Est-il possible d’associer TDAH et travail? © Getty Images

Comment gérer le TDAH au travail: «Ca ne doit être ni une excuse, ni une surcharge pour les autres»

Distraction, manque de structure, démotivation: comment les personnes atteintes de TDAH peuvent-elles mieux gérer ce que l’on perçoit comme des faiblesses? Dans quels cas convient-il d’en parler à un supérieur hiérarchique? Pourquoi avoir eu des parents stricts peut représenter un atout?

Astrid Neuy-Lobkowicz est une spécialiste en psychosomatique et en psychothérapie. Elle a publié plusieurs ouvrages consacrés au trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ou TDAH, ainsi qu’aux stratégies permettant aux personnes concernées de mener malgré tout une vie épanouie. Elle en fait d’ailleurs elle-même partie.

Quels sont les problèmes les plus fréquents rencontrés par les personnes atteintes de TDAH sur leur lieu de travail?

Astrid Neuy-Lobkowicz: Trois difficultés principales se manifestent. D’abord, les troubles de la concentration sont fréquents; les distractions sont constantes. Travailler dans un espace ouvert pose donc problème à beaucoup. Chaque mouvement, chaque bruit distrait: un collègue qui va chercher un café, une conversation téléphonique en arrière-plan. Filtrer ces stimuli ou les ignorer s’avère presque impossible. Cela s’explique par des causes neurobiologiques; il ne s’agit pas d’un comportement que l’on pourrait simplement corriger par un apprentissage.

Quelles sont les deux autres difficultés courantes?

Une personne atteinte de TDAH peut se montrer extrêmement motivée et fournir un travail intense –à condition que la tâche suscite un réel intérêt. Les études indiquent un déséquilibre de la dopamine dans le cerveau. Lorsqu’un sujet est captivant, la production de dopamine augmente considérablement. C’est ce qui explique le phénomène connu sous le nom d’hyperfocalisation, un état de concentration profonde. Mais l’envers de cette disposition, c’est que les activités ennuyeuses deviennent très pénibles, en particulier les tâches routinières. Ce constat mène à la troisième difficulté récurrente: l’auto-organisation. Il s’agit de structurer ses journées, de traiter correctement même les tâches jugées fastidieuses, d’achever ce qui a été entamé.

Le TDAH s’exprime de manière très variable d’un individu à l’autre. Ces difficultés sont-elles systématiques dans le cadre professionnel?

De nombreuses personnes atteintes de TDAH s’en sortent très bien –mais elles passent inaperçues. Elles ne se signalent pas, ne souffrent pas. Celles qui consultent éprouvent des difficultés à s’organiser dans la sphère professionnelle comme dans leurs relations sociales, et peinent également à réguler leurs émotions.

«Un diagnostic précoce, suivi rapidement d’un accompagnement, représente un soutien précieux pour les personnes atteintes de TDAH. Cela leur évite bien souvent d’accumuler les échecs et les sentiments d’incompétence.»

Que peut-on faire alors pour les aider?

Un diagnostic précoce, suivi rapidement d’un accompagnement, représente un soutien précieux pour les personnes atteintes de TDAH. Cela leur évite bien souvent d’accumuler les échecs et les sentiments d’incompétence. Elles prennent conscience de leur fonctionnement particulier, avec un profil de forces et de faiblesses qui leur est propre. Cela favorise la construction d’une estime de soi plus solide. Plus tôt les stratégies visant à pallier les difficultés d’organisation et à réguler les émotions sont acquises, plus les chances de stabilité et de réussite augmentent. Un traitement médicamenteux s’avère souvent nécessaire, parfois complété par une thérapie comportementale spécifiquement adaptée aux défis du TDAH. Malheureusement, de nombreuses personnes ne sont diagnostiquées que tardivement, voire pas du tout.

A quoi cela tient-il?

Bon nombre de spécialistes, qu’ils soient médecins ou psychothérapeutes, ne sont pas encore prêts à s’investir pleinement dans la prise en charge du TDAH. Cette affection est pourtant fréquemment associée à d’autres problèmes, comme la dépression, l’anxiété ou les troubles addictifs. Souvent, seul le trouble associé est repéré et traité, tandis que le TDAH sous-jacent passe inaperçu. Les symptômes persistent alors, et les troubles concomitants ne s’améliorent pas réellement, car le TDAH continue d’alimenter l’échec et la frustration, qui à leur tour renforcent l’anxiété ou la dépression.

© Getty Images

Pourquoi les troubles addictifs sont-ils plus fréquents?

Parce que beaucoup tentent de s’apaiser eux-mêmes à l’aide de substances, afin de mieux gérer agitation intérieure, variations d’humeur et troubles de l’attention. En l’absence de diagnostic, ces symptômes sont souvent attribués à des causes psychiques remontant à l’enfance, ce qui conduit à des années de psychothérapie peu concluantes. Or, le TDAH n’est pas une conséquence de l’enfance, mais une affection neurobiologique liée à une dégradation trop rapide de la dopamine dans le cerveau.

