Certains ont attendu longtemps avant de parler de la survie dans le ghetto de Varsovie. © getty images

Comment assumer sa judéité face à l’antisémitisme

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’écrivain Mikolaj Grynberg raconte la difficulté de la transmission de la Shoah dans la Pologne de l’après-Seconde Guerre mondiale.

Qu’est-ce qu’être juif dans la Pologne de l’après-Seconde Guerre mondiale, sur cette terre qui a connu plusieurs vagues d’antisémitisme et que les nazis allemands avaient choisie pour mettre en œuvre une partie de la Shoah? Photographe et écrivain, Mikolaj Grynberg approche au plus près de cette réalité à travers 31 témoignages, d’amis ou d’anonymes, relatant des tranches de vie de l’époque communiste comme de la période contemporaine. Je voudrais leur demander pardon, mais ils ne sont plus là ouvre une réflexion sur la part indicible de l’Holocauste, sur la difficulté de la transmission, sur la revendication de l’identité juive et sur la profondeur de l’enracinement de l’antisémitisme.

Cet homme s’est forcé à ne jamais réagir aux propos antisémites pour cacher être juif.

L’extrême réticence de certains à évoquer ce qu’ils ont vécu dans le ghetto de Varsovie ou dans les camps d’extermination tient à ce contexte historique de haine du Juif et, aussi, à la limitation des libertés imposées par le régime communiste. Ici, une mère attend le moment de partir à la pension pour consentir à parler de sa judéité parce qu’«une fois à la retraite, […] on ne peut plus nous licencier, supprimer nos prestations sociales». Là, une autre saisit la déclaration de l’état de siège dans le pays, en 1981, par Wojciech Jaruzelski, général communiste alors au pouvoir, pour lâcher les vannes de ce qu’elle a vécu dans le ghetto et révéler à sa fille qu’elle y «avait adopté une souris et la nourrissait avec des miettes de pain que beaucoup de gens auraient été heureux de manger».

D’autres cacheront toute leur vie être juif, comme cet homme qui s’est forcé à ne jamais réagir aux propos antisémites avant d’avoir le besoin de «se sentir juif en présence de quelqu’un, ne serait-ce qu’un moment» ou, comme Mme Klementyna, qui a menti sur son origine et l’assassinat de toute sa famille à son mari, ses enfants, ses amis, continuant en quelque sorte «à se cacher alors que la guerre était finie».

Le poids de l’héritage de l’Holocauste est en soi difficile à assumer. Il l’est plus encore quand les nouvelles manifestations de l’antisémitisme reprennent droit de cité. Cette réalité est aussi présente, crue et choquante, dans les témoignages recueillis par l’auteur. Ainsi de ces frères entrepreneurs jalousés par leur voisinage pour leur réussite, suspectés d’être juifs, et «contraints» de réclamer au rabbin du coin une attestation de non-judéité. Pas morte, la «bête immonde».

Je voudrais leur demander pardon, mais ils ne sont plus là, par Mikolaj Grynberg, Actes Sud, 192 p.

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