Henri Goldman

Wallonie : une alliance PS-PTB-Ecolo est-elle possible ?

Henri Goldman rédacteur en chef de Politique, revue belge d’analyse et de débat

Donne politique inédite en Wallonie : son tout frais gouvernement de «  centre-droit  » serait, selon les sondages, très nettement minoritaire, tandis que les trois partis qu’on situe généralement à gauche – le PS, le PTB et Écolo – disposeraient ensemble d’une confortable majorité.

Du coup, cette perspective donne des idées à la FGTB wallonne qui part en campagne pour qu’une telle majorité voie le jour après les élections de juin 2019. Pour Thierry Bodson, son secrétaire général, « les partis de gauche doivent s’entendre sur certaines priorités qui les rassemblent et arrêter de se focaliser sur ce qui les divise « , ajoutant que « si arithmétiquement c’est possible, les travailleurs ne comprendraient pas que ces trois partis ne s’entendent pas pour former une telle majorité.« 

L’argument est solide. Même si un gouvernement – a fortiori un gouvernement régional – ne dispose que d’un pouvoir limité face aux forces de la finance et aux contraintes européennes d’inspiration néolibérale, un gouvernement de gauche pourrait donner des impulsions très différentes qu’un gouvernement composé sur le modèle des précédents.

L’annonce d’une possible majorité parlementaire de gauche en Wallonie confirme cette région dans son statut d’exception européenne. Alors que, chez tous nos voisins, la gauche, toutes tendances additionnées, est en recul, la Wallonie affirme un tropisme progressiste qui ne se dément pas depuis au moins un demi-siècle. Ici, le recul historique de la social-démocratie gonfle les voiles de la gauche radicale et non celles de formations nationales-populistes qui prospèrent partout en Europe. Ici aussi, un parti écologiste qu’on ne peut soupçonner d’être à la botte des lobbies financiers maintient des scores à deux chiffres introuvables ailleurs.

Et pourtant, la proposition de la FGTB embarrasse tout le monde. Aucun des trois partis sollicités ne semble y accorder le moindre crédit. Au PS, l’alliance obligée par l’arithmétique électorale avec l’un ou l’autre parti situé plus à droite a toujours servi d’alibi confortable pour ne pas respecter son propre programme. Pour sa part, Écolo tient absolument à préserver sa « liberté politique » en ne s’enfermant pas dans un seul type de formule, pour ne pas perdre sa capacité de négocier avec un peu tout le monde. Quant au PTB, il perçoit cette offre comme un piège, car à ses yeux les conditions ne sont pas réunies pour qu’un tel gouvernement puisse mener des politiques substantiellement différentes de celles des précédents. En passant, on relèvera les arguments en miroir utilisés pour déconsidérer la proposition de la FGTB : pour Peter Mertens, le président du PTB, « le PS et Écolo n’ont encore jamais dit qu’ils étaient prêts à former un gouvernement qui voulait entrer en confrontation avec l’ensemble des dogmes libéraux de la Commission européenne » ; pour les deux autres partis, le PTB s’exclut lui-même en refusant par principe de participer à l’exercice du pouvoir. Fermez le ban ?

Ce serait dommage. Dans la mesure où un gouvernement wallon « vraiment de gauche », ce serait autre chose qu’un gouvernement wallon « vraiment de droite », ça vaudrait au moins le coup d’en tester la possibilité sans s’enfermer par avance dans des caricatures. Car des caricatures, il y en a. Décrire le PTB comme des vilains communistes, avec tout ce que ce terme est supposé charrier d’effrayant, ce n’est pas sérieux. Rien dans le programme de ce parti n’évoque la grève insurrectionnelle ou la dictature du prolétariat. Reprocher encore aujourd’hui à Écolo d’avoir, en 2013, avalisé le pacte budgétaire européen (TSCG) constitutionnalisant l’austérité néglige le fait que, entre-temps, la direction de ce parti a changé et que plusieurs de ses responsables actuels s’étaient à l’époque opposés à cette décision. Quant au PS, il est en ce moment dans une telle séquence de « football-panique » qu’il ne peut se permettre de faire campagne « comme si de rien n’était ». Premier indice : les 123 propositions, devenues 170, issues de son « chantier des idées » sont la compilation de toutes les idées progressistes qui circulent. Le PS se déclare désormais « écosocialiste » comme Mélenchon, fait son autocritique sur la pénalisation des chômeurs mise en place par le gouvernement Di Rupo, parle d’abroger le TSCG et se prononce en faveur de la réduction collective du temps de travail avec embauche compensatoire et sans perte de salaire… Enfin, on trouve des militant·e·s des trois partis dans les mêmes syndicats et dans les mêmes associations de la société civile qui, toutes, espèrent un changement de cap politique et une rupture avec la tambouille sociale-libérale dans laquelle la « gauche de gouvernement » s’est beaucoup trop compromise.

Bref, de tous les côtés, les lignes bougent. Mais sans doute pas suffisamment pour qu’une discussion puisse aboutir à un protocole d’accord. Il y a trop de méfiance, héritée d’un passé proche, et trop de concurrence légitime induite par la compétition électorale qui s’annonce. Ce n’est pas une raison pour camper sur ses positions. Il n’y a pas d’obligation de résultat, mais il y a une obligation morale de débattre sans s’éviter devant le « peuple de gauche » qui n’a pas beaucoup d’occasions de se réjouir aujourd’hui. À 18 mois des échéances électorales, cela n’aurait aucun sens de bricoler un accord de gouvernement dans la coulisse. Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est une confrontation ouverte et publique sur un agenda négocié. Quelle qu’en soit l’issue, cela sera au minimum un bel exercice de pédagogie politique. Pour le reste, rendez-vous en juin 2019.

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