Aux solos comme des provocations, puis comme des invitations, succèdent des danses ensemble. © ZTS- Christian Altorfer

Trio, une battle contre les normes

A l’heure où l’urbain envahit la scène, Trio (for the beauty of it) débarque au 140. Une battle entre trois mondes dansés aux identités contrastées, qui fait voler les normes en éclats.

Trio (for the beauty of it) commence sans commencer. Trois danseurs sur un plateau nu. Un quatrième protagoniste (Timor Litzenberger) s’installe aux platines en bord de scène. Il y a un micro sur pied. Un danseur entame une série de mouvements, décrits par un autre danseur au micro, dos au public. Les rôles s’inversent. Tous trois introduisent en corps leur danse, soulignée par les mots d’un autre. Ces danseurs représentent trois communautés. Il y a Ordinateur, Parisien né en Côte d’Ivoire, star du coupé-décalé, danse urbaine pratiquée par les Ivoiriens à Paris, rapidement déployée en Afrique de l’Ouest et au-delà. Il y a Alex Mugler, New-Yorkais chorégraphe et interprète de voguing, mouvement apparu à Big Apple dans les sixties, en marge de la culture queer. Une danse «virtuose et sexuellement chargée» qu’il a exercée avec Rihanna et Lindsay Lohan. Enfin, il y a Carlos Gabriel Martinez, danseur contemporain spécialiste des danses urbaines mexicaines, qui cherche en quoi le corps dit le social.

Trio incarne la traversée des frontières, qu’elles soient nationales, culturelles ou de genre.

De l’arène à la scène

La lumière éclaire la salle. Nous ne sommes plus au théâtre, mais face à une battle. Les danseurs se toisent gentiment. Vont et viennent, hésitants. Il y a des solos comme des provocations. Puis des invitations. Puis des danses ensemble. Et quand le Mexique vogue, il impulse un écho latino. Quand le voguing rencontre le coupé-décalé, il le chaloupe. Quand le coupé-décalé file à Mexico, il conserve ses à-coups. Leur rencontre est devant nous un partage assumé de résistances identiques, de souffrances sublimées. Car ces danses, chacune, disent un quotidien difficile affronté par ce voyage des corps. La parole accompagnant le mouvement l’atteste.

Trio est né de rencontres et de rêves. En 2017, Monika Gintersdorfer, la metteuse en scène, fonde avec Franck E. Yao La Fleur, collectif regroupant dix danseurs d’influences et continents différents. Parmi eux, Ordinateur, Alex et Carlos. La Fleur prône «la traversée des frontières dans leur entente géographique, culturelle et du genre». Soit pile ce que le Trio incarne au plateau. «Nous nous sommes fortement identifiés à l’idée que nous sommes limités par les restrictions des frontières nationales et l’exclusion qu’elles causent, en particulier aux non-Européens, confient les danseurs et Monika. Qui évoquent Paul B. Preciado et son ouvrage Un appartement sur Uranus. «Paul Preciado compare le mal que la politique des frontières nationales cause aux personnes migrantes rejetées aux difficultés que les frontières de genre causent aux personnes non binaires.» Voilà le propos de Trio. Qui se traduit, au plateau, par cette battle qui fait oublier la scène, les frontières, les genres et les étiquettes, parce que l’espace de rencontres ainsi créé, des danseurs entre eux, des danseurs et du musicien, du plateau et de la salle fait (très) joyeusement voler en éclats les normes et présupposés. Trio, c’est le monde et ses luttes et ses beautés qui entre sur scène, subtilement formalisé. Un lieu dense de tripes et d’envies. Et d’humour, aussi.

Trio (for the beauty of it), les 8 et 9 novembre, au Théâtre 140, à Bruxelles.

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