La modernisation du réseau ne sera pas qu’une histoire de bras et d’équipements électriques. Pour le CEO d’Ores, un choc culturel est indispensable. © Getty Images/iStockphoto

Pour Ores, notre rapport à l’électricité doit changer: «Vouloir tout, partout, tout le temps et tout de suite, c’est fini»

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

D’ici à 2029, les investissements d’Ores dans le réseau électrique passeront de 300 millions à 600 millions d’euros par an. Mais pour que la transition soit financièrement soutenable, il faudra anticiper et modérer les besoins.

Quelque 2,3 milliards d’euros. C’est le montant que les cinq gestionnaires de réseau de distribution (GRD) wallons prévoient d’investir sur la période 2025-2030. Cela représente en moyenne 460 millions par an, soit une augmentation de 61% par rapport à la moyenne des investissements ces dernières années. Ores, le plus grand GRD du sud du pays, a décidé de mettre les grands moyens pour présenter les grands axes de son plan d’adaptation 2026-2030. Ce 15 avril, c’est au château-ferme de Profondval, à Court-Saint-Etienne, que l’intercommunale employant 2.700 personnes a organisé une présentation inédite à l’attention de ses partenaires clés. Parmi la large audience du jour: des fédérations impliquées dans les enjeux de l’électrification, des fournisseurs d’énergie, des acteurs du développement économique…

Deux fois plus d’investissements dans le réseau

Jusqu’ici, les plans d’adaptation avaient beau être soumis à consultation depuis des années, ils n’intéressaient presque personne. Entre un buffet italien et les cliquetis de coupes de champagne, Ores voulait cette fois faire passer un message-clé, lors d’une présentation de près de 2 heures: dans un contexte plus incertain que jamais, il est devenu éminemment complexe d’élaborer un plan d’adaptation d’électricité visant à prévoir et anticiper les besoins futurs. «L’une des façons de contribuer à lever les incertitudes, c’est peut-être de partager toutes celles que nous avons, a introduit son CEO, Fernand Grifnée. On peut s’enrichir mutuellement en confrontant nos plans, nos scénarios, nos hypothèses.» Dès le 1er mai prochain, Ores invite de ce fait toute personne ou organisation intéressée à formuler des remarques sur ce fameux plan. Une plateforme en ligne sera prévue à cet égard.

Que contient-il ? Essentiellement de copieuses salves budgétaires. D’ici à 2029, Ores prévoit de doubler ses investissements annuels dans le réseau électrique, passant de 300 millions en 2024 à près de 600 millions d’euros. Il y a d’abord un important volet sur la modernisation et la sécurisation des équipements. Le GRD veut remplacer les 2.700 kilomètres de lignes moyenne tension souterraines qui ont été installées avant les années 1980, de même que les centaines de cabines à matériel ouvert datant de la même période. D’ici à 2029, Ores aura par ailleurs déployé les compteurs communicants sur l’ensemble de son territoire, ce qui représente 1,25 million d’unités. Il faut, en parallèle, préparer le réseau au défi titanesque de la transition énergétique, qui passera nécessairement par une électrification de la mobilité, du chauffage résidentiel (pompes à chaleur) et des processus industriels.

Bond de 260% des superchargeurs

Ores émet entre autres l’hypothèse que 500.000 voitures électriques se chargeront sur son réseau en 2030 et que 927.000 ménages seront équipés d’une pompe à chaleur d’ici à 2050. Il s’attend aussi à une croissance substantielle des grands parcs photovoltaïques et des éoliennes plus puissantes. A plus court terme, il y a déjà du pain sur la planche. «Nous avons actuellement des centaines de dossiers à l’étude pour le raccordement de stations de recharge ultra-rapide pour véhicules électriques», note Ores. Au total, la puissance demandée pour alimenter de futurs superchargeurs a augmenté de 260% en un an. Concernant l’éolien, la puissance à l’étude a bondi de 90% en un an, en raison du repowering des parcs existants ou de nouveaux projets. Enfin, l’apparition des grands parcs de batterie sur le territoire exerce elle aussi une pression sur le réseau (+228% de puissance demandée sur un an).

