© Nicolas Vadot

Toponomastique : De Tout-lui-faut à Houte-si-Plou

Le Vif

Envie de savoir d’où nos villages tirent leurs drôles d’appellations ? Pour plus de 10 000 localités de Wallonie et de Bruxelles, un Dictionnaire des noms de lieux lève le mystère.

Prenons-les au hasard, ou presque : Quatorze Fesses, Roudoudou, Belle Thérèse et Pont des Ripettes… Comment diable ces localités, toutes situées en Belgique, se sont-elles dotées, au fil des siècles, d’appellations aussi, disons, cornichons ? Et Rotint-Tot, Coquen-wé, Amon Crolle et Baraques Boulettes, alors ? Et Fraire-la-Crotteuse, Laity- Madame, Pinpin, Pourri et Pouhou ? On vous livre l’explication pour Motte brûlée, parce que ce n’est pas du tout ce que vous croyez : une motte, c’est une redoute, un tertre portant une fortification, au haut Moyen Age. Le patelin près d’Estaimpuis, dans le Hainaut, se réfère donc à une « colline ou levée de terre défrichée par le feu ». Pour le reste, d’Aa (un affluent de la Meuse) à Zyklopensteine (un groupe de gros rochers au nord d’Eynatten), mieux vaut consulter le nouveau Dictionnaire des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles(1). Cette somme dresse la liste la plus complète, à ce jour, des endroits habités (villes, villages, hameaux, dépendances), des principaux sites (cours d’eau, reliefs, curiosités) et des institutions de la Belgique francophone. Surtout, elle propose, pour chaque entrée, l’interprétation la plus pertinente de sa désignation actuelle. Hublinbu ? Le nom rappelle le bois (en germanique) d’un certain Hublin, diminutif d’Hubert. Chiny ? Une terre près des chênes (en bas latin). Chantraine ? C’est un impératif adressé (en latin) à une bestiole : Canta, branna (ou rana) ! û « Chante, corbeau (ou grenouille) ! » Kinkempois ? Voilà du wallon : à quin qu’en poist, qui signifie « qu’importe qui s’en fâche »… Bref, une excursion à travers l’histoire (de la période préromaine aux réformes de la fin du xxe siècle) et la toponymie locales, qui emprunte aussi les chemins de côté de la zoologie, de l’orographie, de la linguistique, du droit féodal, de la religion, de la diplomatie, des traditions populaires et de… l’humour à froid.

Car l’auteur de l’ouvrage, le pince-sans-rire Jean-Jacques, figure familière de la RTBF, a passé quinze années à nourrir cette passion dévorante : la toponomastique, l’étude des noms de lieux. Certes, personne ne dit que la lecture de ce très gros fichier Word (publié a peu près tel quel) provoque l’hilarité à chaque page. Non, le sourire naît plutôt des noms de lieux glanés çà et là et, plus que tout, de leurs déformations successives. Comment la « ferme de l’épinette du petit écart », située à Merbes-le-Château, devient-elle un beau jour Dansonspène ? Et qui sait que Houte-si-Plou (près d’Esneux), tout comme Xhout-si-Plout (près de Manhay), bâtis tous deux en province de Liège, tirent leur nom d’un moulin d’un genre particulier, « alimenté par des eaux sujettes à tarir et qui a besoin de la pluie pour fonctionner » ? Hoûte s’i ploût ? Facile : c’est  » écoute s’il pleut »…

Tombé dans la marmite de l’onomastique dès sa jeunesse û il se rappelle avoir séché, il y a belle lurette, sur un panneau annonçant Familleureux (« C’est bizarre ça : quel rapport avec le bonheur ? »), Jespers admet pourtant que cette discipline sérieuse, voire ennuyeuse, se révèle décevante plus souvent qu’à son tour. Pointons Brunehaut, dans le Hainaut : on se met à rêver d’une princesse wisigothe ou de l’aînée des Walkyries. Tintin : l’appellation découle seulement du wallon breuniau, qui signifie bêtement « pierre brune ». Pareil avec le Vivier d’oie, à Uccle. Pas le moindre gallinacé dans les parages, même aux époques les plus reculées. Juste une suite de confusions et de déformations, à partir du moyen néerlandais dieversdelle (vallée de la rivière sacrée) et du brabançon dieken (canard)… « Quand on gratte, c’est le désenchantement, confie l’auteur. Généralement, la plupart des noms renvoient à des particularités du paysage. » Des buissons, des ruisseaux, des marais et des champs à perte de vue. Des buttes par-ci, des rochers par-là. Et, finalement, très peu de références, également, au parler de nos ancêtres. « A part quelques toponymes comme Dour, Glons, Waulsort, Durbuy ou Angleur, l’héritage gaulois reste assez faible. » En revanche, les Francs qui s’installeront chez nous, à partir du ve siècle, seront mieux inspirés. Ces nouveaux arrivants fondent des exploitations agricoles qu’ils font connaître sous leurs noms. Les collectifs germaniques en -ingas (romanisés en -ange), et ceux en -ingaheim (devenus -ghien), signent, en Wallonie, une abondante appartenance clanique…

Il y a fort à parier, cependant, que le Dictionnaire soulève quelques bougonnements parmi un grand nombre de citoyens attachés à des origines… qu’ils découvriront erronées. A Ciney, on se transmet depuis des générations une étymologie qui s’appuie sur la légende des « cinq nés ». Même le blason de la ville, adopté en 1710, montre cinq petits garçons… A tort : la cité tire son nom du celte. Elle évoque sa « terre claire ». Banal. Auteur et éditeur s’attendent donc à traiter des flots de lettres de lecteurs indignés. Ou justes ébahis. Au xiie siècle, il était un village, près d’Yvoir, qui s’appelait Emereaude (sens approximatif : « qui a vue sur la forêt »). Confondu cent ans plus tard avec le mot émeraude (en latin, smaragdus), il prend alors un nom à rallonge : Smaragdus vel Pilans vacca. Aujourd’hui, on l’appelle… Poilvache. Ce qui est quand même nettement plus commode pour le courrier.

(1) Jean-Jaques Jespers, Dictionnaire des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles, Editions Racine, 649 pages.

Article publié initialement le 24 juin 2005

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