Carte blanche

Une sacrée paire invite Bettina Zourli: on ne naît pas mère, on le devient – ou pas… (chronique)

Durant six numéros, ces chroniques estivales s’ouvrent à d’autres plumes et d’autres points de vue, pour d’autant mieux questionner les inégalités de genre au sein de la société. Après la militante Bettina Zourli dans ce troisième épisode, retrouvez le 5 août Victoria Defraigne, qui évoquera les transidentités.

On a encore trop tendance à penser que regretter d’avoir mis au monde un être humain ne peut exister. Pourtant, Le Regret d’être mère (éd. Odile Jacobs, 2019), étude menée par la sociologue israélienne Orna Donath, ainsi que les centaines de témoignages de parents anonymes publiés sur la Toile depuis, prouvent le contraire, tout comme un sondage publié par RTL-iVox en 2012, qui confirmait que 13% des parents regrettaient leur choix.

On a toujours martelé que l’instinct maternel est plus fort que tout, que l’horloge biologique est le lot de TOUTES les personnes dotées d’un utérus, mais aussi que donner la vie biologiquement est le seul et unique acte qui confirme la valeur des personnes perçues comme femmes. Autant de croyances qui tendent à rendre persistante l’idée selon laquelle une femme serait faite pour être mère, qu’elle aurait d’emblée les clés pour prendre soin d’un enfant, et qu’elle n’aurait donc pas besoin de préparation particulière puisqu’elle aurait « ça dans le sang ».

A titre personnel, je milite activement pour la responsabilisation de la parentalité. Qu’entends-je par là? Je suis en faveur d’un vrai parcours de parentalité, qui permette à toutes les personnes de se demander réellement si elles ont envie d’un enfant.

En effet, encore en 2021, la famille, les ami(e)s, les collègues, la société: tout nous encourage à embrasser corps et âme le modèle de la famille nucléaire composée de papa, maman et, idéalement, deux enfants. A tel point qu’on ne se pose pas assez la question, qu’on ne se demande jamais vraiment si on en a réellement envie.

A l’inverse, les personnes qui, comme moi, désirent ne pas être parents, doivent généralement répondre à un « pourquoi? » inquisiteur. Souvent accompagné d’un « tu changeras d’avis », « tu es encore jeune », ou encore « mais toutes les femmes veulent des enfants, enfin! ». J’ai longtemps mal réagi lorsqu’on me posait cette question, rarement bienveillante: aujourd’hui, je me permets de demander à tous les parents pourquoi, eux aussi, ont voulu faire des enfants, afin de mettre en lumière le manque de réflexion portée sur le sujet.

Afin, également, qu’on puisse enfin imaginer des conférences, des ateliers, des lieux autres que les maternités, pour réfléchir à sa capacité, son besoin, son envie de fonder une famille classique, et qu’on puisse ainsi limiter le nombre de bébés pansements, de bébés convenances sociales, de bébés erreurs.

Car la famille, ce n’est pas inné. C’est un modèle construit socialement, qui répond à des besoins économiques et politiques. Avoir un enfant n’est pas le seul moyen de réussir sa vie.

Mais aussi parce qu’il est temps de réfléchir au statut de mère, sérieusement. D’un côté, on encense la parentalité et, comme j’ai pu l’entendre à mon égard à plusieurs reprises, on considère « qu’une femme n’est pas complète tant qu’elle n’est pas mère »: on rabaisse les femmes qui décident de ne pas le devenir, on fait bien comprendre aux personnes qui ont un utérus que leur ultime salut est d’enfanter (et par voie basse, de préférence, les injonctions sont nombreuses!).

De l’autre, on sait qu’avoir un enfant, quand on est une femme, c’est se voir refuser des promotions, être mise au placard « parce qu’une femme, c’est auprès de ses enfants qu’elle doit être le soir », c’est aussi se précariser parfois: en Belgique, 42,5% des femmes salariées le sont à temps partiel et, parmi elles, 24% ont dû adapter leur travail pour garder leurs enfants. A l’inverse, seulement 11% des hommes salariés ne travaillent pas à temps plein. C’est parfois perdre complètement son identité, parce qu’on est devenue, aux yeux de la société ou dans son couple, une mère seulement, et parce qu’une mère doit se sacrifier pour ses enfants, pour être perçue comme une bonne mère.

Dans le livre d’Orna Donath , on peut lire des discours frappants: les femmes qui ont témoigné ne regrettent pas leurs enfants, elles regrettent ce qu’implique sociétalement, professionnellement ou personnellement, le statut de mère de famille.

C’est parfaitement entendable et, surtout, il est impératif d’écouter ce discours pour offrir une meilleure considération des femmes qui éduquent, encore et toujours, gratuitement les adultes de demain, sans rétribution aucune. Mais aussi pour considérer que la parentalité doit être réfléchie, pour devenir, enfin, un vrai choix.

Bettina Zourli

Elle ne souhaite pas devenir mère. Et alors? Alors, Bettina Zourli en a eu marre de subir des remarques plus condescendantes et désobligeantes les unes que les autres (genre: quelle égoïste, tu changeras forcément d’avis, tu vas finir ta vie seule, pense à ceux qui ne peuvent pas en avoir, etc.). Elle a donc décidé d’écrire un blog, puis un livre, Childfree (éd. Spinelle), en 2019, ainsi qu’ouvrir un compte Instagram dans la foulée, « Je ne veux pas d’enfant », qui compte aujourd’hui plus de 26 500 abonnés et sur lequel la Française de 29 ans aborde de nombreuses autres thématiques en lien avec le droit des femmes et la déconstruction du patriarcat, de l’envoi de nudes à la précarité menstruelle . Elle vient d’ailleurs de publier un ouvrage sur le sujet, Sang honte (éd. Kiwi).

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