Et chez les enfants?

Les connaissances sur le TDAH ont sans doute progressé dans les établissements scolaires. Mais l’image dominante stéréotypée de l’enfant qui a du mal à rester immobile s’applique surtout aux garçons. Chez les filles, le trouble se manifeste autrement: rêveries fréquentes, tendance à s’évader mentalement, repli sur soi. Cela passe bien plus inaperçu qu’un comportement hyperactif. Ainsi, les filles sont moins souvent repérées et soutenues à l’école. Une fois adultes, elles sont souvent confrontées à des troubles associés marqués, qui ont naturellement un impact sur leur vie professionnelle.

«Le TDAH n’est pas une conséquence de l’enfance, mais une affection neurobiologique liée à une dégradation trop rapide de la dopamine dans le cerveau.»

Si ces troubles reposent sur des causes neurobiologiques, cela signifie-t-il qu’il est impossible pour une personne atteinte de TDAH d’apprendre à travailler de manière structurée, attentive et motivée?

Il est vrai que ces troubles ne se guérissent pas. Mais il est tout à fait possible d’apprendre à vivre avec et à en limiter les effets. Il m’arrive de demander à certains patients qui s’en sortent bien professionnellement s’ils ont eu des parents stricts. Souvent, ils me répondent que durant l’enfance, ils les obligeaient sans cesse à faire des listes. A l’époque, cela les exaspérait. Mais à ces parents, je dirais aujourd’hui qu’ils ont eu un très bon réflexe. C’est une méthode simple, mais efficace. Faire des listes: ce qu’il faut accomplir aujourd’hui, demain ou dans les jours qui suivent. Et noter immédiatement toute pensée surgie à l’improviste. Croire qu’on s’en souviendra plus tard ne fonctionne tout simplement pas.

Le métier exercé joue sans doute aussi un rôle majeur?

Sans aucun doute. Le TDAH s’accompagne souvent de réelles qualités: créativité, fulgurances, pensée associative, capacité à enchaîner spontanément les idées. Un esprit «out of the box». Il est essentiel d’encourager cette richesse dès l’enfance, plutôt que de la brider. A l’âge adulte, une activité professionnelle qui permet de valoriser ces ressources donne souvent d’excellents résultats. A l’inverse, les emplois fondés sur des tâches monotones, nécessitant minutie et constance, posent généralement davantage de difficultés. A mes yeux, toute entreprise devrait compter au moins une personne atteinte de TDAH. Mais pas trop, sinon le désordre s’installe. L’idéal est un équilibre entre profils créatifs et collaborateurs plus méthodiques.

«Le TDAH s’accompagne souvent de réelles qualités: créativité, fulgurances, pensée associative, capacité à enchaîner spontanément les idées.»

Mais tout métier implique parfois des tâches répétitives. Faut-il en dispenser systématiquement les personnes concernées?

Certainement pas. Le TDAH ne doit jamais servir d’excuse ni entraîner une surcharge pour les autres. Et cela, je l’affirme en tant que personne directement concernée. Ce sont souvent les détails du quotidien qui font obstacle: une inscription oubliée à un examen, un rendez-vous important non noté, une tâche jugée ennuyeuse reportée jusqu’à la dernière minute –puis exécutée à la hâte, avec des erreurs. Plutôt que de se réfugier dans un «je suis comme ça, je n’y peux rien», mieux vaut chercher des outils et des cadres qui permettent de rester efficace.

A quoi peuvent ressembler ces outils?

Un exemple concret: je porte une montre connectée. Quand une idée me traverse l’esprit, que je sois en train de faire du sport, de marcher ou au supermarché, je la dicte aussitôt à ma montre. Le message est envoyé directement dans ma boîte mail. De retour chez moi, je le recopie à la main dans mes listes. J’appelle cela «récolter les pensées». Lorsque je ne peux pas dicter à voix haute –par exemple lors d’un entretien avec un patient– j’écris l’idée en toute discrétion sur un Post-it. Je le colle toujours au même endroit dans mes documents, d’où il sera ensuite intégré à mes listes.

Ce n’est donc pas tant la méthode qui compte que la régularité?

Exactement. Le cerveau atteint de TDAH fonctionne de manière anarchique. Il s’active quand il le souhaite. Sous la douche, aux toilettes, en faisant la vaisselle –mais rarement au moment voulu, lorsqu’on est assis devant un bureau. D’où la nécessité de mettre en place un système simple, immédiatement accessible. Cela peut prendre la forme d’une application, d’un carnet, de Post-it ou de mémos vocaux. Le recours à des rituels est indispensable. A des listes, que l’on exécute point par point. Ce qui importe, c’est de s’en tenir à un dispositif choisi, jusqu’à en faire une habitude. Et, en général, tout commence par une chose: noter aussitôt une pensée essentielle.

