Jean-Michel Jarre
Désormais, pour voir Jean-Michel Jarre en concert, il faudra s'immerger dans le métavers. © François Rousseau

Avec son nouvel album Oxymore, Jean-Michel Jarre s’aventure dans le métavers

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec son nouvel album, intitulé Oxymore, Jean-Michel Jarre plonge dans l’univers virtuel et le son immersif. L’occasion d’une rencontre avec Løyd, premier DJ belge à avoir joué dans le métavers.

A 74 ans, Jean-Michel Jarre continue de regarder vers l’avant. Son nouvel album, Oxymore, a ainsi été conçu en son binaural (une technique qui restitue l’écoute naturelle en trois dimensions) et servira de prétexte pour s’aventurer dans le métavers. Il est aussi l’occasion de rendre hommage à Pierre Henry, «l’un des deux Pierre fondateurs de la musique concrète» avec Pierre Schaeffer (lire l’encadré ci-dessous). «Je devais travailler avec lui pour mon album Electronica, mais il est tombé malade et est décédé en 2017.» La collaboration n’aura pas lieu. La veuve de Pierre Henry confiera cependant à Jarre une série de sons tirés de la collection de son mari. On les retrouve aujourd’hui dans Oxymore. Un disque qui salue autant le passé qu’il ne se tourne vers le futur: d’où l’idée d’organiser une rencontre entre Jean-Michel Jarre et un producteur de la nouvelle génération, Løyd, alias Maxence Lemaire, premier DJ belge à avoir joué dans le métavers.

Fous du labo

En 1968, Jean-Michel Jarre a 20 ans. C’est le moment où il largue son groupe de rock pour s’inscrire au GRM, l’emblématique Groupe de recherche musicale, fondé par Pierre Schaeffer. Un «laboratoire expérimental», où régnait «un esprit aussi allumé que dogmatique, à mi-chemin entre le professeur Tournesol, Doctor Who, Einstein et les Shadoks», écrit-il dans son autobiographie, Mélancolique Rodéo, parue en 2019 (Robert Laffont). A l’époque, il croise forcément Pierre Henry, autre membre émérite du GRM, dont la Messe pour le temps présent et son tube Psyché Rock sont entrés depuis dans la culture pop. A sa manière, Oxymore rend hommage au maître disparu. «C’est le premier à avoir exploré cette idée de spatialisation du son, dès la fin des années 1940, insiste Jarre. Avec Pierre Schaeffer, ils ont énormément contribué, beaucoup plus qu’on ne le pense, à la manière dont on fait la musique aujourd’hui, dont on travaille la matière sonore. J’avais envie de leur faire un clin d’œil, de mettre en avant cette pensée française, et plus largement cette ambition esthétique issue de l’Europe continentale. Parce que l’explosion du métavers, des mondes immersifs, vient aussi de là.»

Né en 1995, Maxence n’avait que 4 ans quand le pape français des synthés se produisit devant les pyramides de Gizeh pour l’un de ces concerts-événements qui ont jalonné sa carrière. «C’est en commençant à sortir en club, au Fuse, à 16 ans, que j’ai découvert les musiques électroniques. Par la suite, je suis tombé sur le logiciel Ableton et, très vite, je me suis plongé dans la production.» Après des études d’ingénieur du son, Løyd se retrouve à donner des cours d’histoire de la musique électronique. «Donc forcément, je connais Oxygène», album-phénomène sorti en 1976, le premier de Jean-Michel Jarre. Qui résume: «J’ai vécu au moins trois moments de disruption: la naissance des musiques électroniques, l’avènement d’Internet et aujourd’hui, peut-être le plus important de tous, le développement du métavers

Pour le DJ belge Maxence Lemaire, alias Løyd (à dr.), «nous n'en sommes qu'au début du bouleversement».
Pour le DJ belge Maxence Lemaire, alias Løyd, «nous n’en sommes qu’au début du bouleversement». © Guillaume Kayacan

Less is Oxymore

Pour celui qui vient d’être nommé en France à la tête de la commission «création immersive», au sein du Centre national du cinéma (CNC), le métavers a tout du nouvel Eldorado – pas que musical d’ailleurs, un récent rapport de McKinsey prévoyant que cette version «upgradée» du Net génère jusqu’à 5 000 milliards de dollars à l’horizon 2030…

