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Les capacités de production d’énergie solaire ne cessent de progresser en Belgique. © Getty Images

Quand les panneaux photovoltaïques produisent trop d’énergie pour le réseau: «On est tous embarqués dans cette nouvelle réalité»

Lors des journées les plus ensoleillées, la Belgique produit un surplus d’énergie solaire par rapport à ce qu’elle consomme. Les propriétaires de panneaux photovoltaïques sont alors invités à consommer davantage pour soulager le système. La pression sur le réseau est-elle réellement problématique? Décryptage.

«Il y a un surplus d’énergie en Belgique aujourd’hui. Utilisez votre énergie solaire! Vous rentabilisez vos panneaux et aidez le réseau.» Depuis quelques mois, Luminus teste une nouvelle approche par SMS pour inciter ses clients propriétaires d’installations solaires à injection élevée à consommer leur propre énergie lors de journées particulièrement ensoleillées.

D’une part, ces SMS doivent pousser les prosumers à autoconsommer pour leur permettre d’éviter de payer pour l’énergie qu’ils injectent sur le réseau lorsque les prix de l’électricité sont négatifs.

D’autre part, ce type d’incitant s’inscrit dans le cadre des missions des Balance Responsible Parties (BRP) dont font partie les fournisseurs d’énergie. «Nous devons gérer nos capacités de production en vue d’apporter de la flexibilité sur le réseau, notamment lorsque la production solaire est forte et que la consommation est plus faible. Ces SMS sont une réponse directe à une situation de tension sur le réseau», explique Stéphane Cornet, porte-parole de Luminus.

Inciter à consommer aux heures creuses

L’équilibre du réseau électrique repose sur une correspondance en temps réel entre l’offre et la demande. Si on produit (beaucoup) trop d’électricité, il y a un risque de saturation. Ce qui peut mener à des coupures voire, dans le pire des cas, à un blackout. Or, ces pics se multiplient en Belgique, notamment parce que les capacités de production photovoltaïque augmentent rapidement. «Aujourd’hui, l’ensemble des panneaux solaires installés dans le pays affichent une capacité de production de l’ordre de 11,4 gigawatts (GW). Lorsque la météo est la plus favorable aux panneaux –25 degrés et du soleil–, on peut atteindre 8 GW à la mi-journée. Si on y ajoute l’énergie fournie par les autres unités de production, on peut couvrir l’ensemble de la consommation, voire un peu plus. C’est surtout le cas le week-end et les jours fériés, lorsque les industries ne fonctionnent pas», détaille Jean Fassiaux, porte-parole d’Elia, gestionnaire du réseau. Dans de tels cas, il convient d’activer des mécanismes de flexibilité pour éviter de surcharger le réseau. Pousser les particuliers à augmenter leur consommation en fait partie. «Il faut veiller à valoriser cette flexibilité, en faisant en sorte que les consommateurs y trouvent un avantage: cela doit être une des priorités», ajoute-t-il.

Petit à petit, différents outils arrivent sur le marché pour développer cette flexibilité. Avec notamment la tarification dynamique, qui fait fluctuer chaque heure le tarif du client en fonction des prix du marché. Déjà proposé en Flandre depuis 2021, il se déploie cette année en Wallonie et à Bruxelles. «Comme beaucoup de ménages ne disposent pas encore d’un compteur communicant, le nombre de clients qui optent pour ce type de contrat reste marginal. Mais cela prendra de l’ampleur à l’avenir, d’autant plus que de nouveaux tarifs de distribution vont également apparaître bientôt», précise Stéphane Cornet.

Début juillet, la Commission wallonne pour l’énergie (CWaPE) a approuvé les nouveaux tarifs de distribution (qui représentent environ 25% de la facture) pour la période 2026-2029. Les possesseurs d’un compteur communicant pourront opter pour le tarif Impact, composé de cinq plages horaires, la plus chère se situant entre 17h et 22h, les moins chères entre 1h et 7h et entre 11h et 17h. En outre, la tarification bihoraire va changer: fini la distinction entre jours de semaine et week-end, place à une plage horaire supplémentaire d’heures creuses (11h-17h) en plus de la nuit. A noter: cette tarification bihoraire concerne tant les coûts de distribution que ceux de l’électricité consommée.

De plus en plus de fournisseurs proposent également de prendre en charge la gestion des appareils les plus énergivores (véhicule électrique, pompe à chaleur) pour programmer leur consommation aux heures creuses avec, à la clé, des tarifs avantageux.

