L’écrivain franco-algérien questionne l’identité algérienne promue par les autorités autour d’une arabité exclusive. Quand s’impose la trahison de ceux qui ont trahi.
La justice algérienne a délivré deux mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud. Il est soupçonné de «violation de la vie privée» par la justice après la plainte d’une rescapée d’un massacre commis pendant la décennie noire qu’a connue l’Algérie entre 1992 et 2002, succession de tueries par des groupes islamistes et, pour une partie, par des forces liées au pouvoir. Son récit figure dans le dernier roman de l’auteur, Houris (Gallimard, 2024) couronné par le prix Goncourt.
Ce que Kamel Daoud qualifie de «forme de persécution judiciaire» s’inscrit dans le contexte de l’extrême tension qui règne entre l’Algérie et la France, notamment après l’arrestation d’un autre écrivain franco-algérien, Boualem Sansal, et dans la lignée des relations compliquées entre l’auteur et son pays natal. C’est aux autorités de celui-ci que Kamel Daoud s’adresse dans Il faut parfois trahir (1).
«La trahison représente un élan vers l’universalité.»
Il y dénonce «cette arabité qui pèse sur les identités algériennes comme une aliénation. [Elle] se trouve au cœur des discours identitaires algériens, religieux et populistes d’aujourd’hui, et elle se trouve aussi au cœur de la fabrique du traître.» Il en donne pour illustration l’histoire emblématique du colonel Bendaoud, né en 1837, devenu militaire, ayant servi dans l’armée française, promu officier, et qui, malgré cette carrière brillante, s’est probablement suicidé en 1912. Du fait du sentiment antifrançais entretenu après l’indépendance, il est resté dans l’imaginaire de l’Algérien «l’indigène militaire traître», brocardé dans la formule «un Arabe reste un Arabe, même s’il s’appelle le colonel Bendaoud». Par ce culte de l’arabité, les autorités algériennes s’octroient «le droit de qualifier de traîtres ceux qui, avec du courage, envisagent la liberté, l’appel à la guérison et au dépassement du dolorisme postcolonial», fustige Kamel Daoud. Tout qui propage la culture occidentale est ainsi désigné ennemi à la patrie.
Le «non à la colonisation» s’est transformé en «non au monde entier». Au vu de cette évolution, Kamel Daoud trouve des vertus à la trahison, décide de trahir sans cesse ceux qui, en Algérie, l’ont trahi, et le clame avec brio parce que, dans ces conditions, «la trahison représente un élan vers l’universalité».
(1) Il faut parfois trahir, par Kamel Daoud, Tracts Gallimard, 64 p.