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Chez Jarre, cette plongée démarre avec le son. Pour Oxymore, il a directement composé avec l’idée de créer des morceaux en «3D», donnant l’illusion, au casque, d’être immergé dans la musique. Une chimère à l’heure où les jeunes générations ont appris à se contenter de l’écoute sur des plateformes pas forcément réputées pour leur qualité sonore? «Oui, et en même temps pourquoi s’interdire le progrès? , interroge Løyd. Par ailleurs, nous n’en sommes qu’au début du bouleversement.» «Quand on est passés de la mono à la stéréo, les gens ne se sont pas posé de question, renchérit Jean-Michel Jarre. L’écoute immersive est l’étape suivante

Ce qui m’intéresse, c’est d’utiliser les outils qui correspondent à la société dans laquelle je vis. »

Jean-Michel Jarre

A vouloir s’approcher le plus possible du «réel», ne risque-t-on pas malgré tout de provoquer un effet d’étrangeté chez l’auditeur, comme avec certaines sculptures hyperréalistes à la Duane Hanson ou certaines images à la définition tellement poussée qu’elles déstabilisent? «Cela me fait penser aux premiers spectateurs du cinéma, qui s’écartaient quand ils voyaient le train arriver en gare, pensant qu’il allait sortir de l’écran, répond Løyd. C’est une question d’habitude. Pour avoir joué dans le métavers, je dois bien avouer qu’on est encore loin d’une reproduction fidèle du réel. J’ai donné un DJ set dans Decentraland: c’est très fun, mais visuellement, cela reste encore très rudimentaire.»

Oxyville, l’univers virtuel de Jean-Michel Jarre s’inspire du constructivisme. Une ville en noir et blanc, entre Sin City et Metropolis. © National

Jean-Michel Jarre confirme: «On est vraiment à l’aube des techniques immersives.» Ce qui ne l’a pas empêché d’imaginer son propre univers virtuel, baptisé Oxyville. «J’aime jouer avec les contraintes. En gros, aujourd’hui, on travaille avec des cubes. Or, quel mouvement artistique est lié à ce côté cubique? Le constructivisme. D’où une ville, un peu entre Metropolis et Sin City, en noir et blanc, parce que cela demande moins de data. L’idée est de proposer un environnement assez minimaliste mais esthétique, qui détourne les limitations et réussit à exploiter les accidents, comme les glitchs (NDLR: l’image qui se brouille lors des live), un peu comme Princesse Léa dans Star Wars. Ce qui peut être très drôle, ludique, mais aussi simplement beau.»

Pour avoir joué dans le métavers, je dois bien avouer qu’on est encore loin d’une reproduction fidèle du réel.» Løyd

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Tout de même, on ne pourra s’empêcher de trouver cocasse de voir le pionnier des mégaconcerts – que ce soit dans la Cité interdite ou au pied de la Tour Eiffel – se réfugier dans le virtuel. «Ce qui m’intéresse, c’est d’utiliser les outils qui correspondent à la société dans laquelle je vis. Aujourd’hui, on sait que les concerts qui rassemblent des grandes foules posent beaucoup de problèmes, en matière de sécurité, d’environnement, etc. Depuis le Covid, j’ai même l’impression qu’on a changé de paradigme. Je ne pense pas, par exemple, que je donnerai encore des concerts comme avant. Ce n’est pas mieux ou moins bien. Je me connecte juste avec mon public d’une autre manière. Parfois avec des gens qui ne seraient jamais venus me voir. Au début de l’année, on a donné un showcase dans une version bêta d’Oxyville. A la fin du live, j’ai un peu discuté avec les avatars présents, qui, derrière l’écran, restent quand même de vraies gens. Il y avait notamment cette fille de Manchester, hyperenthousiaste, qui avait dansé toute la soirée. Au fil de la conversation, j’ai fini par comprendre qu’elle était tétraplégique et que c’était le premier concert auquel elle assistait. C’est aussi ça, le métavers…»

Jean-Michel Jarre, Oxymore, distribué par Sony.

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