Bert Bultinck

« Sur certains points, on ne peut que donner raison à Bart De Wever »

Bert Bultinck Rédacteur en chef de Knack

« Ce n’est pas la première fois que De Wever touche le point sensible qui s’appelle l’Europe », constate le rédacteur en chef de Knack, Bert Bultinck, « mais la N-VA ne propose pas de véritables solutions. »

Une nouvelle fois, la N-VA a été la plus maligne de la classe. Après le refus du Secrétaire d’État Theo Francken de donner un visa humanitaire à une famille syrienne, le parti a lancé une fusée à trois étages… La N-VA a lancé une campagne sur Twitter et Facebook, le premier étage de la fusée. Twitter et Facebook sont des médias qui ne veulent pas être appelés médias – il est ennuyeux de prendre cette responsabilité – et qui par conséquent ne regardent pas trop à la bienséance, tant qu’on ne voit pas de seins nus. Par contre, Mark Zuckerberg laisse passer les diffamations. Jeudi, la N-VA a donc publié l’appel « PAS DE juges déconnectés », en majuscules jaunes et noires. Crier contre les juges – bel et bien « juges » au pluriel, toute la classe professionnelle donc – qui « ouvrent nos frontières » : ça marche.

Pour la deuxième étape, la N-VA n’a pas dû faire grand-chose. Les opposants ont immédiatement fait ce qu’on attendait d’eux. Pas de discours serein et argumenté sur le fond de l’histoire, mais beaucoup d’indignation bon marché sur l’attaque contre le pouvoir judiciaire. Sur Twitter et Facebook, évidemment. Non que l’indignation était injustifiée. La campagne de la N-VA a relancé la méfiance en l’état de droit, un état de droit dans lequel le parti occupe des positions de haute importance. C’est cynique et préjudiciable. Or, le marteau de Bart Wever a frappé le genou douloureux de la gauche. Et la gauche a tendu la jambe.

Comme la gauche flamande n’a pas de discours clair sur la migration, et qu’on ne réussit pas à changer de sujet de conversation, pour la énième fois elle a dû courir derrière les faits. Ses ripostes ont été contre-productives. Plus l’indignation enflait, plus le message de De Wever était relayé. Tel un judoka, il a utilisé la force de l’opposant pour servir ses propres objectifs. Et il gagne toujours par ippon. S’il a raison, « il prend ses responsabilités ». S’il est acculé dans la défensive, c’est dû aux deux démocraties en Belgique, aux institutions ou à l’état PS. À tous les coups, il gagne.

Sur certains points, on ne peut que donner raison à Bart De Wever

Et le parti n’avait pas encore lancé le troisième étage de la fusée: l’opinion sur la crise de visa, du faiseur d’opinions que De Wever a toujours été, plus que ce qu’il n’a été politique. Le lendemain de la campagne impertinente contre les « juges déconnectés », il a tenu son discours sur les « juges activistes ». Selon lui, les interprétations trop larges du droit de l’homme de ne pas être torturé, forment un obstacle contre une politique d’asile efficace. Et si on étudie bien un certain nombre de décisions de la Cour européenne des Droits de l’homme, on ne peut que donner raison à Bart De Wever sur certains points. Ainsi, le règlement Dublin – qui stipule que le pays où le demandeur d’asile se présente doit également s’occuper de la demande d’asile – a effectivement été plusieurs fois érodé, mais jamais réparé. En 2011, la Cour européenne a décidé que la Belgique ne pouvait renvoyer un demandeur d’asile afghan en Grèce, parce qu’il n’y serait pas bien accueilli, ce qui met « Dublin » hors-jeu. C’est ce que De Wever qualifie à juste titre d' »activisme judiciaire ».

Et ainsi, la N-VA a réussi à dominer le débat pendant plusieurs jours. D’abord, il y a eu la provocation, ensuite un puits sonore de réactions, et finalement la voie était ouverte au véritable point de litige. Ce n’est pas la première fois que De Wever touche le point sensible qui s’appelle l’Europe : il n’y a pas de consensus politique, pas de politique transparente. Les plans de répartition sont mis au placard, il n’y a plus de solidarité. Les positions sont à ce point éloignées l’une de l’autre que les pays de l’Europe de l’Est qualifieraient la politique de Francken – à qui on reproche régulièrement sa froideur – de maternage. Et entre-temps, on laisse un dictateur turc faire le sale boulot.

Il est grand temps de voir où l’Europe, quand il s’agit de migration, peut trouver un consensus. Et surtout : avec qui ? La N-VA a le mérite de conscientiser sur l’urgence de la question, même si le parti ne propose pas de véritables solutions. Il est chimérique de promettre de fermer les frontières ou de renoncer à la Convention de Genève. Les réfugiés continueront à venir. Une politique d’asile opérationnelle et humaine garantit l’accueil de réfugiés de guerre en fonction des critères existants. Nous en sommes capables, si l’Union européenne met bon ordre à la situation – ironiquement, c’est ce que prouve Theo Francken tous les jours au niveau belge. Mais miner l’état de droit par une campagne sous la ceinture, détruit plus que ce que souhaite la N-VA, car qui sème la méfiance récolte le chaos.

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