La Porte d'Ulysse © IDAgency

Un centre d’accueil de migrants sème la discorde à Bruxelles

Erik Raspoet Journaliste Knack

Capable d’accueillir 350 migrants, la Porte d’Ulysse, à Bruxelles, est pleine à craquer chaque nuit. Mais l’avenir de ce centre d’accueil ne tient qu’à un fil.

Le portier du centre d’accueil est implacable pour le visiteur irakien. Il n’entrera pas aujourd’hui : son quota de 15 jours par mois est épuisé. « Nous n’avons que 350 lits « , déclare Mehdi Kassou, coordinateur de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés. « Le nombre de transmigrants à Bruxelles est estimé à 800. Cela nous oblige à utiliser un système de tour de rôle. Mais celui qui reste sur la touche ici ne doit pas nécessairement dormir dehors. Nous avons encore neuf petites maisons de 5 à 25 lits à Bruxelles et en Wallonie ».

La Plate-forme citoyenne, née de la crise des réfugiés de 2015, est un phénomène. Déjà 9000 familles ont hébergé des réfugiés pour une ou plusieurs nuits. Elles le font principalement à Bruxelles et en Wallonie. La Flandre représente environ 20 % des nuitées, avec des concentrations à Anvers, Gand et dans le Brabant flamand. D’un collectif de bénévoles, la Plate-forme des citoyens est devenue une ONG mature avec quarante employés rémunérés et des centaines de bénévoles.

On investit beaucoup de main-d’oeuvre dans ce que l’on appelle le hub humanitaire du quartier de la gare du Nord. Les migrants peuvent y obtenir une assistance médicale et psychosociale, des vêtements propres, du wifi et des points de recharge pour les téléphones portables. Mais l’opération de loin la plus importante est le centre d’accueil de La Porte d’Ulysse, installé dans le complexe Blue Star, une tour de bureaux délabrée. Plus pour longtemps : le complexe est transformé par la Région de Bruxelles-Capitale en Brusafe, un centre de formation pour les services de sécurité tels que la police, les pompiers et l’assistance médicale. Fin mars, les réfugiés doivent partir.

À la dernière minute, après de difficiles négociations entre le gouvernement bruxellois et la municipalité de Schaerbeek, un autre emplacement a été trouvé. La semaine prochaine, La Porte d’Ulysse s’installera dans les locaux vacants de la chaîne de télévision BeTV, sur la Chaussée de Louvain.

Rêve anglais

La Plate-forme citoyenne ne doit pas se plaindre d’un manque de soutien politique. En novembre dernier, le nouveau gouvernement bruxellois, une coalition composée du PS-SP.A (one.brussels), d’Ecolo-Groen, d’Open VLD et de Défi, a approuvé une note stratégique sur la transmigration. 2,6 millions d’euros seront alloués pour assurer la pérennité du centre d’accueil jusqu’à la fin de l’année 2020. Un million supplémentaire a été affecté au hub humanitaire. L’intention de créer à terme un centre d’accueil et d’orientation pour les migrants est frappante. De cette manière, le gouvernement répond à une vieille demande des ONG de s’attaquer de manière créative à un problème épineux.

Contrairement aux demandeurs d’asile, les transmigrants n’aspirent pas à un statut de protection et de résidence belge. Ils attendent une occasion pour se rendre au Royaume-Uni. Légalement, ils n’ont donc pas accès à l’accueil de Fedasil. Cependant, ils risquent d’être arrêtés et expulsés vers l’État membre de l’UE responsable de leur demande d’asile en vertu du règlement de Dublin ou vers leur pays d’origine. Ces deux options sont généralement impossibles à mettre en pratique. Les migrants se retrouvent ainsi dans une zone de tolérance précaire, ce qui entraîne des situations de détresse et des difficultés.

