Une caméra ANPR © iStock

Surveillance de masse: « La police et les magistrats belges sont fondamentalement paresseux »

Jeroen De Preter Rédacteur Knack

Trois ans après les attentats de Bruxelles, que savent la police et le gouvernement de vos faits et gestes? En matière de surveillance, « c’est dommage qu’une ville respectueuse des droits de l’homme comme Gand ait simplement suivi l’exemple d’Anvers », déclare Paul De Hert, spécialiste en protection des données personnelles.

Le 22 mars, il y aura trois ans que notre pays a été la cible d’attentats terroristes à Zaventem et dans la station de métro Maelbeek. Depuis, notre conception de la sécurité et de la protection de la vie privée a beaucoup changé. « L’Europe fait face à ces attaques de manière plus mûre que les États-Unis », déclare le professeur Paul De Hert, expert en matière de vie privée, de droit pénal et de droits de l’homme (VUB). Pourtant, même ici », dit-il, « un certain nombre de propositions peu sensées sont devenues des lois ». Tout d’abord, il fait référence à nos cartes d’identité : à partir du mois prochain, elles seront pourvues d’empreintes digitales, malgré l’avis négatif de l’Autorité de protection des données. « Nous avons été roulés, peut-être parce que nous trouvions Jan Jambon (N-VA), le responsable de l’amendement de la loi en tant que ministre de l’Intérieur, si sympathique ».

Quelles sont vos objections?

Paul De Hert : Ma première objection est symbolique. C’est stigmatisant de prendre des empreintes digitales. C’est ce que l’on fait avec les criminels et les suspects. Obliger une population entière à le faire n’est pas innocent. C’est comme si vous considériez chaque citoyen comme un criminel potentiel.

Selon ses dires, le ministre Jambon souhaitait réprimer la fraude à l’identité.

Notre carte d’identité contient déjà une photo, un élément biométrique qui permet de vérifier de manière de plus en plus précise l’identité d’une personne. L’ajout d’un deuxième élément est typique des services de police : son rêve est une base de données aussi complète que possible, sans trop de restrictions juridiques. Il y a aussi des objections techniques fondamentales : rien ne garantit que les fraudeurs ne puissent pas lire vos empreintes digitales. La fraude à l’identité est donc facilitée par cette modification de la loi.

Les empreintes digitales ne sont pas stockées dans une base de données, dit-il.

Je crois plus un proverbe connu : il ne faut pas tenter le diable.

Une nouvelle loi sur la caméra a également été adoptée sous Michel I. Grâce à cette loi, la police peut utiliser des bodycams, des drones équipés de caméras et surtout un bouclier de caméras, formé par plus de 1000 caméras ANPR capables de lire les plaques d’immatriculation.

Cette loi aussi est une mauvaise chose. Je la considère comme la conclusion d’une évolution qui dure depuis bien plus longtemps. La résistance politique a éclaté pour la première fois il y a vingt ans, lorsque Louis Tobback (SP.A.) comptait installer plein de caméras à Louvain. Le bourgmestre de Malines Bart Somers (Open VLD) peut se targuer d’avoir initié l’étape suivante, qui peut se considérer comme un pionnier de l’ANPR. Lorsqu’un libéral transforme sa ville en société de surveillance, il devient très difficile pour un secrétaire d’État libéral à la Protection de la vie privée (Philippe De Backer, NLDR) de s’opposer à une loi qui soumet l’ensemble du pays à ce système. Somers et son chef de police, Yves Bogaerts, sont responsables de la prolifération des caméras ANPR dans ce pays. Par conséquent, la police a un système qui sait à tout moment où je suis.

La loi sur la caméra contient-elle une disposition qui restreint la liberté de la police ? Cette loi est illisible, je ne peux donc pas le dire avec certitude. Il est très clair, cependant, qu’elle assouplit l’utilisation des drones, centralise le système ANPR et crée la possibilité de lâcher l’intelligence artificielle sur celui-ci. La surveillance de masse est en train d’être mise en place dans notre pays aujourd’hui, et nous sommes apaisés par la promesse que la police n’utilisera nos données qu’à dessein.

Paul De Hert
Paul De Hert© .

Vous n’y croyez pas?

Il y a lieu d’avoir des soupçons. Si ce système n’est utilisé que pour combattre le terrorisme et les crimes graves, je n’y vois aucun inconvénient. Mais, bien sûr, les limites sont élastiques. Pourquoi ne l’utiliserait-on pas pour collecter les taxes routières ou pour dépister les usagers de drogues ? Soyez certains que la police ne se retiendra pas. En pratique, c’est elle qui gère le système et non le gouvernement. Je voudrais que la ville d’Anvers, par exemple, soit le gestionnaire des caméras ANPR. Cela permettrait aux organisations de la société civile de délibérer de l’utilisation de la caméra.

En principe, l’Europe demande également à notre gouvernement de veiller à ce que, lors du développement de cette technologie, nos données soient protégées – ce qu’on appelle la protection de la vie privée dès la conception. C’est vraiment essentiel. Mais pensez-vous qu’il y a déjà un seul drone qui ait décollé pourvu d’une garantie pour notre vie privée?

Pourquoi le gouvernement n’en tient-il pas compte?

Il pense beaucoup trop du point de vue de la police. Il ne s’intéresse plus à l’équilibre entre la sécurité et la protection de la vie privée, ni à la surveillance gérée démocratiquement. De plus, la police et les magistrats belges sont fondamentalement paresseux. Ils veulent seulement autant de données que possible. Pour les servir à leur guise, nous avons créé une infrastructure qui ne fait qu’encourager leur paresse, et qui est une atteinte à notre vie privée.

Je pense que ce serait une bonne idée de ne pas impliquer la police et la justice dans des projets autour de ce que l’on appelle la « ville intelligente », étant donné toutes les traces numériques qui découlent d’un tel projet. En un rien de temps, vous obtiendriez une « big brother city ». En pratique, on voit déjà ce mécanisme. Regardez les zones à émissions faibles. À Paris, on interdit l’accès aux voitures qui ne répondent pas aux normes d’émission en exigeant un autocollant. Avec nous, ils ont, avec une ardeur suspecte, accroché des caméras APNR partout. On a profité un projet d’assainissement de l’air pour réduire la vie privée des citoyens. Il est dommage qu’une ville respectueuse des droits de l’homme comme Gand ait simplement suivi l’exemple d’Anvers.

La police prédictive, une technologie qui utilise des algorithmes pour prédire qui commettra des actes criminels et où, est déjà largement utilisée aux États-Unis. Cette technologie fait-elle son chemin chez nous aussi?

Oui, la théorie est bien sûr particulièrement attrayante, car la police prédictive pourrait conduire à une énorme rationalisation des efforts de la police. Mais en pratique, il faut être très prudent.

Un jour, j’ai participé à un débat sur la chaîne flamande VRT. On y montrait comment la police d’une ville flamande gérait les caméras de l’ANPR. Dans la vidéo, on voyait deux policiers manger des frites dans leur voiture, jusqu’à ce que soudain ils entendent un  » bip ». Le système indiquait la présence d’une voiture conduite par une personne possédant un casier judiciaire. Les policiers ont essuyé la mayonnaise de leur bouche et l’ont poursuivie, sans aucune raison concrète. Il faut avoir une bonne raison avant de pouvoir agir en tant qu’agent : c’est ce qu’on appelle un motif raisonnable. Aujourd’hui, nous risquons de perdre cette notion.

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