Christine Laurent

Tout va très bien, Madame la M…

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Cela fait des mois qu’il est gonflé à l’hélium, qu’il pulvérise l’ordinairement correct, qu’il se veut flambard, qu’il attaque en piqué. Et à chaque fois, ça marche.

Le landerneau politique vacille, les médias s’enflamment. Gloussements, cris d’orfraie… Le tireur d’élite n’en a cure. Appuyé sur sa force tranquille, il vise et pulvérise sa cible. En plein dans le mille. Pour preuve, sa dernière salve savamment orchestrée au Cercle de Lorraine à Bruxelles au début du mois de mars et qui a, à nouveau, secoué le théâtre politico-médiatique. De l’art d’hystériser la vie publique.

Bart De Wever est une rock star. Il fascine, il a du charisme, c’est un animal politique. Dur à accepter, c’est vrai, surtout quand on pense à son obsession séparatiste. Mais pourquoi se voiler la face ? En Wallonie comme à Bruxelles, on se bouscule pour le voir, pour l’entendre cogner. Les clameurs des uns, les vociférations des autres n’y font rien. Trop riquiqui pour des assauts au lance-flammes. Ostraciser De Wever en le fascisant ne le bâillonnera pas davantage, bien au contraire. Le clouer au pilori encore moins. Il n’a plus besoin de se tricoter une légitimité. Il a fait main basse sur Anvers et les sondages le portent à près de 40 % en Flandre. Pis !, désormais, sa vision socio-économique secoue aussi d’aucuns au sud. Fiscalité, indexation des salaires, pensions, marché du travail, immigration, BDW renverse tout. Incroyable, mais vrai ? Ses coups de boutoir séduisent. Des patrons, des politiques, des responsables de tout bord, comme le prouve notre enquête cette semaine.

Des proclamations au clairon quand, du côté de ses adversaires, les clichés et les illusions se ramassent à la pelle. Et voilà les partis flamands et francophones en surtension. Et si BDW avait raison ? Sur l’indexation des hauts salaires ? Sur le dossier des retraites qui pourrit lentement ? A propos de notre système fiscal inique ? De l’emploi, plombé par des blocages surannés ? Sans oublier les classes moyennes qui trinquent alors que tant de réformes structurelles sont laissées à l’abandon ? De Wever peut bien bomber le torse, nous n’avons que des poches vides de solutions à lui opposer. Dramatique. Car si on ne peut lui reprocher de poser les vraies questions, c’est bien au rayon des solutions que l’on pourrait faire la différence. Ce n’est pas un réformisme brouillon, à petites foulées, trempé dans l’eau tiède des compromis qui le fera reculer. Ce sont des vrais programmes sans tabou que nous devons lui retoquer, pas des émotions. Penser le futur autrement.

Il y a urgence. Un an avant les élections de 2014, le leader nationaliste bouscule déjà les lignes y compris au sud du pays. Pour preuve, la castagne récente au sein du gouvernement wallon. Sonnés, les Ecolos. A peine plus flamboyants, le CDH et le PS. Une nouvelle ère se prépare. De peur de rater le tournant, le parti de Paul Magnette pourrait être tenté par une aventure avec le MR. Résultat : les francophones sont plus divisés que jamais. La faute à qui ? A De Wever. Un comble !

Avec son air patelin et son arrogance larvée, le bourgmestre d’Anvers a miné tout le pays ; la preuve que toutes les ripostes francophones et de ses adversaires flamands ont fait flop. Ne serait-il pas temps de revoir sereinement nos analyses, nos stratégies ? D’ouvrir enfin les yeux. De faire preuve d’un minimum de pragmatisme ? Car si De Wever a pu se faufiler dans les interstices de notre mal gouvernance, c’est bien parce l’on s’est trop souvent aveuglé. Tout va très bien, Madame la Marquise ! Faux, tout faux. Rien ne va. Ne laissons surtout pas le chantre du Belgian Bashing (la critique systématique de la Belgique) gratter et infecter là où ça fait mal.

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