Selon Stéphane Cornet, consommer de l’énergie aux moments les plus opportuns et lever le pied lorsque c’est nécessaire fait partie d’un apprentissage sur le long terme. «On est tous embarqués dans cette nouvelle réalité. Avant, avec le nucléaire, on produisait en bandeau. Désormais, avec le renouvelable, la perspective est totalement différente. Les gens vont devoir apprendre à maîtriser davantage leur consommation», estime le porte-parole de Luminus.

Ce nouveau paradigme n’inquiète pas Francesco Contino, professeur à l’UCLouvain, spécialiste de la transition énergétique et des énergies renouvelables. «Historiquement, les Belges semblent avoir toujours réussi à s’adapter. Ils y sont bien parvenus au siècle dernier, lorsque les compteurs bihoraires sont apparus. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement aujourd’hui. Cependant, il ne faut pas faire peser toutes les responsabilités sur le dos de la population», souligne-t-il.

Pour assurer la stabilité du réseau, on peut également jouer sur le balancing. «Il y a des contrats de rééquilibrage à travers lesquels des acteurs du marché consomment et produisent de l’électricité en fonction de la situation, afin de conserver un certain équilibre», relève Jean Fassiaux (Elia). «La gestion de notre production constitue en réalité notre premier levier, abonde Stéphane Cornet (Luminus). Nos unités de production sont pilotables. On adapte leur fonctionnement par rapport aux prévisions, mais nous pouvons aussi réagir en temps réel s’il le faut.»

La Belgique peut également compter sur la solidarité avec les pays voisins en cas de surplus d’énergie. «Les équivalents européens d’Elia peuvent nous offrir de la capacité de réception pour éviter de surcharger notre réseau», commente Jean Fassiaux.

«Nous n’avons pas encore dû recourir au délestage et nous pouvons être rassurants pour l’été.»

De la flexibilité peut aussi être trouvée du côté des acteurs industriels. «En échange d’une optimisation tarifaire, Luminus peut installer un smart kit chez ses clients. Nous pouvons alors prendre en charge leur production photovoltaïque afin de l’adapter à la situation. Concrètement, en cas de surproduction, nous pouvons faire en sorte que leurs installations n’injectent plus d’énergie sur le réseau», complète Stéphane Cornet.

Les batteries constituent elles aussi un allié de taille. Les gros consommateurs peuvent en installer eux-mêmes et demander à leur fournisseur de les gérer intelligemment. Les grands parcs à batterie commencent également à sortir de terre. Début juin, Luminus a d’ailleurs posé à Navagne (Visé) la première pierre de ce qui est actuellement le plus grand parc wallon en construction: d’une puissance de 150 MW, il pourra restituer jusqu’à 600 MWh d’électricité au réseau.

En ultime recours, Elia peut procéder à un délestage: moduler voire arrêter temporairement des parcs photovoltaïques ou éoliens pour diminuer la pression sur le réseau. «Jusqu’à présent, nous n’avons jamais dû y recourir. A priori, nous ne devrons pas non plus y procéder dans les semaines à venir et nous pouvons être rassurants pour l’été», indique Jean Fassiaux.

Motif de réjouissance

Le nombre de panneaux solaires installés en Belgique augmente chaque année. Conséquence: les records pleuvent. Sur les six premiers mois de 2025, la production d’électricité d’origine photovoltaïque a augmenté de 36,7% par rapport à l’année précédente. Au mois de juin, elle a même représenté près d’un quart de la production électrique totale du pays.

L’envolée du solaire ne risque-t-elle pas de devenir problématique si elle ne peut pas être encaissée par le réseau? Pas le moins du monde, répond le professeur Contino. «Je pense au contraire qu’il faut se réjouir de la progression du photovoltaïque en Belgique. Ces périodes de surproduction sont des signaux vis-à-vis des acteurs publics et privés à même de capturer toute cette énergie. Il faut surtout leur proposer une vision à long terme, en acceptant que le système est en pleine mutation et qu’on va parvenir à s’y adapter, tout en protégeant les plus faibles.»

Selon le spécialiste, ce trop-plein de production par rapport aux capacités du réseau ne doit certainement pas faire germer l’idée qu’il faudrait songer à ralentir la cadence. «Cette problématique est souvent mal comprise. En réalité, le réseau n’est pas une entité fixe. Il doit s’adapter à nos sources d’approvisionnement. S’il semble parfois en souffrance aujourd’hui, cela signifie qu’il était bien dimensionné pour notre usage précédent. S’il réussissait à tout absorber d’un coup, cela signifierait qu’il était surdimensionné. Désormais, au même titre que notre mode de consommation, il va s’adapter pendant 20 à 30 ans. Et c’est tout à fait normal. C’est ça, la transition», conclut Francesco Contino.

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