Les ONG estiment qu’il faut offrir aux migrants un refuge humain où ils reçoivent des informations honnêtes sur leurs droits et leurs perspectives, en plus d’être logés, nourris, blanchis et soignés. Libérés de la lutte de survie dans les rues, beaucoup en viendront à réaliser que le rêve anglais est une illusion, et qu’il serait préférable pour eux de demander l’asile dans notre pays, de se conformer aux règles de Dublin, ou d’opter pour un retour volontaire assisté dans leur pays. « C’est ainsi que la France a fermé le camp de tentes de Calais en 2016″, explique Kassou. Tous les transmigrants ont été transférés dans des centres d’accueil et d’orientation disséminés dans tout le pays. Avec des résultats spectaculaires : au bout de six mois, il s’est avéré que 45 % des personnes avaient demandé l’asile, tandis que 20 % supplémentaires avaient adhéré à un programme de Dublin ou à un programme de retour volontaire ».

Le problème pour le gouvernement bruxellois : l’asile et l’immigration sont, jusqu’à nouvel ordre, une compétence fédérale. Les deux niveaux de gouvernement sont profondément divisés sur la question de la transmigration. En tant que secrétaire d’État à l’asile et aux migrations dans le gouvernement de Michel, Theo Francken (N-VA) ne le répétait pas assez : en soutenant la Plate-forme citoyenne et le hub humanitaire, vous attireriez les transmigrants. A l’inverse, « Bruxelles » dénonçait le manquement à son devoir du gouvernement fédéral. Le fait que les transmigrants n’aient pas été arrêtés et expulsés relève de la responsabilité de Francken et de son collègue Jan Jambon, ministre de l’Intérieur sous Michel, dit-on.

Les Vosges

La nomination de Maggie De Block (Open VLD) au poste de ministre d’Asile et de Migrations en décembre 2018 laissait espérer un revirement. En trois mois, elle a réussi à déplacer le hub humanitaire de la gare du Nord de manière ordonnée, mettant ainsi fin à un conflit avec De Lijn concernant les nuisances pour les passagers des bus. Les autorités bruxelloises et les ONG étaient agréablement surprises par le pragmatisme de De Block, même s’il n’était pas dénué de tout calcul politique. Les photos d’une Gare du Nord impeccablement propre – Maggie résout le désordre de Theo – ont été très utiles dans la campagne pour les élections du 26 mai 2019. Mais malgré son oreille attentive, De Block rejette résolument l’idée d’un centre d’accueil et d’orientation pour les transmigrants.

Pourquoi ? En raison de l’effet d’aspiration, précise le cabinet du ministre. Une deuxième objection est de nature légale : les migrants qui boycottent délibérément le système d’asile belge n’ont pas droit à l’accueil. L’exemple des conventions collectives françaises ne fait guère impression. « Cela pourrait fonctionner dans un grand pays », commente le porte-parole Jelle Boone. « Depuis un centre dans les Vosges, demander l’asile en France semble une alternative raisonnable pour une traversée risquée vers l’Angleterre. Mais en Belgique, même depuis la Wallonie, vous êtes à Ostende ou à Zeebruges en un rien de temps ».

Néanmoins, il existe un ministre de l’Open VLD qui préconise un centre d’accueil et d’orientation. Sven Gatz continue à soutenir la note stratégique pour la transmigration. « En théorie, c’est vrai, bien sûr », déclare le ministre bruxellois du Budget et des Finances. « Toute personne qui refuse de demander l’asile ne peut s’attendre à être accueillie. Mais en attendant, nous devons faire face à la réalité de Bruxelles : ils sont ici. Je plaide pour une solution qui limite les nuisances et garantit également un minimum d’humanité ».

Pour Gatz, la transmigration s’inscrit dans un accord de coalition fédérale. « La N-VA bruxelloise nous reproche d’avoir outrepassé notre autorité », dit-il. « Ils ont raison sur ce point : la migration est une question fédérale. Ce n’est qu’avec beaucoup de créativité, en invoquant l’assistance aux personnes, que nous avons trouvé le moyen de soutenir la Plate-forme citoyenne. Le prochain gouvernement fédéral doit s’en occuper. Cette question traîne depuis bien trop longtemps. »

Gatz ne souhaite pas pousser l’opposition à De Block à outrance. « Maggie De Block est connue pour son flegme. Si elle était à ma place, elle dirait exactement la même chose. »

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