© Illustration réalisée par une intelligence artificielle (ChatGPT) – Crédit: Roularta Media Group

Comment l’IA générative menace le modèle Google et redessine l’économie du Web

Face à la montée des IA génératives, l’effondrement du clic, les régulations en cascade et  une contestation croissante de son modèle, le géant californien traverse sans doute les plus graves turbulences de son histoire. Le moteur de recherche vacille, mais tente malgré tout de fourbir ses armes. Alors, renaissance ou effondrement?

Google est-il en train de tomber de son piédestal? Il y a peu, l’interrogation semblait encore farfelue. Elle ne l’est plus tout à fait. Avec la montée en puissance des IA génératives comme ChatGPT ou Claude, la domination de Google sur la recherche en ligne n’est plus aussi incontestable. S’il règne toujours sur près de 90% des requêtes mondiales (environ quatorze milliards par jour), les lignes bougent néanmoins: la recherche classique n’est plus seule à bord. En 2024, plus de 60% des requêtes Google n’ont débouché sur aucun clic vers un site externe. Et pendant que les internautes obtiennent leurs réponses directement depuis la page de résultats –par des extraits enrichis ou des encadrés IA–, les usages mutent en profondeur. La conversation prend le pas sur le mot clé, la voix sur le clavier, la synthèse immédiate sur l’errance sur les liens. En somme, le «googlage» devient silencieusement une étape parmi d’autres, parfois évitée.

«Si d’un coup, il n’y a plus qu’une unique réponse, basée sur le fond, ce sont des millions de business qui seront à l’agonie.»

Ces évolutions dessinent un tournant majeur, et inquiètent bien au-delà des ingénieurs de Mountain View. Pour les éditeurs de contenus, les médias et les sites marchands, la bascule est brutale: moins de clics, moins de visibilité, donc moins de revenus. Le «Web ouvert» qui vivait de l’audience renvoyée par Google vacille, à mesure que les résultats IA absorbent la demande. Guillaume Peyronnet, formateur en référencement SEO, résume la crainte d’un secteur entier: «Si d’un coup, il n’y a plus qu’une unique réponse, basée sur le fond, ce sont des millions de business qui seront à l’agonie.» L’enjeu n’est pas uniquement technique ou économique. Il touche au rapport collectif à la vérité, à la connaissance, à la pluralité des sources. «C’est une nouvelle révolution anthropologique autour du langage et de sa capacité à décrire le réel», insiste Olivier Ertzscheid, maître de conférences à l’université de Nantes et auteur de Les IA à l’assaut du cyberespace. Vers un Web synthétique (C&F Editions, 2024). Car dans ce nouveau paysage numérique, les machines ne se contentent plus d’assister: elles parlent, synthétisent, sélectionnent, et imposent parfois leur manière de faire sens.

Pour l’heure –à l’instant T–, Google reste dominant. Son trafic continue même de croître (+ 21,6% en un an) et son intégration de l’IA générative (Gemini, Search Generative Experience) aurait même accru la fréquence des recherches dans certains pays test, comme les Etats-Unis. Mais l’image du géant invulnérable se fissure. Les parts de marché du moteur baissent discrètement, les usages se fragmentent, et la jeune génération multiplie les points d’entrée vers l’information –TikTok, Amazon, Perplexity, YouTube ou Discord. Pour beaucoup, une époque s’achève. Google restera sans doute un acteur central de l’écosystème numérique. Mais il n’en est plus le centre de gravité unique. Sylvain Peyronnet, docteur en informatique et spécialiste de l’IA et du SEO, le reconnaît: «Plutôt que de parler de fin de Google, je dirais qu’on se dirige vers une fin du modèle du search organique que l’on connaît historiquement.» Reste à savoir si la firme saura se réinventer. Ou si, comme l’a déjà montré l’histoire du Web, un jour viendra où «ChatGPTer» remplacera «Googler» dans le vocabulaire comme dans le geste.

27%

des adultes américains utilisent des chatbots IA pour rechercher de l’information. Chez les 18-29 ans, c’est 43%.

