«Un succès inédit»: comment le phénomène Boxho a dopé les ventes en librairie

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Près de 500 nouveaux livres arrivent sur les étagères à l’occasion de la rentrée littéraire. Les romans, surtout ceux qui connaissent un succès fulgurant, assurent aux éditeurs et aux libraires une relative stabilité.

Plutôt légiste ou femme de ménage? Les histoires de cadavres de l’un ne laissent pas de marbre tandis que les petits secrets de l’autre se dévorent dans les transports. Un point commun entre le Liégeois Philippe Boxho et la New-Yorkaise Freida McFadden est qu’ils sont tous deux médecins, un autre est qu’ils cartonnent sur le marché littéraire francophone (1,25 million d’exemplaires vendus pour le Belge, plus de quatre millions pour l’Américaine). Pas de quoi rivaliser avec l’indétrônable Harry Potter mais une percée fulgurante tout de même dans le monde de l’édition où la concurrence est féroce: 484 nouveaux romans occupent les présentoirs rien qu’en cette rentrée littéraire, plus de 500 si on y ajoute ceux des quelques éditeurs belges de littérature.

«Le succès de Philippe Boxho est inédit, observe Geoffroy Wolters, délégué général du Partenariat interprofessionnel du livre et de l’édition numérique (Pilen). Ce qui est marquant, c’est que cet engouement international perdure titre après titre. Par ailleurs, contrairement à la plupart des auteurs belges qui percent sur le marché et qui se font happer par les grandes éditions européennes, Philippe Boxho est resté fidèle à sa maison d’édition belge

La consécration du médecin légiste à l’humour grinçant, dont le quatrième ouvrage, La Mort c’est ma vie, est paru fin août, n’a pas seulement sauvé la maison d’édition Kennes de la faillite, elle a aussi musclé les chiffres d’affaires totaux des éditeurs belges francophones qui, en 2024, ont atteint les 333 millions d’euros (+ 0,6%), selon les analyses du Pilen et de l’association des éditeurs belges (Adeb). Sans ce petit coup de fouet, tant en ventes belges qu’à l’export, le bilan de la production éditoriale serait moins satisfaisant (- 1,5%) tout en restant au niveau des belles années 2021 et 2022, lorsque la pandémie avait aiguisé l’appétit du Belge pour la lecture.

Les chiffres pour l’année 2024 confirment par ailleurs la progression de la diffusion numérique entamée en 2021 (+ 3,5%), plus spécifiquement celle des livres scolaires (uniquement pour le marché néerlandophone) et juridiques. Mais également une perte significative, principalement à l’export, des livres jeunesse (- 14%) et de la BD (- 10%). «Les indicateurs montrent que les éditeurs belges maîtrisent leur production. Le nombre de titres édités croît de 6% mais reste inférieur aux chiffres de 2019, avec 2.835 nouveautés. La crise du Covid a fortement marqué notre secteur, surtout par une année 2021 euphorique suivie par une inflation inédite en 2022-2023. Cinq ans plus tard, les éditeurs belges ont, globalement, juste couvert l’inflation de 2019-2024», analysent le Pilen et l’Adeb.

«Les librairies qui ne vendent que des livres ont réalisé un travail de fond sur leur offre qui s’est avéré payant.»

Le roman, grand gagnant

Côté ventes, les librairies, enseignes multimédia, sites de vente en ligne et autres distributeurs ont également profité de cet effet d’aubaine produit par les best-sellers (268,2 millions d’euros de chiffre d’affaires, + 1,3%). Et plus largement de l’intérêt plus marqué en 2024 pour la littérature (le grand format en fiction et la new romance, notamment) dont les ventes sont en nette progression (+ 12,2%) en raison d’un effet combiné d’une hausse du nombre d’exemplaires vendus et d’une hausse des prix de vente. Actuellement, un livre vendu sur trois est un roman.

Se portent bien également: l’édition scolaire (+ 4,3%) et les ouvrages de sciences humaines et techniques (+ 2%), deux segments typiquement belges. Légère zone de turbulences, en revanche, pour la BD (- 6%) et le livre jeunesse (- 3,9%). «Le marché belge de la BD doit surtout son dynamisme à de grandes locomotives comme Astérix, précise Geoffroy Wolters. En revanche, le manga est à la peine et cherche à se renouveler. La sortie du nouvel album du Gaulois (NDLR: Astérix en Lusitanie, prévue le 23 octobre) permettra sans doute au secteur de reprendre du poil de la bête.»

Au premier semestre 2025, les ventes, dans les librairies indépendantes, ont progressé de 1,53% en chiffre d’affaires et de 0,84% en volume (par rapport au même semestre de 2024), indique l’Observatoire de la librairie belge francophone, constitué d’un panel d’une cinquantaine de librairies indépendantes. La différence entre le chiffre d’affaires et le volume s’explique, ici aussi, par la hausse du prix moyen du livre vendu, qui est de l’ordre de 0,9% depuis l’année dernière, soit bien en deçà de l’inflation.

Les tendances, par type d’ouvrages, sont identiques à celles relevées par le Pilen: la littérature grignote 32,50% du chiffre d’affaires, la BD 18,63% et le secteur jeunesse 14,93%. Le chiffre d’affaires en littérature et en jeunesse progresse de l’ordre de 5% en chiffre d’affaires tandis que celui de la BD est stable.

Le francophone aime son libraire

A ce jour, parmi les meilleures ventes de 2025, c’est Résister, le dernier essai de Salomé Saqué (Payot) sur les mécanismes et les dangers de la montée de l’extrême droite, qui caracole en tête des ventes chez les libraires indépendants en Belgique, suivi par le thriller psychologique La Femme de ménage (éd. J’ai lu) de Freida McFadden, qui se paie le luxe d’occuper également la troisième place avec le tome 2 de la série, Les Secrets de la femme de ménage (éd. J’ai lu). L’Américaine occupe également le bas du Top 10 (*) avec La Psy (8e position), toujours chez le même éditeur, et La Femme de ménage se marie (éd. City, 10e position).

En 2024, le lecteur a sensiblement modifié ses habitudes d’achat. Les ventes directes et en grandes surfaces alimentaires s’essoufflent (- 5,8% et – 6,1%). A contrario, les stocks diminuent plus rapidement dans les enseignes multimédia/Internet (Amazon, Fnac, Club, etc., + 1,6%) et dans les librairies, spécialisées ou non. «Les librairies qui ne vendent que des livres ont réalisé un travail de fond sur leur offre qui s’est avéré payant (+ 4,1%). La raison pour laquelle elles enregistrent une belle performance est qu’elles répondent à une réelle demande. Un phénomène qui ne s’observe que dans la partie francophone du pays et qui montre que le lecteur francophone témoigne d’un réel attachement à son libraire.» Et qu’il apprécie ses conseils lecture éclairés.

(*) Chiffres de l’Observatoire de la librairie, panel constitué d’une cinquantaine de librairies indépendantes en Belgique francophone.

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