Une étude, commandée par Elia, loue les vertus économiques du projet de la Boucle du Hainaut. François Desquennes, auparavant fervent opposant au projet, doit désormais défendre le gouvernement wallon face à des bourgmestres qui ont pourtant une couleur politique compatible à la sienne.
C’est un projet qui semble un peu mené à contretemps. A la base, la boucle du Hainaut doit conduire l’électricité produite par les éoliennes en mer vers le Hainaut via des câbles aériens à 380.000 volts et une capacité de transport de six gigawatts. Depuis Avelgem, dans le Brabant flamand, jusqu’à Courcelles, la ligne s’étend sur près de 90 kilomètres et quatorze communes. L’arrivée du projet, début des années 2030, devrait coïncider avec une insuffisance énergétique redoutée pour les industriels de la région.
Sauf que, depuis le départ, la boucle du Hainaut rencontre une opposition affirmée par des citoyens réunis en associations, par des bourgmestres, et même par François Desquennes (Les Engagés) depuis l’opposition communale à Soignies. Désormais ministre de l’Aménagement du territoire, il est l’homme du gouvernement wallon qui doit amener le projet à maturité, comme le promet la déclaration de politique régionale, dont il est co-signataire. Tout cela alors que le nucléaire est préféré à l’éolien offshore par l’Arizona, et que le réseau de pylônes et de câbles électriques balafrant le Hainaut fait gronder dans les campagnes.
Un rapport «indépendant» qui arrange bien les défenseurs de la Boucle du Hainaut
Cette semaine, une étude menée par le bureau Deplasse & Associés a réaffirmé la nécessité d’aboutir sur ce projet. Ce rapport se dit indépendant, mais son commanditaire n’est autre qu’Elia, le gestionnaire du réseau qui a naturellement tout intérêt à voir la boucle du Hainaut se concrétiser. Les opposants se moquent, les rédacteurs disent avoir fait valider leur travail par un professeur d’économie de l’UNamur et de l’UCLouvain.
Quoi qu’il en soit, le document est univoque. Ne pas faire aboutir la boucle du Hainaut pourrait mettre à mal l’industrie wallonne. Sa construction générera 4.913 emplois, dont 2.371 directs. La valeur totale (directe et indirecte) du projet chiffrera une augmentation du PIB wallon de 488 millions d’euros par an (pour un budget de construction de plus d’un milliard). Alors que l’absence de boucle du Hainaut fermera la porte à pléthore de projets industriels et l’opportunité de 2.535 à 6.994 emplois. «Un gros groupe européen viendra bientôt s’installer à Leuze-en-Hainaut, annonce le bourgmestre local, Hervé Corneillie (MR). C’est parce que nous sommes l’une des rares communes où l’on sera sûr d’avoir assez d’énergie dans la région. Et la non-décision qui dure en ce moment nous coûte de l’argent. A Lessines, la commune d’à côté, on ne sait pas fournir la future piscine communale en électricité.» D’autres projets très énergivores pourraient aussi en bénéficier, comme le Data Center de Google, stratégique pour l’entreprise de la Silicon Valley.
Le MR des champs contre le MR du gouvrnement
«Oui, il faut de nouvelles connexions électriques en Hainaut, assume la porte-parole de l’association opposée au projet, Revolht, Françoise Reman. On est conscient que l’électrification de la société fait partie des enjeux sociaux et environnementaux. Par contre, on propose une solution qui utilise une autre technologie : le courant continu enterré (NDLR: au lieu du courant alternatif aérien qui est aujourd’hui préconisé). Il est certes plus cher, mais c’est la solution du futur.»
Les opposants sont rejoints par les bourgmestres de Frasnes-les-Anvaing, Jacques Dupire (MR); de Mont-de-l’Enclus, Jean-Pierre Bourdeaud’Huy (MR); et de Celles, Michaël Busine (MR). «Ce qu’on veut, c’est protéger notre ruralité, explique ce dernier. On comprend bien l’inquiétude de Revolht, et le fait que ça soit trop cher, c’est le problème d’Elia.» Le hic, c’est que l’étude livrée la semaine dernière par le bureau Deplasse n’effleure même pas la question d’un enfouissement des lignes en sous-sol. «Tout le monde tourne autour du pot sans prendre une décision ferme et définitive, critique Michaël Busine. Cela joue pourtant sur les valeurs des biens immobiliers des habitants qui s’inquiètent d’avoir des lignes à haute tension au-dessus de leur maison.»
«Un chèque en blanc a été signé par le gouvernement wallon précédent, et orchestré par les présidents de parti.»
Les trois bourgmestres libéraux n’ont d’ailleurs aucune peine à charger le prédécesseur de François Desquennes, Willy Borsus (MR tout comme eux), et d’accuser les gouvernements wallons passé et actuel d’un manque de transparence sur le sujet. Tout en avançant que depuis leur opposition publique, il y a de la friture sur la ligne (sans mauvais jeu de mot) entre le gouvernement wallon et les élus locaux.
L’heure de trancher va sonner pour le ministre Desquennes : cet hiver, avec une étude d’incidence environnementale qui, selon les infos du Vif, propose des trajectoires alternatives mais qui ne font que déplacer le problème au-dessus d’autres habitations. Le ministre, interpellé par Revolht sur le revirement stratégique de l’Arizona qui préfère le nucléaire à l’éolien, a questionné la Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz (Creg) sur la pertinence de la Boucle du Hainaut. Et la réponse de la Creg est tout aussi univoque que l’étude du cabinet Deplasse. «Ces évolutions ne remettent pas en cause le besoin du projet Boucle du Hainaut. Premièrement, il est nécessaire d’augmenter la capacité de transport du réseau afin d’accueillir les nouveaux projets offshores et transporter cette électricité au niveau national. Ensuite, il reste nécessaire d’augmenter la capacité de raccordement dans la région du Hainaut afin de pouvoir accueillir la demande croissante en électricité de la région.»
En Flandre, l’équivalent de la Boucle du Hainaut (indispensable pour connecter le Hainaut à l’off-shore en mer du Nord), nommé Ventilus, est pour sa part beaucoup plus abouti. Il passera par des câbles aériens et les permis d’urbanisme pour les pylônes sont en train d’être déposés. «Ce qui me fait dire qu’un chèque en blanc a été signé par le gouvernement wallon précédent, et orchestré par les présidents de parti», ponctue le bourgmestre MR de Mont-de-l’Enclus, Jean-Pierre Bourdeaud’Huy.