Vers la recherche sans moteur

Longtemps, la recherche sur le Web se résumait à une mécanique bien huilée: quelques mots clés dans une barre blanche, une série de liens bleus en retour, et au bout du clic, la promesse de l’information. Ce modèle, façonné par Google et son algorithme PageRank, a structuré le rapport au savoir pendant deux décennies. Mais il fléchit aujourd’hui sous l’effet conjugué de plusieurs mutations technologiques. L’irruption des IA génératives, d’abord cantonnées à des laboratoires ou des usages de niche, s’est muée en révolution grand public. En deux ans, ChatGPT, Claude ou Perplexity ont initié une nouvelle manière de «chercher»: non plus interroger un moteur, mais converser avec une machine. Une bascule en douceur, mais profonde.

«Les interfaces conversationnelles permettent un accès à l’information plus naturel et plus facile dans certains cas que les moteurs de recherche. Elles permettent aussi de générer du contenu alors que les moteurs proposent uniquement du contenu déjà existant», précise Tristan Cazenave, professeur à l’université Paris Dauphine, spécialiste de l’IA. Ce changement d’interface s’accompagne d’un changement de posture: l’internaute ne consulte plus un index, il dialogue. Le gain de confort est indéniable, la friction minimale. Et l’effet, massif. Aux Etats-Unis, 27% des adultes utilisent désormais des chatbots IA pour rechercher de l’information, selon une étude de fin 2024. Chez les 18-29 ans, ce taux grimpe à 43%. Et parmi les adolescents américains, 26% utilisent ChatGPT pour leurs travaux scolaires; deux fois plus qu’un an plus tôt.

Guillaume Peyronnet résume l’enjeu en une formule: «C’est la promesse des assistants conversationnels comme ChatGPT: réduire les frictions, nous entraîner dans un dialogue ouvrant les portes à la connaissance du monde entier sans avoir besoin de tourner autour du pot en lisant des dizaines de livres ou en consultant des centaines de pages Web. On demande, on obtient, de façon très précise, en quelques instants.» Ce confort d’usage transforme en profondeur l’expérience de recherche. L’usager ne navigue plus d’un lien à l’autre: il attend une réponse unique, synthétique, parfois même personnalisée. L’IA endosse ainsi le rôle de médiateur cognitif, sélectionnant, résumant, hiérarchisant l’information.

Ce glissement de paradigme ne se traduit pas encore par un effondrement des moteurs traditionnels. Comme précisé ci-dessus, en volume absolu, Google conserve une avance écrasante: près de quatorze milliards de requêtes par jour en 2024, contre environ 20 millions pour ChatGPT. Pourtant, des signaux faibles dessinent un basculement en cours. Selon la plateforme française Gartner, d’ici à 2026, les assistants IA pourraient traiter jusqu’à 30% des requêtes en ligne. Un horizon plausible, d’autant que Google lui-même anticipe cette transition: en intégrant Gemini et ses AI Overviews dans le moteur, il tente de conserver la main en adoptant les codes de ses concurrents.

Google restera sans doute un acteur central de l’écosystème numérique. Mais il n’en est plus le centre de gravité unique.

«Google était déjà qualifié de « moteur de réponses » avec sa capacité à phagocyter les résultats de tout un écosystème de sites et de les inclure directement sur sa landing page. Mais avec l’intégration de l’IA, la recherche « conversationnelle » change en effet de nature», analyse Olivier Ertzscheid. Loin d’un simple perfectionnement algorithmique, c’est une mutation culturelle qui s’opère: «Nous parlons aux machines, mais les machines nous parlent également», poursuit-il.

Les conséquences de cette mutation ne se limitent pas à la concurrence entre interfaces. Elles touchent aux fondations mêmes de l’écosystème numérique. En remplaçant la logique du moteur par celle de l’assistant, c’est tout un édifice –du SEO aux modèles économiques de l’édition Web– qui se trouve fragilisé. L’IA conversationnelle ne se contente pas de répondre: elle redistribue les cartes du savoir en ligne, impose ses arbitrages, sélectionne ce qui vaut la peine d’être dit. En cela, elle ne détruit pas Google: elle en métamorphose l’usage.