Et si, malgré tout, des difficultés surgissent au travail? Faut-il évoquer le TDAH?

La véritable question n’est pas là. Ce qui compte, c’est la capacité à nommer de façon précise ce qui pose problème. Quelles tâches, quelles organisations sont sources de blocages répétés? C’est sur ces éléments qu’il faut porter l’attention. Expliquer cela en mentionnant ou non le TDAH dépend entièrement du niveau de confiance avec la hiérarchie. Rien ne garantit que le supérieur en question maîtrise le sujet, ni qu’il ait ouvert un ouvrage spécialisé sur la question.

Il est sans doute difficile d’admettre que certaines tâches sont problématiques. Comment formuler cela sans se sentir gêné?

Une première étape pourrait consister à échanger avec les collègues. Rencontrent-ils les mêmes obstacles? Est-ce lié au TDAH ou s’agit-il d’une difficulté plus générale? Quoi qu’il en soit, mieux vaut réfléchir à ce qui permettrait de travailler dans de meilleures conditions. Et proposer des solutions concrètes: un cadre plus calme, un peu plus de souplesse dans l’organisation. L’idéal est de formuler cela de manière constructive: peut-être qu’un aspect du poste ne correspond pas, mais une autre tâche, en revanche, conviendrait parfaitement. Mieux vaut insister sur ce que l’on maîtrise vraiment.

«Si le mal-être devient trop grand, il ne reste probablement qu’une solution: changer d’emploi.»

Et si, malgré cela, il n’y a aucune reconnaissance?

Tout dépend du niveau de souffrance. Peut-on encore s’adapter un peu, construire un cadre de travail viable sans imposer sa charge aux autres? Est-il possible de contrebalancer les fragilités par des aspects du métier qui suscitent de l’enthousiasme et dans lesquels les compétences sont solides? Si le mal-être devient trop grand, il ne reste probablement qu’une solution: changer d’emploi. Et c’est là que tout se rejoint: dans l’idéal, une personne atteinte de TDAH apprend dès l’enfance à repérer ses forces, à les cultiver, pour finalement exercer un métier qui lui correspond pleinement.

Comment favoriser une meilleure acceptation dans le monde professionnel?

De nombreuses personnes atteintes de TDAH réussissent brillamment. Elles savent mettre à profit leurs atouts et deviennent alors une richesse pour leur environnement de travail. Les employeurs ont tout intérêt à reconnaître ces compétences et à leur confier des responsabilités adaptées –qu’elles aient ou non révélé leur diagnostic. Cela dit, les intéressés ont aussi une part de responsabilité.

De quelle manière?

Si l’ensemble de l’équipe se retrouve constamment sous tension à cause d’un manque d’organisation, ce n’est pas une situation qu’il convient de justifier par un TDAH –et encore moins de s’attendre à ce que les autres l’acceptent sans réserve. La fiabilité demeure essentielle, surtout lorsqu’il existe des règles établies d’un commun accord.

Depuis quelque temps, le TDAH fait davantage parler de lui, et les réseaux sociaux offrent un espace où les personnes concernées témoignent de leur quotidien. Cela peut-il encourager une culture de travail plus inclusive?

Je suis une fervente défenseuse du concept de neurodiversité. Chaque cerveau fonctionne selon une structure propre, avec un profil unique de points forts et de fragilités. Cela peut inciter les personnes atteintes de TDAH à valoriser davantage leurs aptitudes que leurs limites. Mais je reste réservée face aux excès d’identification au TDAH. Etre un peu distrait ou désorganisé ne suffit pas à poser un diagnostic. Or, sur les réseaux sociaux, cette distinction est souvent brouillée. Certains influenceurs tournent leurs maladresses en dérision et affirment souffrir de TDAH. Ce type de représentation risque d’affaiblir la crédibilité des personnes réellement concernées, dont les difficultés risquent alors d’être banalisées. Il ne faut pas l’oublier. D’un côté, certains parlent déjà d’effet de mode. De l’autre, le manque de soins médicaux et psychothérapeutiques reste criant.

Comment se déroule un diagnostic du TDAH

Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité est considéré comme un dysfonctionnement métabolique et fonctionnel du cerveau. Le diagnostic s’établit à l’issue d’un processus complexe, qui peut nécessiter plusieurs séances, combinant entretiens cliniques et tests neuropsychologiques, menés par des psychiatres ou des psychothérapeutes. Il importe de déterminer si les symptômes étaient déjà présents durant l’enfance; l’entourage –parents, partenaire– peut également être sollicité. Ce trouble se diagnostique avec une fiabilité équivalente à celle d’autres affections psychiques.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire