieu et un moment de débat public, d’échanges et d’écoute d’autant plus précieux que les personnes qui ont des difficultés avec l’écrit ou le numérique peuvent y faire entendre leur voix. C’est en cela qu’il s’agit d’un outil d’égalité des chances. Les riverains peuvent y faire part de leur bon sens face à un projet immobilier.

Peut-on voir dans cette irritation du politique une preuve que ces instruments de participation citoyenne parviennent un peu trop à contrarier les intérêts immobiliers?

Nous comprenons que la contestation puisse irriter quand elle perturbe le développement d’un projet immobilier mais les confrontations font partie de la vie démocratique. Le processus n’a pas pour vocation de mettre des bâtons dans les roues, il est aussi capable de proposer des pistes d’amélioration sur les plans de la mobilité ou de l’énergie. Supprimer ces dispositifs reviendrait à déposséder les habitants du droit de participer au devenir de leur ville.

Mais la démocratie urbaine ne dérive-t-elle pas vers «une sorte de caisse de résonance de l’effet Nimby» («pas chez moi»), dixit Nawal Ben Hamou?

Qualifier les commissions de concertation de «rings de boxe», comme elle l’a fait, c’est caricaturer la réalité. Il arrive, mais rarement, que les débats suscitent des réactions simplistes ou virulentes. Mais il est vraiment trop facile, quand on est face aux milieux immobiliers, de cibler le milieu associatif et de prendre prétexte de quelques dérives pour prôner une suppression, alors qu’il existe un tas de pistes pour améliorer le système.

Comme celle de confier la délivrance des permis au gouvernement régional, ainsi que le suggère la secrétaire d’Etat?

Non, ce transfert reviendrait à nier et à dénigrer les compétences des administrations, ce serait la porte ouverte à une politique arbitraire et à l’opacité de décisions, à tout ce que l’on a mis des décennies à éviter. Veut-on en revenir à la bruxellisation? (NDLR: néologisme désignant la transformation rapide et brutale du patrimoine urbain, en référence à ce qu’ont subi des quartiers populaires à Bruxelles dans les années 1960 et 1970).

N’y a-t-il pas quelque raison de s’agacer de la lenteur du processus d’octroi des permis d’urbanisme en Région bruxelloise? Six à sept ans de délai en moyenne, c’est long…

L’ argument du délai est instrumentalisé. Ce n’est pas le mois d’enquête publique et le traitement du dossier en commission de concertation qui l’expliquent. En supprimant la commission, le gain de temps serait de 1,6%. Dérisoire au regard de l’énorme perte en matière de démocratie urbaine. L’une des sources du problème réside aussi dans le nombre trop important de réformes qui exigent un temps d’adaptation et de digestion que l’on ne donne pas à des administrations elles-mêmes en pleine réorganisation.

Les pistes avancées par la secrétaire d’Etat se limitent au secteur des logements sociaux: ce marché ne justifierait-il pas une exception au nom de l’urgence à en construire?

Non, je dirais même que cette approche n’en est que plus bancale et contestable. La vision de l’intérêt général invoquée en matière de logement public suppose précisément un surcroît de transparence et d’exemplarité et que l’on sorte les projets du secret des cabinets pour en débattre publiquement. S’engager dans cette direction, ce serait ouvrir la voie à un détricotage des droits fondamentaux liés à la démocratie urbaine en Région bruxelloise, système dont on peut être fier.

A qui «profiterait le crime»? Aux promoteurs immobiliers?

Je n’y vois même pas leur main, ils n’ont jamais été jusque-là dans leurs propositions. En revanche, j’y vois le symptôme inquiétant d’une perméabilité croissante entre le secteur immobilier et le pouvoir politique. L’ Arau rejoint le discours de la promotion immobilière sur la nécessité de raccourcir les délais d’obtention des permis, en particulier pour les projets de logements sociaux qui manquent tant à Bruxelles. Mais l’urgence de cette situation de grave pénurie, qui ne date pas d’hier, ne peut en aucun cas justifier une attaque contre la démocratie urbaine.

Comment l’urgence immobilière pourrait-elle s’accommoder de l’éloge d’une certaine lenteur?

En matière d’aménagement urbain, il faut pouvoir prendre du recul. Mieux on encadrera le débat public, plus on gagnera du temps en évitant davantage de recours devant le Conseil d’Etat, recours qui ne font qu’allonger les délais de traitement des dossiers. Un projet immobilier mieux partagé par les différents acteurs est aussi plus légitime.

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