Pour parvenir à alimenter tout le monde à un coût raisonnable, l’anticipation est cruciale, insiste Ores. Le GRD est bien placé pour savoir que certaines décisions politiques des dernières années conduisirent, au contraire, à d’ingérables soubresauts. En 2023, par exemple, l’imminence de la fin du mécanisme de compensation (compteur qui tourne à l’envers), pour les panneaux photovoltaïques réceptionnés dès le 1er janvier 2024, a engendré un bond considérables des installations. Cette évolution fulgurante a aggravé la problématique des décrochages d’onduleurs, survenant lors de l’injection concomitante dans le réseau basse tension d’excédents photovoltaïques, à l’échelle d’une rue ou d’un quartier. Pour y remédier, il est nécessaire de renforcer les lignes, voire d’ajouter de nouvelles cabines.

Un choc de simplification

Tout cela se planifie. Tout cela prend du temps. Trop de temps, même, critique Ores. Aux côtés de Proximus et de la Société wallonne des eaux (SWDE), le principal distributeur d’eau du sud du pays, le GRD a déposé un copieux dossier sur la table du gouvernement wallon, dans la droite lignée du «choc de simplification» annoncé par la majorité MR-Les Engagés. Il y a listé une série de propositions concrètes pour remédier aux fastidieuses et chronophages procédures actuelles (permis, demandes d’ouverture de trottoirs, etc), en présence desquelles l’électrification à venir serait tout simplement irréalisable. Si rien ne filtre quant à son contenu, Ores espère avoir un retour du gouvernement wallon prochainement. De son côté, Fernand Grifnée enjoint aussi les pouvoirs locaux à y mettre du leur, plutôt que de s’opposer aux interventions, comme cela arrive dans certaines communes.

Un choc culturel

Les particuliers, comme les entreprises, auront aussi un rôle à jouer pour que la transition énergétique soit financièrement soutenable, souligne Ores. Un exemple évoqué par Sébastien Mahaut, son directeur Stratégie et Transformation: les bornes de recharge à domicile pour véhicule électrique. Alors qu’une puissance électrique de sept kilovoltampères (kVA) suffit amplement, la puissance moyenne des bornes déclarées à Ores s’élève en moyenne à 9 kVA à l’heure actuelle. «Forcément, cela pèse assez lourdement sur nos réseaux de distribution», commente-t-il. Pour inciter les clients à faire preuve de tempérance, le GRD mise sur une adaptation des coûts de raccordement. «Le but est de faire payer de manière plus marquée les demandes d’augmentations de puissance au-delà de 14 kVA.»

La modernisation du réseau ne sera en effet pas qu’une histoire de bras et d’équipements électriques. Afin que la lumière soit et continue à l’être pour tout le monde, Fernand Grifnée affirme qu’un choc culturel est indispensable. «Vouloir tout, partout, tout le temps et tout de suite, c’est fini, conclut-il. Pendant 80 ans, on a vécu avec ces exigences sans aucun problème pour le système de distribution d’électricité.» Vu les besoins actuels et futurs, ce n’est plus tenable. Tout comme il est aujourd’hui normal de mettre sa ceinture au volant, il conviendrait de ceinturer les envies, d’évacuer le superflu: faut-il nécessairement une installation photovoltaïque démesurée par rapport à ses propres besoins, une borne de recharge ultrapuissante à domicile, brancher son véhicule lors des pics de consommation?

En 2026, l’introduction de la tarification incitative permettra aux ménages qui ont un intérêt à y souscrire, à savoir essentiellement les propriétaires de voitures électriques, de réduire substantiellement les coûts de réseau dans leur facture, en jouant sur le moment de la recharge –les applications associées permettent généralement de la différer. Sur une journée de 24 heures, le tarif incitatif prévoira trois types de créneaux horaires :

© Cwape

Dans les années à venir, toute démarche permettant de soulager le réseau électrique peut contribuer à réduire la facture collective de la déjà coûteuse transition énergétique.

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