Le studio est logé au troisième étage de l’OM (Ougrée Marihaye), la nouvelle salle de concerts en région liégeoise. Photo : ©Guillaume Delbeuck © Guillaume Delbeuck

Un tarif « social »… aussi pour les professionnels: le studio Sphères Sonores de la Province de Liège accusé de concurrence déloyale

David Leloup
David Leloup Journaliste

Le nouveau studio public Sphères Sonores, destiné aux artistes débutants, est aussi loué à des professionnels… à prix bradés. Les principaux studios privés de la région liégeoise hurlent à la concurrence déloyale. Et menacent les autorités provinciales de saisir le tribunal de l’entreprise et le Conseil de la concurrence.

Une «Ferrari» louée au prix d’une Toyota «pour apprendre à conduire à des débutants»? Le studio d’enregistrement Sphères Sonores, inauguré en septembre 2022 et financé par la Province de Liège, fait grincer les dents d’un collectif de treize ingénieurs du son responsables des principaux studios d’enregistrement privés de la région liégeoise (Climax, Chênée Palace, L’air ne fait pas la chanson…). Service public destiné à soutenir les musiciens amateurs, le studio provincial pratique un tarif «social»: 33,60 €/h HTVA dès 14 heures achetées.

Le problème? Des artistes professionnels en profitent également… «Concurrence déloyale!», hurlent les studios privés dans une lettre recommandée de mise en demeure adressée aux huiles de la Province de Liège, dont le gouverneur Hervé Jamar (MR), le député-président en charge de la Culture Luc Gillard (PS), et le chef du pôle Musique Gilles Peeters (étiqueté PS).

Un studio trois fois moins cher

La missive, datée du 29 septembre, donne 45 jours à la Province pour arrêter ces locations à prix bradé. Sans quoi les studios menacent de saisir le tribunal de l’entreprise et le Conseil de la concurrence. Pour réclamer des astreintes et des dommages-intérêts. «Les tarifs pratiqués par Sphères Sonores sont environ trois fois inférieurs au prix du marché», tonne Roger Roland, ingé son au sein d’un studio signataire. «Un studio privé qui investirait de tels montants et pratiquerait de tels tarifs, ferait faillite rapidement.»

«Totalisant plus de 312.000 euros de matériel, Sphères Sonores est le studio le mieux équipé de Wallonie», lance-t-il encore. La liste des machines, que Le Vif s’est procurée, impressionne et interpelle plus d’un professionnel du secteur. «Il semble évident que du matériel aussi sophistiqué et coûteux dépasse largement la vocation d’aide aux artistes débutants», écrivent les studios. C’est pourtant l’objectif numéro un de ce studio public.

Un déménagement à 745.000 euros

Depuis 2002, la Province disposait au centre de Liège d’un petit studio qui s’appelait Ça balance. L’an dernier, il a déménagé à Ougrée (Seraing) pour devenir Sphères Sonores, «et ce avec un budget de 745.000 euros, constitué exclusivement d’argent public», rappellent les signataires de la lettre. Lors du déménagement, le petit studio amateur s’est étrangement mué en géant professionnel, passant d’une à quatre «rooms» d’enregistrement, et s’équipant «des meilleures machines reconnues dans le métier».

Les signataires exigent donc que le pôle Musique de la Province, qui gère le studio, ne travaille qu’avec des «artistes émergents ou amateurs avertis» et qu’il cesse donc de louer son studio au grand public. A moins de «faire intervenir un réviseur d’entreprise indépendant pour établir le tarif de location en tenant compte des investissements matériels consentis, des charges matérielles et salariales, des coûts de promotion et des marges bénéficiaires nécessaires à la prospérité d’une activité privée, ceci pour éviter toute concurrence déloyale.»

24% de locations au grand public

Le chef du pôle Musique n’est pas allé chercher son recommandé. Seul le gouverneur Hervé Jamar a accusé réception de la lettre. Mais il renvoie la balle vers le collège provincial. Contacté par Le Vif, le député-président en charge de la Culture, Luc Gillard, précise qu’il n’existe aucune intention dans le chef de la Province de créer une concurrence déloyale en louant le studio à des professionnels.

«Il s’agit plutôt d’un effet d’aubaine», suggère-t-il. «Sur 253 jours d’utilisation du studio, 192 jours – soit 76% – ont été dévolus à des programmes d’accompagnement d’artistes émergents, notre principale mission. Les 61 jours restants – soit 24% – concernent des locations au grand public, pour rentabiliser l’investissement. On peut discuter du prix de location, ce n’est pas un tabou. Nous sommes ouverts au dialogue et allons répondre en ce sens aux signataires de la lettre.» Moins vite qu’une Ferrari, en tout cas.

Par David Leloup et Guillaume Delbeuck (Imp4ct)

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