© Illustration réalisée par une intelligence artificielle (ChatGPT) – Crédit: Roularta Media Group

Zéro clic, zéro visite?

Longtemps, l’économie du Web a tenu sur un fragile équilibre: les créateurs de contenus publiaient, les moteurs redirigeaient, les internautes cliquaient. Ce lien, tacite mais structurant, se lézarde. La généralisation des réponses directes dans les résultats de recherche, désormais boostées par l’IA générative, fragilise tout un pan du Web ouvert. En 2024, près de 60% des recherches effectuées sur Google dans l’Union européenne et aux Etats-Unis n’ont donné lieu à aucun clic vers un site externe, selon une étude citée par le cabinet d’analyse SparkToro, spécialisé dans la cartographie des audiences numériques. L’information est consultée, digérée, souvent reformulée par le moteur, sans visite, sans trafic, sans retour.

Le spécialiste du SEO Rand Fishkin résume cette bascule: sur 1.000 recherches, seuls 360 clics aboutissent à des sites tiers aux Etats-Unis, à peine 374 en Europe. Le reste se dilue dans les propriétés de Google (YouTube, Maps, Shopping…) ou s’évapore dans le zéro clic. Le mouvement s’accélère avec l’intégration des IA génératives dans les résultats: résumés de textes, fiches produits synthétisées, réponses contextuelles, autant de «raccourcis» informationnels qui dissuadent l’utilisateur d’aller plus loin. Le cabinet international de conseil en stratégie Bain & Company estime que le trafic issu des moteurs a déjà chuté de 15 à 25% sur l’année 2024. Un recul sévère pour tous ceux dont la visibilité dépend du référencement naturel. «Pour les sites Web, c’est une peur panique», avertit Guillaume Peyronnet. Et de rappeler que, dans le search classique, «même les petits acteurs avaient une chance de se montrer». Ce n’est plus garanti. Dans un univers de réponses instantanées, la page Web individuelle devient souvent invisible, dissoute dans une synthèse générée par l’IA.

Les éditeurs de presse se trouvent en première ligne de ce basculement. Dépendants du trafic redirigé par Google, ils constatent que la part de la recherche classique recule, au profit de recommandations algorithmiques via Discover (69% des clics vers la presse française en décembre 2024). Or, cette dépendance à un flux opaque et volatil accroît la vulnérabilité du secteur. D’autant que, comme le souligne la start-up TollBit, les réponses fournies par les interfaces d’IA génèrent «95,7% de clics en moins que les recherches Google traditionnelles». Autrement dit, même lorsque leur contenu est cité, les éditeurs ne récupèrent ni l’audience ni les revenus associés.

Face à ce contexte, les plus grands groupes misent sur les abonnements numériques pour compenser la perte de revenus publicitaires. Mais les petits éditeurs, les blogs spécialisés ou les créateurs indépendants, sans marque forte ni communauté fidèle, peinent à suivre. Entre 20% et 25% du trafic pourrait disparaître pour ces sites avec l’essor des réponses IA. Une perspective confirmée, voire dépassée, lors des premiers tests de Search Generative Experience (SGE) par Google. L’effet domino s’amplifie: moins de visites, moins de revenus, moins de contenu produit… et plus de dépendance encore aux plateformes. Pour Sylvain Peyronnet, le bouleversement touche au cœur du modèle du Web: «Avant, on accédait aux pages Web pour obtenir les informations que l’on voulait. Dans le « monde » de la recherche par IA générative, on accède directement à l’information (retravaillée par l’IA), c’est un changement majeur.» Autrement dit, le lien direct entre producteur de contenu et lecteur se distend. A la place, une interface conversationnelle, synthétique, parfois opaque, filtre et formate l’accès au savoir.

