Joseph Ndwaniye

Suivez mon regard de Joseph Ndwaniye: Musique et bruits du monde (chronique)

Joseph Ndwaniye Infirmier et écrivain.

Monsieur, monsieur, j’écoute du rap. Je peux vous lire ce que je viens d’écrire?

Voilà quelques jours, j’ai animé un atelier d’écriture dans une école de l’enseignement secondaire public situé à un kilomètre de chez moi. A dix minutes de marche, donc. J’avais prévu de partir vingt minutes avant pour être à l’aise. Mais c’était sans compter sur les caprices de dame nature. A peine ai-je parcouru cent mètres qu’il se met à dracher comme un 21 juillet. Je cours me réfugier sous le préau d’une école voisine. Je ne peux pas arriver en retard alors que j’habite si près! Enfin une accalmie, je m’élance. Après quelques minutes, la pluie se déchaîne à nouveau. Je m’abrite sous le porche de Notre-Dame de la Sagesse, une des écoles du réseau catholique, comme la première qui m’a abrité d’ailleurs, le collège Sacré-Coeur. Celle qui m’attend sera royale comme tous les athénées. Mais pourquoi n’ai-je pas pris le bus?

C’est vrai que pour un kilomètre, je préfère toujours marcher. J’aurais dû vérifier les prévisions météo. Et l’organisatrice qui m’appelle! Elle s’impatiente sous un parapluie. Son temps est compté, elle doit se rendre dans une autre école dans le cadre du même concours international d’écriture. Le gros de l’averse semble passé, je repars. Pendant que je traverse le parc de la basilique de Koekelberg, mes pensées divaguent. Je me mets à faire le décompte des écoles de mon quartier. J’en vois six au total dans un rayon d’à peine trois kilomètres. Le passage de ma fille en humanités me revient en mémoire. Voilà douze ans déjà. Nous étions confrontés aux aléas du décret inscription. Notre fille avait eu la chance d’être acceptée dans l’école de son choix grâce à un tirage au sort… Tant pis pour les perdants. A l’époque, j’avais trouvé complètement absurde cette méthode.

Plongé dans le passé, j’ai failli dépasser l’athénée, surtout que je ne m’attendais pas à une imposante façade datant des années 1930. J’avais imaginé des locaux semblables à ceux de l’école publique située à deux pas de chez moi: des anciens pré- fabriqués construits pour l’exposition universelle de 1958. Heureusement que l’accompagnatrice m’a hélé de sous son parapluie! A l’intérieur, nous essayons d’interpeller une personne pour qu’elle nous guide vers la classe dans laquelle nous sommes attendus. Professeurs et élèves s’égaillent en tous sens, la sonnerie vient d’annoncer la pause du matin. Un élève nous indique le secrétariat. Contacté par l’assistante du directeur, l’enseignant ne tarde pas à arriver. Une fois installés en classe, il me laisse me présenter. « Nous allons enfin commencer l’atelier », annonce-t-il avant de se réfugier dans le fond de la classe. Mon accompagnatrice propose d’entrer directement dans le vif du sujet. Elle rappelle les règles et le thème du concours, « Musique et bruits du monde ». « Je ne comprends pas ce qu’il faut faire, madame », lance un élève dépité. « Vous ne vous souvenez pas de l’extrait que nous avons lu en classe, il y a trois semaines? », demande l’enseignant. « Si, moi monsieur », répond une condisciple. Et pour le prouver, elle s’empresse de le réexpliquer aux autres: « C’est l’histoire des anciens esclaves africains en Bolivie… » Le début de cette animation me paraît quelque peu laborieux. Subitement, une idée lumineuse me traverse l’esprit: « Vous souvenez-vous de ce que vous écoutiez ce matin sur le chemin de l’école? » De cette question simple mais qui a fait mouche, ont jailli des textes magnifiques. « Monsieur, monsieur, j’écoute du rap. Je peux vous lire ce que je viens d’écrire? »

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