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L’histoire de la gaufre et ses particularités régionales

Le Vif

Durant l’été, Le Vif plonge dans l’histoire de notre patrimoine gourmand. Cette semaine, place à cette bonne pâte quadrillée qui nécessite, en gros, un peu de farine, des œufs, du lait, du beurre et un gaufrier.

C’est une bonne pâte qui concentre l’essence même du mille-feuille fédéral belge: chez nous, la gaufre est de Bruxelles, de Liège, voire des Flandres, il ne faudrait surtout pas confondre. Elles n’ont en commun que le parfum de l’enfance et les souvenirs qui les accompagnent. Pour le reste, elles jouent les particularités régionales. La première est parfaitement rectangulaire, aérienne, garnie de sucre impalpable et se mange proprement avec des couverts. La deuxième est plus petite, au sucre perlé, colle aux doigts et se dévore debout, devant un food truck ou même en marchant. La troisième est archifine, a la forme d’un cœur et se déguste essentiellement chez Marie Siska, à Knokke, après une virée en cuistax.

Gaufre capitale

La gaufre de Bruxelles a les honneurs de ce Palais royal, car elle est la plus ancienne, la plus rare, la plus bourlingueuse ; elle coche toutes les cases. Elle devance en âge sa concurrente liégeoise qui aurait été inventée au XVIIIe siècle par le cuisinier du prince-évêque de la Cité ardente, sommé de créer quelque chose de «savoureux et sucré». Pour preuve historique, il suffira de regarder à la loupe le tableau de Pieter Brueghel l’ Ancien, Le Combat de carnaval et carême (1559). Dans le coin inférieur droit, trois gaufres rectangulaires servent de coiffe à un joyeux drille tandis qu’un peu plus haut, une femme porte sur la tête un plateau garni de ce mets qui se mange les jours de fête et de prière. De génération en génération, la recette se transmet oralement, jusqu’à cet an de grâce 1874 où Philippe Edouard Cauderlier, traiteur, charcutier et restaurateur, la retranscrit enfin dans sa bible, La Pâtisserie et les confitures.

S’il y a bien un produit identitaire, c’est la gaufre de Bruxelles. On a tous grandi avec une gaufre.

Voyage voyage

En 1964, la gaufre de Bruxelles prend le transatlantique. Maurice Vermersch, restaurateur, a eu une idée de génie: il exporte la recette à la Foire internationale de New York, lui ajoute une couche de fraises, la nappe de chantilly et la baptise «Belgian Waffle». Elle y fait un malheur. «Elle a eu du succès pour de nombreuses raisons, analyse Francisco Migoya, l’un des meilleurs pâtissiers américains, chef de l’équipe de Modernist Cuisine et coauteur de Modernist Pizza (NDLR:à paraître en septembre prochain). Mais j’imagine surtout que l’arôme de leur cuisson était irrésistible et remplissait probablement la pièce. Je trouve intéressant qu’il ait fallu changer le nom de la gaufre de Bruxelles pour celui de gaufre belge, dans l’hypothèse, peut-être vraie, où certains Américains ne sauraient pas où se trouve Bruxelles. Mais c’est surprenant, car il s’agissait après tout d’une exposition universelle, pas d’une foire de petite ville.»

Le hic? La gaufre rentre à la maison ainsi liftée. Scandale, disent les puristes. D’autant que la version états-unienne dégoulinante a pratiquement bouffé son ancêtre si sobre et squatte désormais les cartes dans tout l’Ilot sacré bruxellois. Or, on ne devrait pas rigoler avec la qualité: «C’est une gaufre qui doit spécifiquement être faite avec de la levure comme agent levant afin de produire sa saveur et son arôme distinctifs de pâte fermentée qui la rendent si spéciale, précise le célèbre pâtissier. Sa texture de surface est croustillante, grâce à la cuisson dans un gaufrier, mais toujours chaude, humide et douce à l’intérieur.»

Aujourd’hui, fort heureusement, la voici sauvée. Dans sa version salée, on la retrouve chez les plus grands. Celle du chef Yves Mattagne est, par la force des choses, doublement étoilée – il la sert depuis longtemps en guise de mise en bouche. Et en une recette dont il a le secret, il l’a déclinée pour Gaufres & Waffles, joliment installé dans la Galerie du Roi, au centre de Bruxelles. Son fils Sébastien (les chiens ne font pas des chats), Michael Chiche et David Ghysels ont en effet décidé d’y décoiffer le rectangle désirable. «S’il y a bien un produit identitaire, c’est la gaufre de Bruxelles, connue dans le monde entier, résume Michael Chiche. On a tous grandi avec une gaufre.» Elle se mange ici sans couverts, mais sans renier ses racines: de la farine, du beurre, du lait et des œufs frais, un gaufrier sur mesure. Pour le reste, si elle se farcit au choix, sucré ou salé, elle mesure toujours trois centimètres de hauteur à vue de nez, est légère et croustillante, cuite minute et mangée minute. C’est jour de fête.

La version revisitée de…

En octobre 2019, Marla et Robert, gourmets français passés par l’Horeca bruxellois, ouvraient à Saint-Gilles leur lieu baptisé Pardon. Au menu monomaniaque: le délicieux rectangle «dans sa forme la plus simple mais aussi dans des versions originales, voire décadentes». Ils connaissaient le goût des gaufres pour en avoir mangé quand ils étaient petits. «J’ai grandi avec les gaufres, raconte Robert. Chez nous, on l’appelle la gaufre foraine ou lorraine. Nous avons un gros bagage culinaire en commun avec la Belgique…» Pour retrouver l’exacte texture-souvenir d’enfance, il fallait une «recette authentique, généreuse. On voulait que ce soit goûtu, croustillant à l’extérieur et fondant à l’intérieur.» Ils testent les préceptes de Cauderlier, verdict: «trop riche». Ils divisent alors par deux le nombre d’œufs, bio évidemment. N’y ajoutent surtout pas de sucre: «Il n’y en a pas dans la pâte d’origine, l’impalpable suffit largement.» Privilégient le beurre frais et la farine belge, pour l’ancrage local. «On présente la gaufre nue, avec les accompagnements à côté, pour des raisons esthétiques ; on ne voulait pas la considérer comme une tartine et on n’aime pas le côté fast food où l’on mange tout en une fois.» Le truc en plus? Les différents fourrages – pistaches, cacao, noisettes, amandes, raisins secs, fruits rouges, selon la saison… «On est les seuls à faire ça. Cela permet d’avoir des gaufres un peu folles mais sans un tas d’accompagnements dessus…» On dit merci Pardon.

Pardon, 36 rue de Moscou, à Bruxelles.

Retrouvez la recette sur levifweekend.be

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