La menace d’un éclatement du groupe, jusque-là hypothétique, plane désormais ouvertement.

Certains tentent de s’adapter, en optimisant leurs contenus pour les moteurs à réponses (Answer Engine Optimization), en diversifiant les formats, en bâtissant des communautés directes. Mais tous ne pourront pas survivre à cette nouvelle donne. D’autant que, dans l’ombre des résumés générés, Google place aussi ses propres encarts publicitaires, monétisant une attention captée grâce à des contenus qu’il ne rémunère pas. Les éditeurs y voient un double préjudice: «Leur contenu est utilisé pour garder l’internaute sur Google, mais en plus la monétisation bénéficie à Google», déplore Marc McCollum de Raptive, une société américaine spécialisée dans la monétisation de contenu Web.

L’heure est donc à une recomposition. Dans ce nouvel ordre informationnel, où le clic devient une exception, la place des créateurs de contenu est à repenser. Et leur survie économique, à défendre.

© Illustration réalisée par une intelligence artificielle (ChatGPT) – Crédit: Roularta Media Group

Google entre procès, régulations et menaces de démantèlement

Sur le plan judiciaire, la citadelle Google, longtemps restée hors d’atteinte, subit en 2025 une pression sans précédent. De Washington à Bruxelles, un vent de reprise en main souffle sur le colosse de la recherche en ligne, ciblé à la fois pour ses pratiques monopolistiques et son rôle structurant dans l’économie numérique. L’enjeu est de taille: ces offensives réglementaires peuvent-elles fissurer la domination d’un acteur dont l’hégémonie semblait jusqu’ici inexpugnable?

Aux Etats-Unis, le procès antitrust ouvert par le Department of Justice (DOJ) contre Google est déjà considéré comme le plus important depuis celui de Microsoft en 2000. En août 2024, le juge fédéral Amit Mehta a reconnu que Google avait «agi en monopoliste», notamment par le biais de paiements d’exclusivité massifs pour demeurer le moteur de recherche par défaut sur la plupart des appareils. Le DOJ réclame à présent des remèdes structurels, dont l’interdiction de ces accords, l’obligation de partage de données avec des concurrents ou, plus radicalement, le démantèlement de certaines branches. La menace d’un éclatement du groupe, jusque-là hypothétique, plane désormais ouvertement. Une audience cruciale est fixée à septembre 2025. «Google risque maintenant de devoir se séparer de Chrome, et de devoir fournir de la data au kilomètre à ses concurrents. Tout cela pour réduire son hégémonie et permettre un semblant de concurrence», commente Guillaume Peyronnet. Son frère et associé Sylvain renchérit: «Ce procès a confirmé ce que la plupart des professionnels du Web savaient déjà: le comportement de Google n’est pas vertueux.»

Mais l’autre front décisif s’ouvre de ce côté-ci de l’Atlantique. Depuis l’entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA) et du Digital Services Act (DSA), l’Union européenne s’est dotée d’un arsenal réglementaire inédit. Google, classé parmi les gatekeepers, est désormais contraint de se conformer à des règles strictes: fin du traitement préférentiel dans ses résultats de recherche, ouverture à des boutiques alternatives d’applications sur Android, interdiction de couplage de données sans consentement. Si ces obligations ne sont pas respectées, la Commission peut infliger des amendes allant jusqu’à 20% du chiffre d’affaires mondial et imposer des mesures structurelles, y compris le démantèlement partiel de l’entreprise. Olivier Ertzscheid tempère pourtant cette montée en tension: «Le fait de disposer de règlements clairs, cohérents et vertueux est un coup d’épée dans l’eau s’il n’y a pas la volonté politique de les faire appliquer à la lettre. Et pour l’instant, cette volonté politique n’existe pas.»

