« Un roi triste », l’avortement, les « petits papiers »: il y a 30 ans que Baudouin est décédé
Le 31 juillet 1993, le cinquième roi des Belges mourait dans sa résidence royale espagnole suite à un arrêt cardiaque, à l’âge de 62 ans.
Samedi 31 juillet 1993. Vers 20h, le chef de cabinet Jacques van Ypersele de Strihou informe le Premier ministre de l’époque, Jean-Luc Dehaene, du décès de Baudouin. Vers minuit, l’agence de presse espagnole EFE publie un bulletin : « Selon des sources diplomatiques, le roi des Belges est décédé à Motril vers 22 heures ». À minuit, le conseil des ministres se réunit en urgence. Le premier ministre y annonce le décès du roi. Lors de cette séance d’urgence, il a été établi que le successeur constitutionnel était le prince Albert. Le Premier ministre Dehaene, le chef de cabinet et le ministre de la Justice partent alors immédiatement pour Motril, où ils doivent constater officiellement le décès du roi.
« Ceux qui l’ont connu se souviendront de son sourire »
Le roi Philippe
De retour en Belgique, le Premier ministre Dehaene s’adresse au peuple et annonce de manière inattendue « le regroupement autour du successeur constitutionnel de Baudouin, le prince Albert », 59 ans et frère du monarque défunt. En effet, dans les mois qui ont précédé la mort de Baudouin, des rumeurs ont circulé selon lesquelles le prince Philippe, fils aîné d’Albert, alors âgé de 33 ans, monterait un jour sur le trône à la suite de Baudouin.
Le gouvernement annonce un deuil national qui durerait jusqu’au jour des funérailles. Les drapeaux ont été mis en berne dans de nombreux endroits en Belgique. Tous les médias ont modifié leurs programmes pour marquer le décès. Dans la nuit de dimanche à lundi, la reine Fabiola et le futur roi rentrent en Belgique avec la dépouille mortelle du roi Baudouin.
Le dernier hommage au roi Baudouin
Le lendemain, des milliers de personnes se sont rassemblées devant les portes du château de Laeken. Le corps a ensuite été exposé au palais royal de Bruxelles. Une fois de plus, des dizaines de milliers de personnes sont descendues à Bruxelles pour lui rendre un dernier hommage.
Le samedi 7 août, jour où Baudouin aurait fêté son 63e anniversaire, les funérailles ont eu lieu dans la cathédrale Saint-Michel et Sainte-Gudule. De nombreux chefs d’État et de gouvernement lui ont rendu personnellement un dernier hommage. La dépouille du roi fut ensuite inhumée dans la crypte de Laeken, à côté de ses prédécesseurs. Deux jours plus tard, le 9 août, Albert prête serment comme sixième roi des Belges devant la Chambre et le Sénat réunis.
La polémique autour de l’avortement
Baudouin est monté sur le trône à l’âge de 21 ans, suite à l’abdication de son père Léopold III. Ce dernier avait dû abdiquer suite à son attitude pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre de la « Question royale ». Baudouin avait l’image d’un « roi triste ». « En privé, il pouvait être joyeux, avoir le sens de l’humour, confiait au Vif en 2018 Jacques van Ypersele de Strihou, son ancien chef de cabinet. Mais en public, il avait une grande réserve, une certaine pudeur aussi, en raison de son histoire personnelle. Il restait surtout d’une grande prudence. C’est une question de tempérament et une conséquence des conditions de son accession au trône. »
Mais il avait réussi à rallier une grande partie de la Belgique derrière lui grâce à son humanité et à son engagement social. « Outre la pauvreté et la précarité, la question de la traite des êtres humains l’a vivement interpellé », racontait Jacques van Ypersele de Strihou.
Son mariage en 1960 avec Fabiola de Mora y Aragón a également changé l’image du monarque. Bien que le couple royal ne puisse pas avoir d’enfants, il continue à vivre proche de sa famille et invite régulièrement ses neveux et nièces à Laeken. Le monarque éduque particulièrement son neveu Philippe, qu’il considère comme un successeur naturel, bien que son frère Albert soit l’héritier constitutionnel du trône.
« Le roi Baudouin ne supportait pas que l’on parle de son image, confiait Jacques van Ypersele de Strihou en 2018. Ce mot ‘image’ le hérissait. Quand ses conseillers lui suggéraient d’utiliser la télévision pour soigner sa popularité, il se rebellait. Il était totalement allergique à tout ce qui touchait au paraître. La perception que les médias avaient de lui le laissait complètement indifférent. »
Cependant, son règne de quatre décennies ne s’est pas déroulé sans heurts. Son discours lors de l’indépendance du Congo en 1960 et sa réaction à la réplique du Premier ministre Patrice Lumumba ont donné lieu à des débats houleux. Trente ans plus tard, le roi Baudouin provoque une crise politique sans précédent en Belgique en refusant d’approuver la loi sur l’avortement. Par le biais d’une diversion juridique, il a été décidé que le roi était en « incapacité de fait de gouverner » pendant deux jours, ce qui a permis au conseil des ministres d’approuver la loi.
Baudouin, « un exemple pour beaucoup »
Exprimant son appréciation pour les réalisations et le caractère de son oncle, le roi Philippe a rendu hommage à Baudouin dans son discours du 21 juillet de cette année. « Ceux qui l’ont connu se souviendront de son sourire, de son regard et de sa poignée de main confiante », a déclaré le monarque belge. Il a parlé de Baudouin comme d’un « exemple pour beaucoup ».
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Pour marquer le 30e anniversaire de la mort du roi, la crypte royale sera exceptionnellement ouverte entre 14 et 17 heures lundi. Le décès sera également commémoré à Motril. Une eucharistie sera célébrée dimanche dans l’église de la ville espagnole par l’archevêque de Grenade. Lundi, un mémorial au roi Baudouin sera inauguré dans la résidence où Baudouin et Fabiola ont passé leurs vacances d’été.
Un roi « médecin »
En 2018, lors d’une interview accordée au Vif à l’occasion des 25 ans du décès de Baudouin, son ancien chef de cabinet Jacques van Ypersele de Strihou racontant cette anecdote amusante : « A ceux qui lui semblaient sukkeler, être mal en point, il conseillait de prendre un médicament et précisait lequel. Car ses propres ennuis de santé l’ont conduit à rencontrer de nombreux médecins et à acquérir des connaissances en médecine. Grand joueur de golf et de tennis dans sa jeunesse, il ne faisait plus beaucoup de sport à l’époque où je suis devenu son chef de cabinet, à cause de ses douleurs au dos. Il lui restait la marche, qu’il pratiquait régulièrement dans le parc du palais de Laeken et au domaine royal de Ciergnon. A bon nombre de ses visiteurs, qu’ils soient ministres ou membres de son entourage, il remettait un petit bout de papier sur lequel il avait griffonné le nom d’un médicament. Et il leur disait : » Vous devriez prendre cela. » Souvent, en rentrant chez moi, je disais à ma femme : » J’ai reçu ma prescription ! » »