Baudouin de Belgique arrivant à Léopoldville pour la transmission des pouvoirs lors de l'indépendance du Congo belge. © iStock

C’était il y a 60 ans: le discours de Baudouin pour l’indépendance du Congo

Le 30 juin 1960, le Roi Baudouin se rend à Léopoldville pour la transmission des pouvoirs lors de l’indépendance du Congo belge. « C’est à vous qu’il appartient maintenant de démontrer que nous avons eu raison de vous faire confiance. »

Cet article vous est offert par la rédaction du Vif/L’Express. Il est issu du hors-série de 200 pages que Le Vif/L’Express consacre à l’histoire, l’actualité et l’avenir de la République démocratique du Congo: CONGO, 60 ans d’indépendance. Des siècles de splendeurs et de ténèbres. En vente actuellement en librairie.

 » Monsieur le Président,

Messieurs,

L’indépendance du Congo constitue l’aboutissement de l’oeuvre conçue par le roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique. Elle marque une heure décisive dans les destinées non seulement du Congo lui-même, mais je n’hésite pas à l’affirmer, de l’Afrique tout entière.

Pendant 80 ans, la Belgique a envoyé sur votre sol les meilleurs de ses fils, d’abord pour délivrer le bassin du Congo de l’odieux trafic esclavagiste qui décimait ses populations ; ensuite pour rapprocher les unes des autres les ethnies qui, jadis ennemies, s’apprêtent à constituer ensemble le plus grand des Etats indépendants d’Afrique ; enfin pour appeler à une vie plus heureuse les diverses régions du Congo que vous représentez ici, unies en un même Parlement.

En ce moment historique, notre pensée à tous doit se tourner vers les pionniers de l’émancipation africaine et vers ceux, qui après eux, ont fait du Congo ce qu’il est aujourd’hui. Ils méritent à la fois NOTRE admiration et VOTRE reconnaissance, car ce sont eux qui, consacrant tous leurs efforts et même leur vie à un grand idéal, vous ont apporté la paix et ont enrichi votre patrimoine moral et matériel. Il faut que jamais ils ne soient oubliés, ni par la Belgique, ni par le Congo.

Lorsque Léopold II a entrepris la grande oeuvre qui trouve aujourd’hui son couronnement, il ne s’est pas présenté à vous en conquérant mais en civilisateur.

Le Congo, dès sa fondation, a ouvert ses frontières au trafic international, sans que jamais la Belgique y ait exercé un monopole institué dans son intérêt exclusif. […]

Nous sommes heureux d’avoir donné au Congo, malgré les plus grandes difficultés, les éléments indispensables à l’armature d’un pays en marche sur la voie du développement.

Le grand mouvement d’indépendance qui entraîne toute l’Afrique a trouvé, auprès des pouvoirs belges, la plus large compréhension. En face du désir unanime de vos populations, nous n’avons pas hésité à vous reconnaître, dès à présent, cette indépendance.

C’est à vous, Messieurs, qu’il appartient maintenant de démontrer que nous avons eu raison de vous faire confiance.

Dorénavant, la Belgique et le Congo se trouvent côte à côte, comme deux Etats souverains, mais liés par l’amitié et décidés à s’entraider. Aussi, nous remettons aujourd’hui entre vos mains tous les services administratifs, économiques, techniques et sociaux ainsi que l’organisation judiciaire, sans lesquels un Etat moderne n’est pas viable. Les agents belges sont prêts à vous apporter une collaboration loyale et éclairée.

Votre tâche est immense et vous êtes les premiers à vous en rendre compte. Les dangers principaux qui vous menacent sont : l’inexpérience des populations à se gouverner, les luttes tribales qui, jadis, ont fait de mal et qui, à aucun prix, ne doivent reprendre, l’attraction que peuvent exercer sur certaines régions des puissances étrangères, prêtes à profiter de la moindre défaillance. Vos dirigeants connaîtront la tâche difficile de gouverner. Il leur faudra mettre au premier plan de leurs préoccupations, quel que soit le parti auquel ils appartiennent, les intérêts généraux du pays. Ils devront apprendre au peuple congolais que l’indépendance ne se réalise pas par la satisfaction immédiate des jouissances faciles, mais par le travail, par le respect de la liberté d’autrui et des droits de la minorité, par la tolérance et l’ordre, sans lesquels aucun régime démocratique ne peut subsister.

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Je tiens à rendre ici un particulier hommage à la Force Publique qui a accompli sa lourde mission avec un courage et un dévouement sans défaillance. L’indépendance nécessitera de tous des efforts et des sacrifices. Il faudra adapter les institutions à vos conceptions et à vos besoins, de manière à les rendre stables et équilibrées. Il faudra aussi former des cadres administratifs expérimentés, intensifier la formation intellectuelle et morale de la population, maintenir la stabilité de la monnaie, sauvegarder et développer vos organisations économiques, sociales et financières. Ne compromettez pas l’avenir par des réformes hâtives, et ne remplacez pas les organismes que vous remet la Belgique, tant que vous n’êtes pas certains de pouvoir faire mieux.

Entretenez avec vigilance l’activité des services médicaux dont l’interruption aurait des conséquences désastreuses et ferait réapparaître des maladies que nous avions réussi à supprimer. Veillez aussi sur l’oeuvre scientifique qui constitue pour vous un patrimoine intellectuel inestimable. N’oubliez pas qu’une justice sereine et indépendante est un facteur de paix sociale ; la garantie du respect du droit de chacun confère à un Etat dans l’opinion internationale, une grande autorité morale.

N’ayez crainte de vous tourner vers nous. Nous sommes prêts à rester à vos côtés pour vous aider de nos conseils, pour former avec vous les techniciens et les fonctionnaires dont vous aurez besoin.

L’Afrique et l’Europe se complètent mutuellement et sont appelées en coopérant au plus brillant essor. Le Congo et la Belgique peuvent jouer un rôle de première grandeur par une collaboration constructive et féconde, dans la confiance réciproque.

Messieurs,

Le monde entier a les yeux fixés sur vous. A l’heure où le Congo choisit souverainement son style de vie, je souhaite que le peuple congolais conserve et développe le patrimoine des valeurs spirituelles, morales et religieuses qui nous est commun et qui transcende les vicissitudes politiques et les différences de race ou de frontière.

Restez unis, et vous saurez vous montrer dignes du grand rôle que vous êtes appelés à jouer dans l’histoire de l’Afrique.

Peuple congolais,

Mon pays et moi-même reconnaissons avec joie et émotion que le Congo accède ce 30 juin 1960, en plein accord et amitié avec la Belgique, à l’indépendance et à la souveraineté internationale. Que Dieu protège le Congo ! « 

Le même jours, Patrice Lumumba prend la parole. Il est alors Premier ministre du Congo. Retrouvez son discours ici..

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