Sur le terrain, les effets de ces régulations peinent en effet à se faire sentir. Malgré plus de huit milliards d’euros d’amendes infligées par la Commission depuis 2017, la part de marché de Google dans la recherche reste écrasante: autour de 90%, y compris dans l’UE. L’introduction d’un écran de choix des moteurs de recherche sur Android n’a pas inversé la tendance. «Il ne suffit pas d’interdire certaines pratiques pour que les utilisateurs se tournent vers d’autres options –encore faut-il que celles-ci soient perçues comme meilleures ou au moins aussi bonnes», rappelle un rapport du Cepa (Center for European Policy Analysis), un think tank indépendant basé à Washington. De fait, Bing stagne, Perplexity peine à s’imposer.

Reste que, même sans démantèlement, la pression pourrait jouer un rôle dissuasif. Des concurrents comme OpenAI ou Perplexity AI s’engouffrent dans la brèche ouverte par les régulateurs, plaidant pour un accès équitable aux interfaces, aux données et aux appareils mobiles. Aravind Srinivas, le fondateur de Perplexity, estime qu’il n’est pas nécessaire de démanteler Google mais «de contraindre Google à ouvrir Android et Chrome aux alternatives de manière équitable». Sylvain Peyronnet, de son côté, insiste: «Le seul moyen de limiter l’hégémonie d’un acteur est d’avoir en premier une alternative fiable et performante. On peut tenir tous les beaux discours que l’on veut, mais actuellement il n’existe pas de telle alternative en Europe.»

Face à cette offensive réglementaire, Google alterne communication défensive et initiatives technologiques. L’entreprise conteste les accusations, défend ses intégrations comme facteur de qualité, mais tente aussi de prouver son ouverture au dialogue et à l’innovation, en particulier sur le terrain de l’IA. Officiellement, elle affirme vouloir «travailler constructivement» avec les régulateurs. Mais en coulisse, elle se bat pour éviter les scénarios les plus punitifs. En somme, à défaut de condamnation immédiate, c’est un nouvel équilibre des forces qui se dessine. Et un avertissement clair: l’époque du laissez-faire semble révolue. Reste à savoir si cette régulation du numérique, inédite par son ambition, parviendra à contenir l’ascendant d’un acteur aussi central que Google; ou si elle viendra trop tard.

La question n’est pas de savoir si Google est fini, plutôt s’il saura «devenir une interface AI comme ChatGPT, partout, tout le temps».

Google contre-attaque: la mue d’un empire

Acculé par l’irruption des IA génératives, sommé de réagir à la spectaculaire percée de ChatGPT, Google n’a pas tardé à riposter. Première ligne de défense: intégrer l’IA générative au moteur lui-même. Dès mai 2023, Google annonce dans l’urgence la mise en place du Search Generative Experience (SGE), qui deviendra AI Overviews en 2024. L’idée est simple: une réponse synthétique, en tête des résultats, générée par IA, à partir de plusieurs sources indexées. En mai 2025, ce mode conversationnel intégré est activé par défaut pour tous les utilisateurs américains. Un changement majeur d’ergonomie et de philosophie: «C’est un changement de taille, observe Olivier Ertzscheid. On passe d’une méthode empirique « essai et erreur » (on essaie différents mots clés jusqu’à ce que cela donne les résultats escomptés) à une méthode davantage maïeutique dans laquelle nous avons la possibilité d’affiner et d’orienter la recherche de réponse pour affiner non pas seulement notre recherche mais notre compréhension du résultat de cette recherche. Tout le problème est que les réponses ainsi synthétisées et scriptées par l’IA sont beaucoup plus complexes à auditer dans leur transparence. L’autre problème, c’est qu’elles sont également dotées d’une plus grande force de persuasion puisqu’elles laissent supposer que le travail de verbalisation qui acte le processus de compréhension est déjà fait et qu’il serait donc possible de nous en dispenser.»

