Sophie Lucas, présidente de l'Institut De Duve (UCLouvain). © UCLouvain/ Jacky Delorme

Sophie Lucas, immunologiste: « Ce qui me tracasse, c’est l’adhésion vaccinale dans notre pays qui pourrait ralentir »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

« Va-t-on obtenir qu’une part significative de la population choisisse de se protéger elle-même et les autres? », se demande la présidente de l’Institut de Duve (UCLouvain).

Les chiffres du Covid sont dans le vert et le retour à une vie normale se précise, avec une nouvelle étape dans le déconfinement programmée le 9 juin. Durant une semaine, Le Vif interroge des experts sur leurs espoirs et leurs inquiétudes sur l’évolution de l’épidémie. Dans tous les domaines, de la vaccination à la santé, en passant par les libertés fondamentales.

Sophie Lucas, immunologiste et présidente de l’Institut de Duve (UCLouvain), ouvre cette série d’entretiens en évoquant la question des vaccins.

Êtes-vous confiante en l’immunité offerte par les vaccins?

On étudie en continu l’immunité donnée par les premiers vaccins disponibles. On sait qu’ils sont actuellement très efficaces, ils donnent des anticorps qui protègent pendant un minimum de 6 à 12 mois. Si on a été malade du Covid et qu’on a ensuite reçu au moins une dose de vaccin, la protection semble encore plus durable. J’ai beaucoup d’espoir que cette protection soit suffisante pour nous mettre à l’abri de nouveaux variants pendant un an ou deux.

Avec le recul, on va en apprendre davantage sur les vaccins administrés. Il va falloir continuer à observer cette protection, car elle ne dépend pas seulement de la capacité du vaccin à induire des anticorps, mais aussi de la capacité du virus à évoluer et à échapper progressivement aux anticorps présents dans la population. C’est une équation à de multiples inconnues. Mais, les nouvelles sont bonnes. On a la possibilité de faire un rappel de vaccin dans un an ou 5 ans, cela doit encore être défini. On peut aussi modifier rapidement les vaccins pour qu’ils soient plus protecteurs contre les nouveaux variants qui émergeront dans le futur.

Ces variants vous inquiètent-ils ?

Les variants m’inquiètent beaucoup moins qu’au début de l’épidémie quand personne n’était protégé. On sait que les vaccins protègent bien contre les variants qui circulent actuellement. Pour accumuler des mutations et générer des nouveaux variants, le virus doit se multiplier. Si on le laisse se répliquer sans entraves, on crée des usines à variants émergents chez les personnes non vaccinées. Si un variant résistant aux réponses immunitaires induites par les vaccins apparaît, ce sera donc dans ces poches de population non protégées. Il faut franchir cette dernière étape, qui sera historique dans la vaccination de masse, de collectivement faire adhérer la population. Il faut poursuivre nos efforts d’informations et de communication au maximum, pour gagner contre la peur qui limite l’adhésion au vaccin.

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Qu’est-ce qui vous tracasse dans la situation actuelle?

Ce qui me tracasse, c’est l’adhésion vaccinale dans notre pays qui pourrait ralentir. Va-t-on obtenir qu’une part significative de la population choisisse de se protéger elle-même et les autres? Cela demande une démarche qui va au-delà de l’individualisme à tout crin. Or, on sait tous en tant qu’épidémiologiste, virologiste, immunologiste, que si on veut que ces vaccins soient une véritable arme de sortie de crise, il faut gagner l’engagement d’un grand nombre de citoyens.

J’ai l’impression qu’on est bien partis en Belgique pour atteindre une couverture vaccinale de 70 à 80 %. Je tiens à dire que la campagne de vaccination a été organisée de manière remarquable. Si on continue sur notre lancée, on devrait arriver à une situation équivalente à celle des USA et de la Grande-Bretagne. Mais il ne faut certainement pas s’imaginer qu’on est arrivés au bout du chemin. Les Etats-Unis ont quelques semaines d’avance, mais on observe actuellement un phénomène de stagnation. Dans les pays où les doses ne sont plus limitées – c’est quasiment le cas en Belgique – cette stagnation résulte soit d’un problème logistique, soit d’une hésitation vaccinale, soit d’un problème de communication pour informer la population.

u003cemu003eNotre prochain défi, c’est d’éviter une stagnation de la vaccinationu003c/emu003e

Jusqu’à présent, on pleurait pour avoir son vaccin, maintenant on va arriver à un stade où il va falloir faire preuve d’encore plus de pédagogie pour convaincre les plus réticents. Il va falloir crever ce plafond de verre, c’est notre prochain défi.

Ce qui m’empêche aussi de dormir, c’est quand je pense à la capacité d’organiser des campagnes de vaccination en dehors de nos pays riches. Cela me tracasse beaucoup qu’on ne soit pas en mesure de rendre ces vaccins accessibles à tous, en Afrique, en Asie du Sud-Est ou encore, en Amérique latine. Le manque d’accès à la vaccination est un problème majeur d’équité. A plus long terme, d’un point de vue plus autocentré, cela pourrait aussi nuire à notre lutte contre l’épidémie.

u003cemu003eAprès l’été, les mois de septembre octobre seront aussi bien plus réjouissants qu’il y a un an.u003c/emu003e

Et qu’est-ce qui vous donne, au contraire, espoir en l’avenir?

A court terme, ce qui me réjouit, c’est que mon entourage commence à être vacciné, mon mari a 57 ans et vient d’être convoqué. J’attendais cela avec beaucoup d’impatience, je vois progressivement autour de moi de plus en plus de personnes plus jeunes qui sont convoquées, vaccinées et progressivement protégées. La pression diminue considérablement autour de moi. Je vois vraiment la campagne de vaccination avancer. On va pouvoir rouvrir les restaurants, retourner au théâtre, aller boire un verre sans couvre-feu, tout cela me donne beaucoup d’espoir. Après l’été, les mois de septembre octobre seront aussi bien plus réjouissants qu’il y a un an.

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