© Illustration réalisée par une intelligence artificielle (ChatGPT) – Crédit: Roularta Media Group

Mais Google ne se contente pas de greffer l’IA à son moteur. La firme déploie sa propre gamme de modèles –Gemini– issue de la fusion de DeepMind et Google Brain, avec l’ambition explicite de dépasser OpenAI. Début 2025, Gemini 2.5 s’affirme comme un concurrent crédible à GPT-4, en particulier sur des tâches de raisonnement scientifique ou de génération de code. L’un des atouts majeurs de Google est son trésor de guerre informationnel: un Web indexé depuis 25 ans, les bases de données de Google Books, les heures transcrites de YouTube, une omniprésence dans la vie des internautes (Android, Chrome, Gmail…). A cela s’ajoute sa puissance financière: avec plus de 100 milliards de dollars de cash, l’entreprise peut investir massivement, subventionner ses services IA le temps d’une adoption massive, ou multiplier les rachats stratégiques.

Cette capacité d’adaptation technologique n’échappe pas aux analystes. «Gemini 2.5 est un très bon modèle, les AI overviews intégrés dans le search sont perfectibles bien sûr, mais le mode AI commence à plaire», analyse Guillaume Peyronnet. Pour lui, la question n’est pas tant de savoir si Google est fini, mais plutôt s’il saura «devenir une interface AI comme ChatGPT, partout, tout le temps, ou s’il y a encore une place pour un search plus classique».

Plus largement, cette stratégie de réponse directe s’accompagne d’un déploiement tentaculaire: Gemini est désormais l’IA par défaut de l’écosystème Google, remplaçant l’ancien assistant vocal, installée d’office sur les appareils Android, intégrée dans Gmail, Docs, Maps ou Sheets. En mai 2025, l’app Gemini revendique 400 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Un chiffre éloquent, qui suggère que Google, loin de sombrer, est peut-être en train de trouver une nouvelle voie.

Mais rien n’est encore joué. Le géant reste sous la pression de régulateurs qui s’interrogent sur sa nouvelle position dominante, et d’utilisateurs qui scrutent la fiabilité des réponses IA, souvent entachées d’erreurs, d’hallucinations ou de biais. Les critiques pleuvent lorsque Google suggère d’«ajouter de la colle non toxique dans une pizza » ou de « manger un caillou par jour». L’entreprise promet des garde-fous, mais la confiance, elle, se reconquiert sur la durée.

En définitive, la question est autant «Google est-il mort ?» que «quelle forme prendra-t-il dans sa nouvelle vie»? Pour l’instant, Google vacille mais ne tombe pas. Il mute, pivote, s’adapte. Si l’ère du lien bleu touche à sa fin, celle de la réponse synthétique ne garantit pas pour autant un nouveau consensus. L’histoire des empires technologiques est faite de renaissances autant que de déclins. Altavista fut englouti. Skype a disparu. Facebook est devenu Meta. Google, lui, tente d’échapper à sa propre obsolescence en se réinventant en plateforme universelle d’intelligence assistée.

La formule «Googler une question» n’a pas encore disparu du quotidien. Mais la manière de chercher –et de recevoir– des réponses est en train de basculer. Avec elle, c’est toute une architecture de l’information, de la connaissance et de l’attention qui se redessine. A l’heure où la souveraineté numérique, la régulation de l’IA et la redistribution de la valeur sont devenues des enjeux centraux, la prochaine bataille ne se jouera peut-être plus entre moteurs de recherche, mais entre visions du monde.

 

Quelques chiffres clés

60% des recherches Google (USA, 2024) n’aboutissent à aucun clic vers un site Web. Les internautes obtiennent directement une réponse depuis la page de résultats.

15 à 25% de trafic organique en moins en 2024 pour de nombreux sites, dû à l’essor des réponses générées par IA.

400 millions d’utilisateurs pour l’app Gemini de Google au printemps 2025, intégrée par défaut à Android dans de nombreux pays.

20 milliards de dollars, la somme versée chaque année par Google à Apple pour rester le moteur par défaut sur iPhone (estimations DOJ USA).

90% de parts de marché de Google Search en Europe, malgré plus de 8 milliards d’euros d’amendes depuis 2017.

2 milliards de dollars de perte annuelle potentielle estimée pour les éditeurs en ligne si le trafic continue de baisser de 20 à 60 % avec l’IA.

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